Le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse a décidé de faire de la lutte contre le harcèlement scolaire sa priorité pour la rentrée scolaire 2023, en proposant notamment une heure de sensibilisation au collège. Cela sera-t-il suffisant pour lutter contre ce fléau ?
Une fin d’année scolaire sous tensions
Un mois après le suicide de Lindsay, 13 ans, collégienne victime de harcèlement scolaire dans le Pas-de-Calais, le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Pap Ndiaye, a annoncé une heure de sensibilisation dans tous les collèges de France, dès cette semaine. Cette décision a été accompagnée de l’annonce d’un renforcement de la lutte contre le harcèlement scolaire à la rentrée de septembre 2023.
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Les associations de lutte contre le harcèlement rient jaune, tant le timing de ces annonces est mauvais, à 3 semaines de la fin des cours, et l’action mise en place insuffisante. Le harcèlement scolaire touche, selon les enquêtes Depp (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), 5,6 % des collégiens, 2,6 % des CM1-CM2, et 1,3 % des lycéens. L’accès des élèves aux smartphones et aux réseaux sociaux, et l’apparition du cyberharcèlement, a encore amplifié ce phénomène. Les associations de lutte contre le harcèlement scolaire pensent même que les chiffres de la Depp sont sous-évalués.
L’implication des écoles est-elle suffisante ?
Joanna Dagorn, chercheuse associée au laboratoire LACES de l’Université de Bordeaux, était il y a dix ans membre de la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire. « À cette époque, la France commençait tout juste à traiter le sujet du harcèlement scolaire avec sérieux, on a notamment mis en place le numéro vert en 2012 ». Mais en une décennie, les stratégies mises en place dans les établissements scolaires ont-elles été suffisantes ?
« Ce n’est jamais suffisant, on peut toujours mieux faire » explique la chercheuse. « Ce qui manque, c’est une formation de la communauté éducative dans sa globalité à la détection des signaux faibles. Non seulement les enseignants, mais également le personnel non pédagogique, et les parents d’élèves. Les élèves constatent les cas de harcèlement, mais les adultes ne le voient pas s’ils ne sont pas formés à la détection des signaux faibles. »
Parmi ces signaux, on peut retrouver un décrochage scolaire, un isolement, un repli sur soi, un refus d’aller en cours, des affaires abîmées ou perdues, ou encore un comportement agressif. Un enfant harcelé peut lui-même devenir insolent, et donc passer sous le radar. « En connaissant ces signaux, cela accroît les chances de pouvoir détecter un harcèlement en amont. Ce qui n’empêche pas de faire de la prévention, pour les autres élèves. »
Pour Nicole Sacagiu, présidente de l’association Parle, je t’écoute, pour que l’action des écoles soit efficace, il faudrait qu’elles se mettent en relation avec les associations de lutte contre le harcèlement scolaire.
« Tant que chaque acteur reste dans son coin, on ne peut pas avancer. Les associations ont besoin des écoles pour aider les victimes à retourner en cours dans de bonnes conditions. Mais on a également besoin qu’elles nous envoient les enfants harceleurs et leurs parents, que nous pouvons aussi accompagner. De plus, les enfants victimes ou témoins n’osent pas se confier à leurs enseignants, ou à des référents à l’intérieur de l’établissement, par peur de représailles. Et on ne peut pas demander aux professeurs, non formés et démunis par ces situations, de prendre en charge cela. Les élèves ont donc besoin d’un référent en dehors de l’école, pour pouvoir s’exprimer. »
Selon Catherine Jacquet, vice-présidence de l’association Marion la main tendue, il est également nécessaire de faire en sorte qu’il y ait un lien entre établissement scolaire, périscolaire et structures sportives, car le harcèlement ne s’arrête pas à l’école. « Il faut faire un travail de rapprochement entre enseignants, animateurs, et animateurs sportifs, et les former aux compétences psychosociales. »
Emmanuelle Piquet, psychopraticienne en thérapie brève et stratégique selon l’École de Palo Alto, et membre du regroupement À 180 Degrés, fait le constat que les équipes éducatives ne sont pas satisfaites de ce que l’Éducation nationale propose.
Elle suggère plutôt de « former et superviser deux référents volontaires clairement identifiés par collège, pendant 10 journées, avec une dizaine de collègues d’autres établissements », car les formations courtes sont insuffisantes et donc inefficaces, et tous les professeurs n’ont pas envie d’être formés sur ce sujet.
Les parents ont-ils un rôle essentiel à jouer ?
Joanna Dagorn soulève un point important :
« La majorité des harceleurs ne se rendent pas compte des conséquences que peuvent avoir leurs actes, ils le font pour s’amuser. Au niveau des statistiques, les enfants qui harcèlent exprès pour faire mal sont très résiduels. Et pour ceux-là, on ne peut rien faire. »
L’association Parle, je t’écoute propose une sensibilisation pour les enfants harceleurs, afin de leur faire prendre conscience de la gravité de leur action. « Il faut également comprendre pourquoi ils font ça, il y a toujours une raison, mais elle n’est pas liée à la victime. L’enfant qui harcèle est souvent aussi en grande souffrance : divorce des parents, décès d’un parent, maltraitance, violence intrafamiliale, ou encore abus. » explique Nicole Sacagiu.
Les parents ont donc un rôle essentiel à jouer, notamment dans l’inculcation du respect d’autrui, en montrant l’exemple. « Le harcèlement a toujours existé », explique Joanna Dagorn. « Il n’y a qu’à voir La guerre des boutons, c’est très violent, mais on acceptait ce harcèlement. Désormais, on n’accepte plus que la société fonctionne en martyrisant une partie des gens, peu importe si c’est pour s’amuser ou sans mauvaises intentions. Depuis mars 2022, le harcèlement est un délit, et la peine encourue est corrélée à l’état de santé de la victime, pas à l’intentionnalité de l’agresseur ».
Nicole Sacagiu relève également le rôle crucial des parents :
« On fait de la sensibilisation auprès des parents, car la première fois qu’un enfant vit un harcèlement, il se confie toujours. Mais en tant que parents, on minimise, on pense qu’il s’agit de petites chamailleries. L’enfant ne se sent pas compris et plonge dans le silence. Ce moment est donc essentiel, il faut les prendre au sérieux, leur dire qu’on les croit, qu’on leur fait confiance. Puis faire des démarches auprès de l’école, et insister régulièrement pour avoir un état des lieux de ce qui a été mis en place, contacter l’académie si nécessaire, et insister, là encore. Et surtout, il faut tout faire pour garder un lien avec l’enfant, prendre 5 minutes de temps de qualité chaque soir pour jouer avec lui et le questionner sur sa journée, observer son comportement, ses bras également, car beaucoup d’enfants se scarifient. »
Emmanuelle Piquet, cependant, n’est pas du même avis :
« L’implication des parents d’enfants harceleurs ne serait pas plus efficace. La sanction, la morale et la médiation par les pairs n’ont pas montré de résultats probants. Il est très difficile de mobiliser vers le changement un individu qui n’en a fondamentalement pas envie. Il est plus efficace de donner des outils de résistance verbale et comportementale à l’enfant harcelé, pour qu’il fasse changer l’inconfort de côté, afin que le harceleur n’ait plus envie de s’en prendre à lui, par peur de perdre en popularité ».
Comment se rendre efficace dans cette lutte, en tant que parents ?
La prévention et la détection, par les adultes, sont essentielles pour éviter les situations de harcèlement scolaire. Pour Joanna Dagorn, les deux points d’action importants pour les parents sont donc d’apprendre à détecter les signaux faibles des enfants harcelés. Mais aussi d’éduquer, dès le plus jeune âge, leurs enfants au respect des autres, dans une démarche citoyenne.
« Les enfants sont mis en compétition dès le plus jeune âge, avec beaucoup de pression, et le harcèlement peut servir de défouloir. Beaucoup de parents mettent leurs enfants en compétition sans leur inculquer le respect de l’autre et les valeurs humaines. »
La lutte contre le harcèlement scolaire commence donc dès la petite enfance, en apprenant à ses enfants à ne pas se moquer, et que leurs actes, mots et gestes ont des conséquences. Il faut également rester à l’écoute des émotions de l’enfant, qu’il puisse parler librement. « Il faut aussi lui parler de harcèlement, sans effrayer, notamment l’encourager à prendre la parole s’il est témoin de harcèlement », conseille Catherine Jacquet.
Enfin, il est important de ne pas rester seul, que son enfant soit victime ou agresseur, il faut demander de l’aide, contacter des associations. « C’est un choc pour un parent d’apprendre que son enfant en harcèle un autre », explique Nicole Sacagiu. « Ces parents sont souvent dans le déni, c’est difficile à comprendre et à accepter, il faut du personnel formé pour leur expliquer la situation et leur proposer un accompagnement thérapeutique », ajoute, de son côté, Catherine Jacquet. L’association Marion la main tendue propose justement un accompagnement thérapeutique gratuit, pour les enfants et leurs parents.
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