Un article rédigé par Anne-Marie Kraus le 5 janvier 2021
« Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours. Et je veux que vous agissiez comme si la maison était en feu, parce que c’est le cas. »
Ces mots percutants ont été prononcés au Forum Économique Mondial de Davos, en janvier 2019 par Greta Thunberg, devenue en quelques mois une figure ultra-médiatisée de la lutte contre le changement climatique.
« Quand elle parle, elle ne sourit pas, elle bouillonne. Je me suis sentie représentée, confie Nolwenn, 24 ans. On sent en elle un mélange de colère, d’urgence et de désespoir ». En abordant publiquement ses inquiétudes, l’adolescente suédoise qui vient de fêter ses 18 ans met en lumière un nouveau problème né de la crise climatique : l’éco-anxiété.
L’épée de Damoclès de l’éco-anxiété
Pour Nolwenn, l’éco-anxiété se vit comme une épée de Damoclès :
« Au quotidien, au lieu d’être légère et spontanée, j’ai toujours cette réflexion dans un coin de ma tête à propos de mon impact sur l’environnement. C’est un peu comme un warning allumé en permanence qui te signale ce que tu fais et qui ne se laisse jamais oublier. »
Une piqûre de rappel omniprésente que connaît également Aurore, 35 ans :
« Par exemple, mon fils me parle d’un animal et j’ai soudainement une pensée intrusive, en me demandant s’il aura une chance de le voir avant son extinction. La tristesse me prend au ventre, d’un coup. »
Alice Desbiolles est médecin spécialisée en santé environnementale et autrice du livre L’éco-anxiété : Vivre sereinement dans un monde abîmé, paru début septembre 2020 aux éditions Fayard.
Elle qualifie l’éco-anxiété (aussi appelée solastalgie), comme une sensibilité, un rapport au monde particulier, qui repose sur des constats empiriques et scientifiques, ainsi que sur une prise de conscience écologique personnelle.
« On peut commencer à se qualifier d’éco-anxieux ou anxieuse lorsqu’on se documente sur l’écologie et qu’on se rend compte que ce sujet nous touche. Les informations ne vont plus se contenter de glisser sur nous mais vont pénétrer et aboutir à des interrogations, des émotions, des remises en question et parfois des changements dans nos habitudes de vie et nos aspirations. »
De la prise de conscience à la mise en action
Pour Aurore, l’élément déclencheur a été la naissance de son premier enfant. Dans un premier temps, elle décide de s’informer sur le sujet. De manière compulsive, elle lit tous les livres existants, de la théorie de l’effondrement au zéro déchet.
Une fois tous les éléments de compréhension en main, Aurore a pu impulser un changement. « J’ai mis ma famille en ordre de bataille et nous avons entamé une transition dans nos habitudes du quotidien. »
Compost, recyclage, achats d’occasion, consommation locale et de saison, des petits gestes à la portée de tous et toutes qui permettent de limiter son empreinte écologique tout en apaisant son inquiétude, comme le préconise Alice Desbiolles dans le dernier chapitre de son livre.
Comme l’éco-anxiété peut enfermer les personnes concernées dans une spirale de découragement et de sentiment d’impuissance, la docteure en santé environnementale préfère se focaliser sur les aspects positifs qu’une mise en action peut apporter.
« Ce n’est pas parce que les prévisions sont anxiogènes qu’il faut transformer ces informations en quelque chose de sombre. Au contraire, cela peut être à l’origine d’un changement individuel bénéfique », assure-t-elle.
Préparer le monde de demain, c’est possible ?
Mathieu, qui se considère comme un éco-anxieux modéré, essaye justement d’affirmer sa fibre écologique dans ses actes du quotidien, en se concentrant sur les choses sur lesquelles il a une portée, à son échelle.
« Le fait d’avoir un enfant donne un sens supplémentaire à tout ça. On se dit qu’on a la responsabilité de quelqu’un qu’on a mis au monde et que ce qu’on est en train de faire prépare le monde de demain. Ça pousse à amplifier ce qui est déjà en place et donne du courage pour opérer certains changements », analyse ce trentenaire.
De son côté, afin d’être en lien avec ses valeurs et de retrouver plus de sens dans sa vie, Aurore a ressenti le besoin de se reconvertir professionnellement.
« J’ai travaillé dans la communication en collectivités et en entreprises pendant dix ans. Suite à un bilan de compétences, j’ai eu envie d’exercer une profession résolument tournée vers l’autre. »
Elle est devenue coach en développement personnel, spécialisée dans la maternité et l’éco-anxiété.
Changer radicalement de vie
Après des études dans une grande école et un master en poche, Nolwenn fait le choix de renoncer à la possibilité d’une vie en CDI à Paris et de s’installer en Ille-et-Vilaine. Elle devient vachère à temps partiel sur une exploitation bio et co-préside une association qui monte des projets d’écologie sociale.
Grâce à ça, le sentiment d’impuissance que peut entraîner l’éco-anxiété a été quelque peu balayé :
« Le fait de m’impliquer dans un projet concret, ça a tout changé, explique-t-elle. Ces activités ont le mérite de me pousser à me mettre en accord avec mes valeurs. »
« Je m’implique tout entière, même si ça veut dire être plus précaire, renoncer à pas mal de confort, être jugée par beaucoup de gens sur la façon dont j’ai choisi de mener ma vie, énonce-t-elle dans un demi-sourire. Mais je n’ai pas de regret, c’est cool de se lever le matin en se disant que tu fais vraiment ce en quoi tu crois ! »
Eco-anxiété et rapport aux proches
Afin de contrer ses angoisses, Nolwenn a trouvé sa solution dans le fait de contribuer tous les jours, le plus de temps possible, aux enjeux de la protection de l’environnement.
Pourtant, elle est confrontée à une véritable incompréhension de la part de sa famille, qui la considère comme « ultra-radicale ».
« Les relations avec mes parents sont tendues parce qu’ils ne comprennent pas mes choix de vie. Ils pensent que je veux la fin du monde parce que je leur parle de changement d’aire civilisationnelle, d’un monde post-pétrole et de moindre abondance ! »
Constat partagé par Mathieu, qui ne se sent pas toujours en phase avec ses parents : « Le changement climatique ne fait pas partie de leurs principaux sujets de préoccupation alors ils ne remettent pas en cause leur mode de consommation. Ils sont plus dans la résignation. »
Il a le sentiment de faire partie d’une génération plus sensibilisée au sujet de l’environnement et du changement climatique.
Alice Desbiolles estime que « Tout le monde a le potentiel en lui-même de se sentir éco-anxieux ». Toutefois, dans son essai, elle note que : « 29% [des Françaises et Français sont] très inquiets à cause [du réchauffement climatique] – pourcentage qui grimpe à 38% chez les 18-24 ans, suggérant une plus grande prévalence de l’éco-anxiété au sein de cette tranche d’âge », selon un sondage Ifop d’octobre 2018.
D’après une étude de septembre 2021, ce chiffre serait désormais bien plus élevé : 60% des 16-25 ans se déclaraient « très préoccupés » ou « extrêmement préoccupés » par le changement climatique.
Faire face à l’éco-anxiété en s’entourant des bonnes personnes
Alice Desbiolles y voit plusieurs explications possibles :
« Les plus jeunes portent moins le poids de la responsabilité de la situation actuelle et ont plus de capacité à se remettre en question que les générations antérieures.
Il y a aussi une certaine plasticité cérébrale et un état d’apprentissage quotidien à l’école et l’université qui favorisent leur capacité à emmagasiner de nouvelles connaissances et les rendent plus perméables à de nouvelles informations. »
Ainsi, Alice Desbiolles estime que l’asymétrie d’information, par exemple dans l’entourage familial, peut alimenter un sentiment d’isolement.
C’est pourquoi les personnes éco-anxieuses ont tendance à vouloir se retrouver entre pairs, comme Aurore et Mathieu qui se lient plus facilement d’amitié avec des personnes qui les comprennent, ou qui vivent plus ou moins la même chose.
Il y a encore quelques mois, Benjamin, jeune diplômé de 24 ans, ne connaissait pas les termes de solastalgie et d’éco-anxiété. Au cours de ses études, il fréquente de plus en plus de personnes sensibles aux questions écologiques : « Mes proches ont été un accélérateur dans ma réflexion sur l’écologie, j’ai commencé à m’intéresser à la collapsologie et aux mouvements de transition. Une fois que l’on prend conscience du problème, on ne peut plus fermer les yeux et l’ignorer. »
Une sensibilisation qui a bouleversé sa vision du monde et ses ambitions : entre un emploi salarié au service de ses valeurs écologiques ou un mode de vie collectif plus alternatif et expérimental, son cœur balance.
S’organiser et coopérer
Dans son livre, Alice Desbiolles évoque aussi la constitution de « clusters de bonheur », des cellules d’individus qui s’organisent et coopèrent pour faire face plus efficacement à la nouvelle donne climatique et environnementale.
C’est ce que semble avoir trouvé Nolwenn, depuis son installation à la ferme. Elle vit avec cinq personnes ayant la même sensibilité écologique que la sienne et le même niveau de connaissance sur ce sujet.
Il y règne une vraie émulation qui permet de limiter les sentiments négatifs : « Parfois ça nous donne vraiment l’impression qu’on va réussir à changer le monde ! confie-t-elle en riant. On est bien informés, on a tout le savoir nécessaire, on est tous d’accord entre nous, pourquoi on n’y arriverait pas ? »
Et en attendant de pouvoir changer le monde, Nolwenn a fait le choix de se concentrer sur son action individuelle et de groupe, qui lui « permet de vivre un quotidien plus doux ».
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Crédit photo : Guillaume Falco / Pexels
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