Chère Maïwenn,
J’aimerais commencer cette longue missive en te disant que j’aime beaucoup ton travail. J’ai été bouleversée par Pardonnez-moi, j’ai frissonné devant Polisse. Si certain•e•s te reprochent de faire un cinéma « sans nuances » voire « sous cocaïne », j’aime personnellement cette brutalité, ces choix sans concessions.
Ton cinéma dépasse même nos frontières : lorsque j’ai fait un échange ERASMUS dans une école d’audiovisuel en Espagne, j’ai eu la chance d’étudier un de tes longs-métrages dans le cadre d’un de mes cours. J’étais fière de me dire que ces oeuvres faisaient partie du patrimoine culturel français !
Par contre Maïwenn, dernièrement… t’as déconné.
Lors d’une interview accordée au magazine Première, les journalistes t’ont interpellée sur le fait que tu sois une des rares femmes en compétition au festival de Cannes. À ce moment-là, tu as déclaré :
« On fait du tort aux femmes en râlant comme ça. Il y a plus de maquilleuses femmes que d’hommes, et alors ? Qui s’en émeut ? C’est un métier qui fait appel aux hormones masculines, donc il y a simplement plus d’hommes réalisateurs, c’est aussi bête que ça.
J’ai lu des trucs du style : « Bon, il y a Donzelli, Maïwenn, mais ça reste une sélection d’hommes… ». Pour Polisse, quelqu’un de très proche m’avait dit : « C’est évident que tu allais être prise en compète. Tu fais un film sur les enfants maltraités, t’es une femme, t’es jeune, t’es jolie ». Comme si je n’avais pas la légitimité d’exister par ce que je fais. C’est fatigant. Tous les ans, on a droit au même débat, c’est insupportable. Dans quelques années, on va dire à Thierry Frémaux qu’il n’y a pas assez d’arabes, pas assez de juifs, et on va faire des quotas ? »
Alors… par où commencer ?
Réalisatrice, un métier inaccessible
Tout d’abord, je pense que tu t’es permise de lâcher ce « qui s’en émeut ? » parce que tu AS réalisé des films, que tu ES au festival de Cannes avec un long-métrage en compétition et que fondamentalement, tu as n’as pas trop galéré dans ta vie.
Ta mère est actrice, tu es montée sur des planches de théâtre dès 3 ans, tu as rencontré Luc Besson à l’âge de quinze ans et tu l’as épousé par la suite. Je ne dis pas que ta vie a été toute rose et je sais que tu as énormément souffert… Mais avouons-le, le monde du cinéma était plutôt à ta portée.
T’as carrément été une diva : celle du Cinquième élément !
Tu vois, Maïwenn, la place des femmes au cinéma, moi, « je m’en émeus ». Parce qu’un jour, j’aimerais… allez, n’ayons pas peur d’avoir de l’ambition : parce qu’un jour, je réaliserai un film. Attention, n’y vois pas de l’ego mal placé : ce film sera peut-être nul, probablement autoproduit, et si ça se trouve, il sera vu par trois pauvres spectateurs curieux. Mais un jour, je le ferai, parce que j’en ai envie et parce que j’en ai besoin.
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Mais malheureusement, Maïwenn, je n’ai pas ton carnet d’adresses ! Si à 15 piges tu étais avec Luc Besson aux Césars, moi j’étais en seconde dans un petit village au fin fond de l’Ain… Parce que contrairement à toi, j’ai dû faire face à des profs, des conseillers d’orientation et un entourage extrêmement dubitatif. Parce que même si j’ai orienté mes études vers l’image, les médias et l’écriture, même après avoir fait pas mal de stages, je vois bien que ce secteur est totalement bouché. Ce n’est pas totalement impossible, mais c’est assez compliqué d’y accéder quand tu démarres sans aucun réseau et dans milieu modeste (les écoles privées et les stages qu’on enchaîne pendant dix ans, ça remplit pas le frigo).
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Une égalité professionnelle encore loin d’être acquise
Si le secteur du cinéma et de l’audiovisuel en général est déjà difficile d’accès, ça l’est encore plus quand tu es une femme.
Clémence Bodoc en parlait récemment : l’égalité professionnelle est encore loin d’être évidente. 80% des secteurs d’activité en France sont non-mixtes. Le domaine de l’audiovisuel n’échappe pas à la règle et montre lui aussi de sérieuses disparités. Une étude a été réalisée récemment par le CNC sur la place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle, constatant que 77,9% des films sont réalisés par des hommes et qu’entre termes d’écart salarial, les réalisatrices sont encore payées près d’un tiers de moins que leurs équivalents masculins.
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Dans ce contexte, lorsque toi, Maïwenn, réalisatrice (re)connue, tu balances à la presse que ton métier « fait appel aux hormones masculines », tu pérennises des stéréotypes et tu nous tires une balle dans le pied à nous toutes, à toutes celles qui galèrent et qui aimeraient un jour pouvoir y arriver !
D’autant plus que cet argument semble tout bonnement construit de toutes pièces. Sur quelle étude te bases-tu ? Où as-tu vu qu’il était scientifiquement prouvé qu’il fallait avoir un taux de testostérone suffisamment élevé pour pouvoir être doué•e derrière la caméra ? Dans ce cas, comment se fait-il que toi, une femme, tu as pu réaliser des longs-métrages avec brio ? Comment se fait-il que d’autres comme Laetitia Masson, Agnès Varda, Marjane Satrapi, Celine Sciamma, pour n’en citer que quelques-unes, aient réussi malgré leurs vilains oestrogènes ? Tu te rends bien compte que ton argument est totalement infondé !
Si les femmes sont cantonnées aux métiers de stylistes, maquilleuses ou d’assistantes de production, ce n’est pas par prédéterminisme génétique : c’est tout simplement le fruit d’une construction sociale au sein d’une société sexiste.
Maïwenn, si tu peux aujourd’hui voter et exercer le métier de ton choix, c’est tout simplement parce que des femmes se sont battues avant toi. En tenant des propos de ce genre, tu nous ramènes cinquante ans en arrière : mes hormones féminines seraient-elles à leur place derrière les fourneaux ?
D’ailleurs, peut-être que s’il y avait plus de réalisatrices, les personnages féminins au sein des fictions seraient plus ambitieux et les femmes arrêteraient d’être vues comme des objets ou des faire-valoir, comme c’est encore trop souvent le cas dans de nombreuses oeuvres audiovisuelles.
Enfin Maïwenn, tes remarques sur « les quotas de juifs et d’arabes » mériteraient quant à elles un article à elles toutes seules, car je ne trouve pas ça non plus très pertinent de minimiser la sous-représentation des différentes origines au sein du cinéma français.
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Donc s’il te plaît Maïwenn, toi qui a la chance de pouvoir vivre de ta passion, toi qui es écoutée et qui peux prendre la parole en public, réfléchis à deux fois avant de balancer des bêtises pareilles ! Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais à ton échelle, tu mets des bâtons dans les roues de toutes celles qui te succèdent. Je ne te demande pas de nous soutenir, mais au moins de ne pas nous accabler.
N’étant pas rancunière, j’irai probablement voir Mon Roi lors de sa sortie en salles… enfin, si mes hormones me le permettent.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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