Depuis que l’affaire Weinstein a éclaté, la parole des femmes victimes de violences sexuelles s’est libérée. Les hashtags #MeToo (#MoiAussi) et #BalanceTonPorc donnent une indication de l’ampleur du phénomène.
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Même si nous connaissons les statistiques, même si nous savons, le nombre de témoignages est glaçant. Et ce qui est tout aussi glaçant… ce sont tous ces membres de l’entourages qui savent mais se taisent.
Pourquoi est-ce que, face à des actes de harcèlement et/ou d’agressions, certain•es ne disent rien ?
Les explications sont multiples et, pour la plupart, liées à des systèmes — un système patriarcal dans lequel nous grandissons, un système au sein duquel l’abus de pouvoir est quelque chose de banalisé…
Le mécanisme est insidieux : on transforme, on minimise, on temporise.
Ces violences sexistes du quotidien passées sous silence
Parfois, l’un de vos collègues, ou de vos camarades de classe, fait une blague sur la tenue que porte une femme, une jeune fille. C’est juste une blague.
Parfois, un homme politique claque les fesses d’une collaboratrice. C’est juste une maladresse.
Parfois, tout le monde dit d’un de vos potes qu’il est graveleux, lourd, collant. C’est juste comme ça, c’est sa personnalité.
Alors que NON.
Les mots ont un sens : juger la tenue d’une femme, faire une blague sur les blondes écervelées, c’est faire preuve de sexisme. Toucher volontairement une femme sans son consentement, c’est une agression. Pas une maladresse : une agression.
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Mais alors, pourquoi laisse-t-on passer ? Pourquoi, souvent, nous taisons-nous ? Les recherches en sciences humaines apportent quelques éléments de réponse.
Face à une agression, nos certitudes s’envolent
En 2010, Rolf Pohl, chercheur en psychologie sociale, a publié les résultats d’une recherche intéressante.
Il a proposé à des participant•es de lire des scénarios hypothétiques de harcèlement sexuel. Après lecture, les personnes devaient indiquer si, selon elles, elles réagiraient face à ces actes.
Les résultats étaient très prometteurs : bien sûr, la majeure partie affirmaient que oui, elles seraient intervenues si elles avaient été témoins de telles situations !
Ouf ? Pas franchement… les chercheurs estiment qu’il y a parfois une grande différence entre ce que l’on pense que l’on ferait et ce que l’on fait réellement.
Selon certain•es scientifiques, cette réaction pourrait être liée à un « biais d’impact » : nous aurions tendance à surestimer l’impact d’un évènement sur nous (qu’il soit positif ou négatif).
Dans ce cas précis, il est possible qu’on surestime l’impact du fait d’être témoin d’une situation de harcèlement. On pense être révolté•e, scandalisé•e… bref, ressentir une émotion telle que nous ne pourrions pas ne PAS réagir.
Mais en réalité, pour tout un tas de raisons psychologiques, l’impact de la situation pourrait être différent, et on peut ne pas du tout intervenir.
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Cela ne signifie pas que nous ne ressentons rien, mais plutôt que nos émotions sont gérées différemment de ce que l’on pensait.
L’effet témoin s’active aussi dans les cas de harcèlement sexuel
Notre absence de réaction peut être liée à ce que les spécialistes nomment « l’effet témoin » (ou « effet spectateur ») : la probabilité que j’intervienne lors d’une urgence est inversement proportionnelle au nombre de témoins présents.
Plus il y a monde, moins je risque de m’interposer, en résumé.
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Latané et Darley (1968) ont mis en place une première étude sur ce thème.
Des sujets participaient à une conversation via interphone (le participant ne voit aucune des personnes avec lesquelles il parle, il les entend simplement). Lors de la conversation, l’un des individus subit une crise d’épilepsie.
Rassurez-vous, il s’agit d’un complice, tout comme les autres personnages… sauf le participant bien sûr !
Les résultats sont probants :
- Lorsque le sujet pense qu’il est le seul témoin (conversation à deux), il intervient dans 85% des cas
- Lorsqu’il pense qu’un autre témoin est présent (conversation à trois), il agit dans 62% des cas
- Lorsqu’il croit que quatre autres témoins entendent la scène, il n’intervient que dans 31% des cas.
L’expérience a été reprise de nombreuses fois, dans une multiplicité de contextes différents, et l’effet est toujours le même : plus les témoins sont nombreux, moins ils sont susceptibles d’intervenir.
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Pour les scientifiques, l’effet témoin pourrait s’appuyer sur trois mécanismes.
- L’influence sociale : j’attends de voir comment les autres réagissent (et s’ils ne réagissent pas… c’est peut-être qu’il n’y a pas lieu de réagir)
- L’appréhension de l’évaluation : je crains de me tromper dans l’évaluation que je fais de la situation (et j’ai peur du regard des autres)
- La diffusion de la responsabilité : plus nous sommes nombreux, moins la responsabilité d’agir pèse sur moi spécifiquement.
Je suis témoin d’un comportement sexiste, je fais quoi ?
Nous n’avons pas reçu de malédiction terrible : nous pouvons apprendre à réagir. Et dans le cas précis qui nous préoccupe, celui des comportements sexistes, vous, les hommes, vous pouvez apprendre à intervenir.
Apprendre à avoir une réaction lorsque l’un de vos pairs se comporte de manière sexiste, lorsqu’un l’un de vos copains agit de manière graveleuse, lorsque votre meilleur pote fait un commentaire inapproprié.
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Comment s’entraîne-t-on à réagir ?
Les choses sont plus simples qu’il n’y paraît ! Pour prendre la décision d’intervenir, vous passerez par trois étapes.
- D’abord, vous remarquerez la situation (car vous vous serez renseigné sur ce que sont le sexisme, le harcèlement…)
- Ensuite, vous comprendrez qu’une réaction de votre part à vous est urgente (on n’est jamais mieux servi que par soi-même)
- Enfin, vous déciderez qu’une intervention de votre part est la « bonne » réponse à la situation.
Avec ces trois petites étapes, vous pourrez contribuer à un immense changement ! Si nous voulons vraiment changer les choses, mettre les harceleurs et les agresseurs devant leurs responsabilités, nous ne pouvons plus nous taire.
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Comme le disait Mymy en paraphrasant Gwyneth Paltrow, visée par Harvey Weinstein :
« Il faut faire passer le mot : l’impunité, c’est fini. »
L’idée n’est pas de dire : c’est aux hommes de protéger les femmes. C’est plutôt de ne plus protéger, par l’inaction, les membres de nos entourages qui harcèlent, discriminent, abusent, violentent.
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