L’affaire Weinstein et le mouvement MeToo en 2017 et 2018 ont été très difficiles à vivre pour moi. Je me suis énormément retrouvée dans les témoignages, à la fois dans le rôle de la victime et dans le rôle de l’agresseuse. J’ai pris conscience à ce moment-là que je n’avais pas consenti à plusieurs de mes relations sexuelles. J’ai aussi compris que je ne m’étais pas assez préoccupée du consentement d’autres femmes.
Je me suis mise à lire les témoignages de façon presque compulsive, tout en sachant que ça me mettait dans un état d’anxiété difficilement supportable. Je me souviens en particulier d’un enregistrement de Weinstein dans un couloir d’hôtel avec une jeune femme qu’il essayait de faire culpabiliser pour qu’elle le suive dans sa chambre, sur le mode « ne fais pas de scandale, ne me fais pas honte en agissant comme quelqu’un d’immature ». Cette scène, je l’ai vécue en tant que victime, avec les mêmes arguments.
La colère est arrivée assez rapidement après MeToo
C’était à la fois douloureux de revivre ces moments, de m’en vouloir de mes réactions à l’époque, et exaltant de lire des analyses du mécanisme de ce piège en particulier et des réflexions féministes plus générales.
Et puis assez rapidement, la colère est arrivée, contre les hommes qui m’ont agressée ou ont profité de ma naïveté. Mais aussi contre moi-même pour m’être laissée faire et ne pas avoir compris sur le moment. Et surtout, pour avoir à mon tour agressé des filles.
J’ai commencé à manger de façon compulsive pour ne pas laisser sortir tous ces sentiments de colère et de détresse, pour les enterrer sous de la nourriture. J’ai pris quasiment 10 kilos en trois mois. J’aurais aimé aller voir un·e psy, mais ce n’était pas possible à ce moment-là car j’étais à l’étranger.
Victime et bourreau
De mes six ans à mes treize ans, j’ai eu des relations sexuelles avec mon frère, qui a deux ans de plus que moi. Et je n’ai réellement pris conscience que mon consentement n’était pas valable que l’année dernière.
À 19 ans, j’ai été victime d’un homme de 43 ans qui m’a manipulée et contrainte (y compris physiquement) à coucher avec lui alors que je ne voulais pas. J’ai rangé ça dans le tiroir des « mauvaises expériences » jusqu’à ce que la phrase « céder n’est pas consentir » fasse tilt dans ma petite tête et que je comprenne que j’avais été violée. Et je ne compte pas toutes les autres petites agressions, si banales que j’en ai sûrement oublié plein.
Dans ma jeunesse, je n’avais jamais entendu parler du consentement. De la même manière que je ne m’offusquais pas quand un mec était insistant avec moi, je pensais que c’était normal d’insister pour qu’une fille m’embrasse, ou de me rapprocher d’elle physiquement pour la draguer, sans vérifier si elle était vraiment partante. Maintenant, évidemment, je regrette amèrement.
Pas conscience de faire du mal
Dans les témoignages publiés suite au mouvement #MeToo, j’ai lu beaucoup de femmes en colère contre leurs agresseurs et parfois contre les hommes en général. Je suis sûre qu’il y a un paquet d’hommes qui méritent cette colère, comme l’ordure qui m’a violée quand j’avais 19 ans et qui savait exactement ce qu’il faisait.
Mais dans le même temps, je me souviens que quand j’ai agressé des filles, je n’avais sincèrement pas conscience de faire du mal. Je reproduisais un modèle de relation que j’avais vécu et vu représenté dans les médias sans le remettre en question (je ne dis pas que ça m’excuse).
Du coup, quand certains hommes sont pris de vertige à imaginer qu’énormément des interactions qu’ils pensaient normales et innocentes puissent être qualifiées d’agressions, je peux les croire. Je comprends que pour beaucoup d’hommes, la remise en question soit très douloureuse. Je crois qu’il faut le prendre en compte, mais ne pas lâcher le morceau dans la lutte contre les violences sexuelles.
Continuer à se battre contre la culture du viol
Très vite après le début de l’affaire Weinstein, j’ai envoyé un message sur Facebook à la seule fille dont j’avais les coordonnées. C’est une ancienne amie que j’ai perdue de vue des années après un épisode dont j’ai honte. Nous dormions ensemble dans le même lit, et à plusieurs reprises j’ai insisté auprès d’elle pour qu’elle me laisse lui toucher les seins. Heureusement, elle n’a pas cédé.
Mon message était assez court, je lui disais que je regrettais d’avoir été très insistante et que je n’attendais pas son pardon. J’ai envoyé ce message parce que je me suis dit que j’aimerais savoir que mes agresseurs regrettent ce qu’ils ont fait, mais cette ancienne amie ne m’a pas répondu, et je ne sais pas finalement si c’était une bonne idée de l’envoyer.
Au niveau individuel, je fais maintenant toujours attention à mon attitude, mais je ne peux pas changer le passé et je m’en veux toujours.
Face à cette situation, je n’ai pas de solutions, à part continuer à me battre contre la culture du viol. Encore aujourd’hui, je suis consumée par la colère et j’ai le sentiment d’un immense gâchis. Je ne vois nulle part de témoignages de femmes bisexuelles comme moi qui auraient vécu des expériences similaires. Pourtant, je ne dois pas être la seule… C’est une discussion que j’aimerais vraiment avoir avec d’autres femmes et éventuellement des hommes.
Éduquer au consentement
Mon objectif en témoignant aujourd’hui, ce n’est surtout pas de chercher à échapper à mes responsabilités. J’en savais suffisamment à l’époque pour faire d’autres choix et agir autrement. Mais je pense que l’absence totale de conscience qu’une fille pouvait être agresseuse, et donc que je pouvais l’être moi-même, a joué dans mes mauvaises décisions. C’est pour ça que je crois que cette idée devrait faire partie de l’éducation de tous les enfants, quel que soit leur genre : ce n’est pas parce qu’on est gentil·le ou parce qu’on est une fille qu’on ne peut pas outrepasser le consentement de quelqu’un.
Je voudrais aussi rajouter une précision : je ne veux surtout pas suggérer que les femmes bisexuelles seraient particulièrement des agresseuses en puissance. Non seulement les femmes sont statistiquement plus souvent victimes et les hommes plus souvent responsables des violences sexuelles, mais les femmes bisexuelles seraient aussi selon certaines études parmi les populations les plus souvent victimes de violences sexuelles (lorsqu’on prend en compte uniquement l’orientation sexuelle et pas d’autres facteurs comme la couleur de peau, le handicap, etc.).
En revanche, mon expérience personnelle me laisse penser que la situation des violences sexuelles est bien plus complexe que ce qui est généralement présenté dans les médias et qu’on a tout intérêt à le reconnaître pour avancer dans la prévention.
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