C’était une horloge. C’est idiot, hein ? Une bête horloge… qui a valu à Ahmed Mohamed, un lycéen texan, de se faire arrêter par la police. Et de rencontrer Barack Obama. Et d’avoir son nom dans tous les médias, en Amérique puis à l’international. Et de mettre en avant, une fois de plus, le racisme latent aux États-Unis. Ça te semble vague ? Attends de lire la suite.
Ahmed Mohamed, un lycéen brillant
Tout a commencé le 14 septembre dernier. Imagine-toi un peu : nous sommes aux États-Unis, à Irving, ville du Texas située dans le comté de Dallas. C’est là que vit Ahmed Mohamed, 14 ans, passionné de robotique, élève sérieux du lycée MacArthur. Tellement passionné que le soir, avant de se coucher, il continue à bidouiller des trucs et des machins. Et en plus, il est doué : il construit ses propres radios, et a déjà conçu une enceinte Bluetooth pour un de ses amis, rapporte The Washington Post.
Le 14 septembre donc, Ahmed a débarqué au lycée avec l’horloge qu’il venait de fabriquer, dans le but de la montrer à son professeur de technologie. Cette horloge était un peu plus grosse qu’un modèle industriel, fabriquée à partir d’une boîte métallique, avec des fils et une carte de circuit imprimé, décrit Time.com. Le lycéen attendait sans doute des félicitations, et ça peut se comprendre : c’est même relativement légitime, quand on est bon élève, d’espérer la reconnaissance de la part de ses profs ! Et même si ce n’est pas toujours le cas, Ahmed Mohamed ne s’attendait certainement pas à la réflexion de son prof de technologie…
« C’est très bien. Je vous conseillerais de ne pas la montrer à d’autres profs. »
Bon. Pourquoi pas. Un peu plus tard, pendant le cours d’anglais, l’horloge a sonné. La professeure lui a alors demandé d’amener l’objet. Elle l’a conservé, après avoir fait ce commentaire, dont Ahmed s’est défendu :
« Ça ressemble à une bombe. »
Une arrestation précipitée
Pendant la sixième heure de cours, le proviseur est venu chercher Ahmed, et l’a sorti de la salle. Le jeune homme a raconté aux médias :
« Ils m’ont emmené dans une pièce où se trouvaient cinq policiers, dans laquelle ils m’ont interrogé, ont fouillé dans mes affaires et ont pris ma tablette et mon invention. Ils m’ont dit : « Alors tu as essayé de fabriquer une bombe ? » Je leur ai dit que non, que j’essayais de fabriquer une horloge. »
Est-ce qu’on l’a écouté ? Est-ce qu’on a tenté de comprendre ? Non. Les policiers sont restés dans l’idée qu’il s’agissait d’une bombe. Le professeur de technologie, qui avait vu l’horloge, n’a pas été sollicité. Après l’interrogatoire, Ahmed a été menotté et emmené dans un centre de détention pour mineurs, où on a pris ses empreintes digitales. On l’a à nouveau interrogé, sans lui laisser la possibilité de contacter ses parents.
Du côté du lycée, on se heurte à un mur. À la télévision, la porte-parole de l’Irving Independent School District a refusé de fournir des explications, et estime que la réaction adoptée par l’établissement fait partie d’un processus normal :
« Nous demandons toujours à nos étudiant•e•s et au personnel de se faire connaître immédiatement s’ils observent des comportements et/ou des objets suspicieux. Si quelque chose sort de l’ordinaire, l’information doit être rapportée immédiatement à un administrateur de l’école et/ou à la police afin qu’elle puisse être traitée immédiatement. Nous prendrons toujours les précautions nécessaires pour protéger nos élèves et garantir autant que possible la sécurité de la communauté du lycée. »
D’après le rapport de police, trois enseignants du lycée ont porté plainte contre Ahmed, et l’accusent d’avoir voulu monter un canular. Le lycéen est libéré un peu plus tard, lorsque ses parents viennent le chercher. Mais il est suspendu du lycée pendant trois jours à compter du 14 septembre. Et l’horloge est conservée par la police, à titre d’élément de preuve.
Internet à la rescousse
Heureusement pour Ahmed, l’épisode n’est pas allé s’enterrer dans les pages d’un journal local. Dans les heures qui ont suivi son arrestation, un hashtag a été lancé : #IStandWithAhmed (« Je soutiens Ahmed »). Et un deuxième : #HelpAhmedMake (« Aidons Ahmed à créer »)
#IStandWithAhmed a aussitôt déferlé sur les Internets : d’après Topsy, le hashtag est apparu 999 897 fois sur Twitter entre le 14 et le 16 septembre ! Il a été repris par les plus grand•e•s comme par les citoyen•ne•s lambdas. Tou•te•s se sont indigné•e•s de l’histoire d’Ahmed. Et ont soulevé le doute, enfin : les origines et le patronyme du lycéen n’expliqueraient-ils pas l’action des autorités, qui semble disproportionnée vis-à-vis des événements ?
Devant ce tollé, enfin, les autorités ont réagi de manière mesurée. Le 16 septembre, le chef de la police d’Irving a annoncé en conférence de presse qu’aucune charge ne serait retenue à l’encontre d’Ahmed Mohamed :
« Nous n’avons aucune preuve soutenant qu’il y a eu une intention de créer une inquiétude ou de créer une préoccupation. »
Ce même jour, le père d’Ahmed, lui, a accueilli à bras ouverts les médias qui se présentaient à sa porte pour obtenir sa réaction et des nouvelles de son fils. D’origine saoudienne, il vit aux États-Unis depuis 30 ans, et n’a pu que déplorer la manière dont son fils a été humilié, comme il l’a déclaré au Dallas Morning News :
« Ce n’est pas l’Amérique. Mais ce qui se passe a touché le coeur de tous ceux qui ont des enfants. Ça, c’est l’Amérique. »
« Comment le père d’Ahmed, 14 ans, a-t-il réagi quand des hordes de médias ont débarqué devant sa maison ? Il leur a donné à manger. »
Une illustration des préjugés anti-musulman•e•s
Rien ne permet de dire qu’Ahmed n’ait voulu fabriquer une bombe. Alors pourquoi ? Pourquoi cette précipitation à accuser, ce jugement manu militari, cette arrestation qui semble totalement démesurée au vu des faits ? Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une telle méprise se produit, rappelle Time.com :
« L’horloge d’Ahmed n’est qu’un exemple extrême de la réaction excessive des autorités scolaires envers tout comportement qu’ils jugent menaçant. En novembre, un député du Kentucky a passé les menottes à un élève d’école élémentaire pour son mauvais comportement en classe. L’année dernière, un élève a été suspendu d’une école élémentaire en Ohio pour avoir reproduit la forme d’une arme avec ses doigts. En mars 2014, un jeune enfant a été suspendu pour avoir rasé sa tête en solidarité avec un ami qui avait un cancer.»
La « menace » qui rend si méfiante les autorités américaines n’a rien de vague. Leur méfiance concerne une certaine communauté : celles des personnes musulmanes. The New York Times rapporte que selon les Démocrates, la détention d’Ahmed est une conséquence visible des opinions anti-musulman•e•s ancrée chez les autorités d’Irving : le maire de la ville est connu pour avoir accusé un groupe de médiation entre résident•e•s musulman•e•s d’avoir tenté d’établir une charia (une loi islamique) anti-Américain•e•s.
Le père d’Ahmed, lui aussi, pense que son fils est victime de discrimination et d’islamophobie :
« […] parce que son nom est Mohamed et en raison du 11 septembre, je pense que mon fils a été maltraité »
Certains sites conservateurs, écrit encore le New York Times, proclament d’ailleurs qu’Ahmed n’a pas sa place aux États-Unis. Le Council on American-Islamic Relations, une association qui défend les libertés civiles des personnes musulmanes dans le pays, a prévu de se pencher sur l’affaire.
À lire aussi : L’islamophobie ordinaire — Vos témoignages
Les autorités locales se défendent de toute discrimination, et affirment que le lycéen aurait été traité de la même façon s’il avait été blanc, avec un nom américain, note Fox News. Il aurait été menotté « pour sa sécurité et celle des policiers », selon eux.
L’attaché de presse de la Maison Blanche, où l’histoire est remontée, soutient néanmoins la thèse de la discrimination et en profite pour passer un message :
« Cet épisode est une bonne illustration de la manière dont les stéréotypes malveillants peuvent empêcher même les gens bienveillants, qui ont consacré leur vie à éduquer des jeunes gens, de faire le bon travail qu’il entreprennent de faire. […]
Il est clair que certains des enseignants d’Ahmed l’ont déçu. C’est vraiment dommage, mais il n’est pas trop tard pour nous tous pour faire de cet épisode un enseignement, et pour chercher les biais dans notre propre conscience, quelle que soit la forme qu’ils prennent. »
Des menottes… au soutien de Barack Obama himself
L’histoire a en effet fini par arriver aux oreilles du président des États-Unis, Barack Obama. Lequel a manifesté son soutien à Ahmed Mohamed, peu de temps après la conférence de presse du 16 septembre :
« Chouette horloge, Ahmed. Tu veux l’amener à la Maison Blanche ? Nous devrions motiver plus d’enfants comme toi à aimer la science. C’est ce qui fait la grandeur de l’Amérique. »
Lors de son arrestation, Ahmed portait un t-shirt barré du logo de la NASA. La Maison Blanche lui a donc également proposé de participer à la Nuit de l’Astronomie du mois prochain, afin qu’il puisse rencontrer les scientifiques et les astronautes, ce que le lycéen a accepté avec plaisir.
Mark Zuckerberg, le PDG et fondateur de Facebook, a également fait une proposition plutôt sympathique à Ahmed.
« Vous avez probablement suivi l’histoire d’Ahmed, le lycéen de 14 ans au Texas, qui a construit une horloge et a été arrêté quand il l’a amenée à l’école. Avoir les compétences et l’ambition de construire quelque chose de cool devrait provoquer les applaudissements, pas l’arrestation. Le futur appartient aux gens comme Ahmed. Ahmed, si jamais tu veux venir faire un tour chez Facebook, j’adorerais te rencontrer. Continue à construire. »
Voici enfin la réaction d’Hillary Clinton :
« Les préjugés et la peur ne nous mettent pas en sécurité, mais nous freinent. Ahmed, reste curieux et continue à construire. »
Ahmed et sa famille ont d’ailleurs lancé un compte Twitter au même libellé que le hashtag, pour remercier celles et ceux qui les ont soutenus.
Mais ces marques de soutien, aussi impressionnantes soient-elles, ne peuvent cacher le mal qui a déjà été fait. Dans une interview vidéo, le lycéen expliquait qu’il s’était senti traité « pas comme un humain, comme un criminel ». Il espère aussi utiliser sa visibilité médiatique pour aider d’autres enfants qui se retrouveraient dans sa situation. Pendant que la polémique continue, Ahmed, lui aussi, poursuit le cours de son existence, avec quelques réticences, comme le raconte le Dallas Morning News :
« Pendant ce temps, Ahmed reste à la maison dans sa chambre, bricole avec de vieux engrenages et des convecteurs électriques, et prononce des mots comme « ethnicité » — cela semble être la première fois. Il a juré qu’il n’amènerait plus jamais une invention à l’école. »
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Les Commentaires
Cela étant dit, je vais dans le sens de @guerredesmiroirs : chez nous, c'est à peine mieux. Je constate qu'on nous ressort encore le non-problème du voile à la fac, comme si une femme venue étudier pour avoir un métier intéressant et qualifié était une espèce de terroriste, quelqu'un de pas intégré (mais qui va à la fac), etc. Dans la mienne il y a des étudiantes très sérieuses qui portent le voile voire le niqab (je crois que c'est le nom du vêtement qui couvre la tête mais pas le visage et qui descend jusqu'au pieds) et ça ne gêne personne, ni les profs ni nous leurs camarades. D'ailleurs tous les gens qui défendent la laïcité sous la forme de "pas de signes religieux ostentatoires", je ne croirai à leur sincérité que le jour où ils voudront interdire aux étudiants juifs de venir en kippa. Bizarrement y en a aucun (notons que je n'ai rien non plus contre le port de la kippa à l'université).