Depuis que Gary Turk a mis en ligne Look Up (Lève les yeux), de nombreux articles ont fleuri pour saluer cette vidéo devenue virale, la qualifiant par exemple de « message le plus important destiné à la génération Y ». Il était donc tout naturel que j’y jette un oeil. Et que la moutarde me monte au nez.
« J’ai 422 amis, pourtant je me sens seul » : voici comment Gary Turk entame son poème visant à vous faire lâcher vos smartphones au profit du bon vieux « monde réel ». Selon lui, la technologie nous entourant a fait de nous des esclaves focalisés sur la présentation de nos vies au monde entier, a rendu les liens sociaux illusoires et nous a coupés de la « vraie vie ».
Je ne suis… pas vraiment d’accord.
« Si vous vous sentez seul en public, rangez votre téléphone, parlez aux autres ! »
Selon Gary Turk, si je suis dans la rue, dans le métro ou en train d’attendre le bus, je ne devrais pas sortir mon smartphone pour communiquer avec tous ces « faux amis » qui se rassemblent sur les réseaux sociaux. Je devrais parler aux autres, les vrais gens, ceux qui n’ont rien de spécial et avec qui je n’ai rien en commun, mis à part le fait de me trouver, pendant un instant, au même endroit qu’eux. Yay.
Ce serait bien parce qu’on parlerait du temps qu’il fait, de l’augmentation du prix du bus vous vous rendez compte ma bonne dame, cinquante centimes par an, de qui se moque-t-on, et avec un peu de chance je tomberais sur un tonton raciste qui me complimentera sur ma politesse, « pas comme tous ces Arabes », ou sur une gentille vieille dame qui admirera ma tenue « discrète, pas comme toutes ces filles de joie en minijupe ».
Alors que si j’allais sur Twitter, si j’allais papoter sur Facebook ou passer le temps sur Reddit, je parlerais de choses insignifiantes avec des « faux gens » ! Je risquerais d’apprendre des trucs sur le féminisme
, de parler cinéma avec une amie ou de discuter avec des inconnus du fameux épisode 3 de la saison 4 de Game of Thrones. Rien de comparable avec ce papotage ô combien passionnant qui m’attend à chaque arrêt de bus.
« Nous sommes une génération d’idiots : des téléphones intelligents et des gens bêtes »
Déjà j’ai envie de dire : parle pour toi mon bon Gary !
Il faudrait quand même m’expliquer en quoi posséder toute la connaissance d’Internet au creux de sa main fait de nous des gens bêtes. J’ai une pause-clope à passer ? Je peux aller lire un truc sur Wikipédia. Je peux regarder la nouvelle vidéo Axolot. Je peux écouter un podcast. Je peux aussi jouer à Candy Crush et ça ne ferait pas de moi quelqu’un de stupide, pas plus que papoter avec une vraie personne me rendra forcément plus intelligente.
Ce qui est paradoxal, c’est que le vidéaste nous conseille (enfin, nous ordonne) de lâcher Internet au profit d’un livre. Donc la consommation « passive » est valable sur papier, mais pas sur écran. J’abandonne donc la compréhension du Parlement Européen pour un roman Harlequin : mon intellect en sortira grandi. Merci mon bon Gary.
« Un seul vrai contact humain peut suffire à changer votre vie »
Là, Gary, laisse-moi te dire que tu te fous de ma gueule.
Dans Look Up, ce jeune homme demande son chemin à cette jeune femme enfin éclairée par le génie de Gary, qui a donc lâché son smartphone pour parler aux gens (ouééé). Et au plan d’après, PAF ! Je vous le donne en mille : môssieur et madame savourent un dîner aux chandelles, font des gosses, vieillissent, paf, la totale. Une petite ellipse bien pratique nous empêche de savoir comment on est passés de « Alors vous prenez à gauche et ce sera la troisième sur votre droite après le buisson qui ressemble un peu à un chien moche » à « Oui je veux t’épouser et te faire des enfants qui iront jouer sur les balançoires désertées par tous ces gosses décérébrés collés à leur iPad ».
J’en conclus donc qu’on ne peut pas trouver l’amour sur Internet — ça se saurait. D’ailleurs, visiblement tous les gens avec qui je parle sur le Web ne sont pas réels, ce ne sont pas des humains, et puis de toute façon on ne parle pas vraiment, absorbés dans notre nombrilisme 2.0 avide de likes et de compliments. Alors que tout le monde sait bien que c’est vraiment très courant de se marier avec cet inconnu qui nous a demandé son chemin un jour. Si si. Croyez-moi, c’est Gary qui le dit.
La Génération Y ne t’a rien demandé, Gary
J’ai rarement entendu un discours aussi « vieux con » sortir de la bouche de quelqu’un d’aussi jeune — Gary semble avoir 25 ans à tout casser. Cette façon de nier catégoriquement tous les avantages que peuvent avoir les nouvelles technologies et d’y voir un outil de Satan ne faisant qu’isoler les gens et les abrutir, ça me mène à me demander ce qu’il se passe dans la vie de ce brave vidéaste. Il doit avoir ce genre d’amis nuls qui jouent à Candy Crush pendant ton mariage : dans ce cas-là, le problème c’est pas le smartphone, hein, c’est l’ami.
Grâce aux réseaux sociaux, à mon iPhone, à Internet en général, j’ai pu garder et consolider des amitiés mises à mal par la distance, et j’ai même pu rencontrer des gens qui sont devenus des potes, des collègues, des amis, des amants. Je ne pense pas que cela fasse de moi une personne stupide, superficielle et solitaire. Parfois, même quand il fait beau, je reste chez moi jouer à la PlayStation au lieu d’aller rencontrer les gens bourrés dorant au soleil sur les quais. Je ne pense pas que cela fasse de moi une asociale.
Gary, je pense que tu as un souci, mais pas avec la Génération Y, ni avec les smartphones : je pense que tu devrais peut-être changer d’amis, et pourquoi pas au profit de nouveaux potes rencontrés sur le Net ! Parce que cette fameuse Génération Y dont on nous rebat les oreilles, elle ne t’a pas attendue pour savoir comment utiliser ces nouveaux outils, comment créer des liens et les entretenir. Alors peut-être bien que c’est toi qui devrais arrêter de faire des vidéos YouTube rendues virales par le grand méchant Internet, et ouvrir un peu tes esgourdes. Je te dis ça en toute amitié 100% virtuelle.
S’il est toujours intéressant d’étudier les réseaux sociaux et les nouvelles façons de communiquer, les diaboliser en bloc n’est peut-être pas le meilleur moyen d’aborder ce sujet. Et vous, pensez-vous qu’il y a du vrai dans ce que dit Gary ? Quel est votre rapport au Web et aux relations « virtuelles » ?
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