Autrice remarquée de deux précédents romans aux éditions POL (Comme la chienne, 2019, Mausolée, 2021), Louise Chennevière revient pour cette rentrée littéraire avec un court texte plein de nervosité, à dévorer d’une traite.
Qu’ont donc en commun la pop-star des années 2000 Britney Spears et l’autrice et travailleuse du sexe canadienne Nelly Arcan ? Beaucoup en vérité. Avec une plume vive et resserrée, l’autrice raconte en filigrane comment, elle aussi, elle a été un jour Nelly ou Britney.
Interview de Louise Chennevière
Madmoizelle. Quel est le déclencheur de l’écriture de ce texte ?
Louise Chennevière. J’ai lu l’autobiographie de Britney Spears, un peu par hasard l’hiver dernier. Je l’ai dévoré en deux nuits, et j’ai réalisé comment j’ai eu honte, adolescente, d’avoir aimé Britney. D’où vient cette honte, ce dégoût pour ses passions de petite fille ?
Le deuxième déclencheur, c’est la lecture des livres de Nelly Arcan. Sa lucidité, la façon dont elle exprime sa violence d’être femme, d’être une bimbo, m’a reconnectée avec cette partie de moi que j’ai appris très tôt à mépriser. La haine de la société pour ces femmes est immense. Cela m’a donné envie de la décortiquer.
Comment est venu ce lien que vous faites entre Nelly Arcan et Britney Spears ?
Elles ont été traitées de la même manière par les médias. Cela rappelle que, quoi qu’on fasse, les femmes talentueuses sont renvoyées à leur corps, surtout si elles incarnent l’idéal de la jeune fille.
C’est autour de cette figure caricaturale que j’articule mon texte. Il y a un décalage immense entre l’idéalisation des jeunes filles, et la violence avec laquelle on les méprise. Pour Nelly Arcan, on lui a dit qu’elle ne pouvait pas vieillir, que ses clients ne voulaient pas qu’elle soit une vieille putain. Pour Britney Spears, elle a fait face à l’impossible paradoxe d’être sexualisée, tout en vivant une obsession médiatique autour de sa virginité.
Cette sexualisation avec l’interdiction de sexualité est un point névralgique de la vie de toutes les jeunes filles.
Que doivent les féministes, les femmes, à ces figures ? Qu’est-ce qu’elles nous enseignent ?
De nombreuses femmes artistes, décédées brutalement, sont mortes d’un conflit entre le fait d’être des femmes et des artistes.
J’en cite trois autres dans le texte. Virginia Woolf, a été agressée sexuellement par ses frères et a souffert d’un mal toute sa vie dont elle ne comprenait pas la cause, Sylvia Plath a été enfermée dans un mariage avec un tyran, Béatrice Douvre a été anorexique. Aujourd’hui, on leur doit d’être du côté de toutes les femmes malmenées par les médias, de ne plus laisser passer le traitement qu’on leur réserve.
Votre ouvrage est rédigé avec de très longues phrases, offrant très peu de respirations, pourquoi ce rythme ?
J’ai écrit sous la colère. Quand j’ai fini le livre de Britney Spears, quand j’ai réalisé ce que le monde lui avait fait et comment j’avais été complice malgré moi, quand j’ai appris que Nelly Arcan s’était suicidée après avoir traversé une grave dépression, j’ai ressenti une colère inouïe. J’ai eu besoin d’écrire très vite.
C’est ma manière de travailler. Quand l’écriture se déclenche, tout ressort d’un coup, c’est un précipité qui vient se solidifier.
Les regards qui enferment, les agressions, les humiliations, vous racontez un peu des vôtres. Pourquoi était-ce important de mêler votre propre histoire ?
Si je parle de moi, c’est pour les défendre. Quand on regarde des archives où elles sont humiliées, sur un plateau télé, car on leur parle de leurs seins, elles sont seules. C’est une manière d’être avec elles, de ne plus détourner le regard.
Ce ne sont pas des choses exceptionnelles, qui ne sont réservées qu’aux célébrités, mais ce sont des humiliations qui font souffrir toutes les femmes, moi comprise. C’est facile de dire qu’elles l’ont cherché, car elles sont connues. Mais on ne cherche jamais l’humiliation.
Pourquoi le choix du titre ?
Le titre était là tout de suite. J’ai pensé à Pour Britney et Nelly, mais Pour Britney, tout le monde voit de qui il s’agit. On a tellement d’images collectives associées à elle, j’ai essayé de lui dire pardon, de manière personnelle, je prends sa défense devant la littérature.
Son destin est une chose sérieuse, il est important qu’il existe dans la littérature, ce terrain chasse gardée des masculinités blanches vieillissantes, et aussi pour la petite fille que j’ai été. Je me rends compte à quel point écouter Britney me rend heureuse, et c’est tout ce qui compte.
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