Même avant la pandémie, la gestion de la communication d’Emmanuel Macron posait question. Auprès de Challenges en 2016, juste avant son élection, il critiquait la posture de « président normal » de son prédécesseur François Hollande, et appelait à la nécessité d’un homme de pouvoir « jupitérien » qui « doit conduire la société à force de convictions, d’actions et donner un sens clair à sa démarche. »
Force est de constater qu’il préfère depuis enchaîner les symboles, y compris les plus fâcheux (pour ne pas dire facho), surtout depuis la pandémie.
« Je n’ai aucun mea culpa à faire » : OK Jupiter
Le Covid-19 a plongé encore plus les jeunes dans la précarité, comme l’ont tristement illustré tant d’images d’étudiants et étudiantes faisant la queue sous la pluie pour des colis alimentaires. Une enquête du Monde publiée le 18 juin 2021 vient de chiffrer le coût humain du troisième confinement, retardé par le gouvernement Macron à avril alors que les scientifiques le réclamaient à corps et à cris dès fin janvier :
« Selon nos estimations, environ 14.600 décès, 112.000 hospitalisations, dont 28.000 en réanimation, et 160.000 cas de Covid-19 longs auraient pu être évités. »
Pourtant, le président jupitérien se gargarisait quand même le 25 mars lors d’une conférence de presse :
« Je peux vous le dire : nous avons eu raison de ne pas reconfiner la France à la fin du mois de janvier parce qu’il n’y a pas eu l’explosion qui était prévue par tous les modèles. Je peux vous affirmer que je n’ai aucun mea culpa à faire, aucun remords, aucun constat d’échec. »
Depuis le déconfinement progressif, Emmanuel Macron est peu apparu publiquement. Enfin, il s’est quand même pris une gifle de la part d’un homme abonné à plusieurs chaînes YouTube de personnalités d’extrême droite (laquelle trouvera bien une pirouette mensongère pour faire croire que c’est la faute de l’islamogauchisme), Damien Tarel, le 8 juin 2021. Celui-ci a été condamné à 4 mois de prison ferme.
Si seulement autant de réactivité et de sérieux pouvaient être déployés de la part de la justice et de la police autour des violences sexistes et sexuelles, dont les violences conjugales…
Inaugurer La Samaritaine, parler avec Justin Bieber, et laisser des jeunes être matraqués
C’est dans ce climat tendu qu’Emmanuel Macron a brillé par la violence des contrastes sociaux le 21 juin 2021. en inaugurant La Samaritaine. Ce grand magasin parisien historique avait été brutalement fermé en 2005 car il n’était pas du tout aux normes de sécurité, jetant dans la précarité beaucoup de ses 1.400 salariés et salariées. Il venait d’être racheté en 2001 par le groupe de luxe LVMH qui était donc prêt à financer sa longue rénovation débutée en 2015.
Les travaux terminés, le PDG de LVMH Bernard Arnault a donc invité le couple présidentiel a venir l’inaugurer avant l’ouverture officielle du 23 juin. Comme le rapporte Le Figaro, Emmanuel Macron a ainsi tenu comme édifiant discours :
« Malgré les masques que chacun porte encore ici, je vois les sourires, je vois l’enthousiasme. Le moment est venu de repartir, de réattirer ici du monde, de retrouver la vie sous toutes ses composantes. Quand il y a des volontés bien chevillées, quand il y a le meilleur de ce qu’est la France — c’est-à-dire le sens des traditions, de l’ancrage dans l’histoire, et la créativité — le temps ne nous arrête pas. »
Retrouver la vie en commençant par du shopping de luxe
, et en faire un enjeu de volonté plus fort que les déterminismes sociaux, c’est un message d’une violence sociale sidérante. Mais ce n’était que le début de cette folle journée d’escalade de la brutalité symbolique.
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Puisque le président a ensuite reçu, sous les ors de l’Élysée, Justin Bieber ce même jour pour parler de la jeunesse et du climat. La légitimité du chanteur canadien sur ce genre de sujet ? Je la cherche encore, a fortiori en France. Ce n’est pas comme si ça faisait des années que des étudiants et étudiantes français s’organisaient pour dénoncer la catastrophe environnementale, y compris à travers des marches pour le climat…
Histoire de terminer en beauté cette journée de fête de la violence musique, la police pourchassait des jeunes ayant eu l’outrecuidance de se réunir en plein air pour le solstice. Feindre d’écouter les jeunes en invitant un chanteur canadien de 27 ans qu’ils n’écoutent plus depuis belle lurette, et en même temps, laisser la police les traquer à coups de matraque et de lacrymo dans la rue, ça se pose là.
#EtudiantsPasInfluenceurs, #EtudiantsSansMaster : la détresse d’une jeunesse ignorée
Tout cela rappelle également que des talents des réseaux sociaux, qui ne faisaient plus d’études et menaient un tout autre train de vie que les ados et jeunes adultes précaires, avaient pourtant été choisis par le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal pour parler publiquement de l’impact de la crise sanitaire sur les jeunes. D’où la naissance du hashtag de protestation #EtudiantsPasInfluenceurs.
Feindre d’écouter la précarité et détresse étudiante avec des influenceurs qui ne la vivent plus, c’est encore une terrible illustration d’invisibilisation des personnes les plus concernées par le problème.
Aujourd’hui, après trois ans de réformes des études toutes plus incompréhensibles, un an et demi de pandémie, toute cette violence symbolique opère au lendemain de la nouvelle épreuve du bac qu’est le grand oral dont la première a été chaotique, et des résultats de ParcourSup qui laissent tant d’étudiants sur le carreau — beaucoup témoignent désormais sur le hashtag #EtudiantsSansMaster.
C’est toute une frange de la jeunesse française qui se sent donc pire qu’abandonnée : invisibilisée, silenciée, matraquée… et en même temps culpabilisée pour ne pas être allée voter au premier tour des élections régionales et départementales du 20 juin 2021.
Le Dieu du ciel, de la lumière, et du tonnerre qu’est Jupiter peut-il être frappé par sa propre foudre ? L’élection présidentielle de 2022 nous le dira.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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