Durcissement du regroupement familial, rétablissement du délit séjour irrégulier, suppression du droit du sol… Mardi 19 décembre, le projet de loi immigration, rejeté une semaine plus tôt par les députés, a été adopté dans une version sévère, saluée par le Rassemblement National.
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Entretien avec Me Élodie Journeau, Avocate en droit d’asile et des réfugiés.
Madmoizelle. La Cimade, comme d’autres associations de défense des droits des étrangers, a dénoncé un texte de loi qui serait « le plus répressif et maltraitant élaboré ces 40 dernières années en matière d’immigration ». Pourquoi ?
Élodie Journeau. Ce qui est très grave, c’est que ce texte entérine dans la loi des pratiques qui étaient considérées comme une dérive. C’est un retour en arrière : on restaure, par exemple, le délit de séjour irrégulier, qui avait été retiré parce qu’on avait considéré que le fait d’être en situation irrégulière ne pouvait pas constituer un délit. La loi permettait déjà de punir les personnes sans papiers en les renvoyant chez eux. À présent, on donne le droit aux autorités de prononcer des amendes. C’est la double peine. Ensuite, on aggrave les discriminations à plusieurs niveaux, notamment sur le point d’achoppement des APL. Tout cela s’inscrit dans un débat de préférence nationale : l’idée que l’argent, quand il y en a, doit aller aux Français.
Par ailleurs, pour la demande d’asile, ils ont généralisé le principe du juge unique, enlevant toute spécificité à cette procédure comme s’il s’agissait d’une procédure migratoire quelconque.
En France, on dispose du principe essentiel de la collégialité, qui permet d’avoir des décisions solides. Juridiquement, cela crée une nouvelle discrimination entre les Français qui continuent de bénéficier de ce principe de la collégialité dans de nombreuses matières et ont de fait le temps d’organiser leur défense, par rapport aux demandeurs d’asile étrangers pressés par des délais intenables. En généralisant le juge unique, on généralise une procédure accélérée. Alors même que la moitié des demandeurs d’asile n’ont pas accès à un hébergement avec des travailleurs sociaux et n’ont pas forcément accès à un interprète, on va leur demander d’aller encore plus vite, de trouver les moyens de traduire rapidement des histoires dans lesquelles ils ont subi des choses absolument affreuses.
C’est un texte qui attaque les droits fondamentaux pour limiter à tout prix le nombre de personnes qui arrivent sur le territoire français. Comme l’expliquent les tribunes de Monsieur François Héran, qui tient la chair Migrations et sociétés au Collège de France, les gens fantasment le nombre d’étrangers qu’il y a en France, en particulier le nombre d’étrangers qui ne viendraient pas de pays occidentaux. Ils ont l’impression que l’immigration et la demande d’asile ont explosé ces dernières années de manière disproportionnée, alors que cela augmente d’une manière complètement stable, et ce, dans tous les pays du monde. De la même manière qu’on augmente également le nombre d’étudiants français qui vont étudier à l’étranger, par exemple.
En septembre dernier, une enquête de santé publique révélait le lien terrible entre migration et violences sexuelles. Elle démontre par exemple que les femmes demandeuses d’asiles ont 18 fois plus de risques d’être victimes de viol que les Françaises. Comment le projet de loi immigration va-t-il les affecter ?
Si on stigmatise les personnes sans papiers, et que le délit de séjour irrégulier est rétabli, alors une femme victime de violences conjugales, ou de violences sexuelles, en situation irrégulière, y réfléchira à deux fois avant d’aller déposer plainte. Et de fait, si on refuse de prendre en charge l’hébergement et la mise à l’abri des personnes en situation irrégulière, alors, forcément, les personnes les plus vulnérables seront les premières touchées. Et ce sera le cas particulièrement pour ces femmes.
Pourquoi le texte est-il passé par la Commission mixte paritaire avant d’être adopté par l’Assemblée ?
Ce processus est parfaitement légal. Lorsqu’il y a un débat parlementaire et qu’un projet de loi est rejeté de la manière dont il l’a été la semaine dernière par motion de rejet, il est tout à fait possible de saisir une commission mixte paritaire. Pour, justement, pouvoir continuer à discuter, mais en comité plus restreint. Le but ? Aboutir à un compromis qui ensuite est présenté au vote.
L’enjeu, dans ce contexte, c’est plutôt de savoir que retenir de la volonté absolue du gouvernement de faire passer un texte qui n’a rien d’indispensable. C’est cet acharnement qui fait dire aux personnes modérées (donc les centre droit, les centristes, les centre gauche) qu’on soutient dans ce texte les idées de l’extrême droite puisque ceux qui s’acharnent le plus, c’est précisément l’extrême droite. Les 88 députés FN ont voté dans le même sens. Ce texte ne serait jamais passé, s’il n’y avait pas eu autant d’insistance à la droite de la droite. Donc, même si on est dans un processus qui est parfaitement démocratique et légal, il y a eu zéro interrogation sur le fait de savoir si c’était utile, et si, justement, on ne faisait pas le programme du RN alors qu’Emmanuel Macron avait promis de faire barrage.
Marine Le Pen a d’ailleurs évoqué « une victoire idéologique » pour son parti…
Monsieur Darmanin continue de dire qu’ils n’ont pas eu besoin du RN pour gagner [un argument depuis mis à mal par un recomptage des voix, ndlr], mais, effectivement, Marine Le Pen dit très précisément que ce texte est passé grâce au RN. Donc, on peut espérer que Monsieur Macron tirera les conclusions nécessaires. L’exécutif avait dit qu’il ne promulguerait pas le texte, s’il avait été voté grâce au RN.
Quelles sont les prochaines étapes avant l’application du texte ?
Techniquement, il a été adopté. Il ne reste donc plus que la promulgation de la loi, ainsi que les décrets d’application. Il y a probablement un certain nombre de mesures où l’on va s’apercevoir qu’elles sont inapplicables. Pour certaines, tout simplement, parce qu’administrativement, ce n’est pas faisable.
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