Je suis une grande lectrice depuis de nombreuses années, et je lis à peu près tout et n’importe quoi pourvu que ça me tombe sous la main et que j’aie quelques minutes à tuer…
Je vais donc essayer de me prêter à l’exercice et de vous présenter cinq ouvrages à ne manquer sous aucun prétexte selon moi, mais vous êtes prévenues, la liste risque d’être un peu éclectique. J’ai tenté de ne citer que des livres qui n’avaient pas encore été mentionnés par les Madmoizelles, pour, je l’espère, vous faire découvrir quelques bijoux pas trop connus.
Par ailleurs, je n’ai pas pris en compte les favoris de mon enfance/adolescence – sinon ce n’est pas une liste de 5 mais une liste de 100 qu’il aurait fallu faire !
La physique des catastrophes (Special topics in calamity physics), de Marisha Pessl
Ne vous fiez pas au titre français façon « rentrée littéraire », c’est probablement la moins bonne partie du livre. La physique des catastrophes est une sorte d’OVNI littéraire de 700 pages et quelques, à mi-chemin entre un thriller, une satire sociale et un roman d’apprentissage.
J’ai adore l’héroïne, Bleue, le style, les constantes références littéraires, le ton enIevé et sarcastique, l’intelligence de la narration… Je l’ai lu trois fois depuis 2007 et il est tellement dense que je ne m’en lasse pas.
Si j’avais un jour publié un roman, c’est exactement comme ça que j’aurais voulu qu’il soit. On fait parfois le reproche à ce livre d’avoir trop de défauts d’un « premier roman », comme par exemple une narration qui s’égare sans s’en tenir à une intrigue bien définie. Pour moi, il s’agit simplement de comprendre la narration comme un discours direct de l’auteur au lecteur par la voix de Bleue, un discours qui l’accompagne dans les méandres de l’incroyable esprit de la romancière.
Ce n’est pas un roman qu’on lit d’un œil, et tout le monde n’apprécie pas les références littéraires/(pop)-culturelles disséminées tout au long du livre par Bleue et son père, un professeur d’université malicieux et atypique. Certaines sont fausses, certaines sont détournées, certaines sont là juste pour rire ; toutes vous donnent l’impression non pas de lire un énième livre qui parle de livres mais de prendre un bain dans un véritable « bouillon de culture ».
Au vu de ce style déconcertant, je ne peux que vous conseiller de lire Pessl et de vous embarquer pour un étrange voyage dans une Amérique décalée – encore plus si vous aimez Nabokov (en particulier Ada).
La fin des mystères (The end of Mr Y.), de Scarlett Thomas
Au début, on lit le titre, on voit une couverture rouge criarde façon grimoire, et on est envahi de la peur — compréhensible — d’être face à une énième saga fantasy pour ados, qui sera au mieux décente, au pire un remake raté des excellents Quête d’Ewilan et autres Artemis Fowl… Or, il n’en est absolument rien, et l’effet de surprise a certainement joué un rôle important dans mon jugement de ce livre peu ordinaire.
Il s’agit d’une drôle de thésarde en littérature dans une ville universitaire étrange baignée d’une atmosphère d’irréalité, de mélanges constants entre temps et espace, de romances qui n’en sont pas et de mystères qu’il faut entrer au plus profond de soi pour éclaircir. Littéralement. Les méandres de l’esprit et les dangers de se perdre dans son monde intérieur ne sont ici pas des métaphores.
Difficile d’en dire plus sans gâcher l’intrigue. Le suspense, les enchaînements d’événements inexpliqués et le rythme toujours plus haletant sont ce qui donne toute sa qualité au livre, bien davantage que le style ou la qualité des personnages — je dois dire qu’il est souvent difficile de s’attacher à eux, mais ils ne sont pas ce sur quoi repose l’intrigue.
Si vous aimez la psychologie, si le pouvoir de l’esprit vous fascine, si un peu (voire pas mal) de surnaturel dans un thriller ne vous fait pas peur, foncez. Et puis, si certaines madmoiZelles l’ont lu, je serais curieuse de savoir ce que vous avez pensé de la fin !
NB — Attention, quelques scènes sont un peu crues, d’après certaines critiques que j’ai lues, elles peuvent choquer.
Le testament français, d’Andreï Makine
Vous avez déjà lu un livre dont vous aviez envie de noter chaque phrase sur un carnet pour vous en rappeler ? Si la réponse est non, vous n’avez sans doute pas lu Le testament français. Makine a le style le plus parfaitement ciselé, le plus poétique, le plus évocateur qu’il m’ait été donné de lire.
Le roman a été lauréat du Prix Goncourt 1995. En général, je me méfie des Prix Goncourt parce que j’ai souvent l’impression que les auteurs ont essayé un peu trop fort de s’attaquer à des sujets graves et/ou actuels et/ou sensibles pour produire exprès des romans « à prix » (L’exposition coloniale…), ou alors je ne comprends juste absolument pas le choix du jury (Je m’en vais de Jean Echenoz, prix Goncourt 1999 — a-t-il bénéficié d’un jury fainéant qui l’a tiré au sort ? Le mystère reste entier).
Ce roman de Makine en revanche mérite tous les prix littéraires du monde. Largement autobiographique, le récit nous emporte dans les souvenirs vécus ou rêvés d’un petit garçon russe qui passe ses étés avec sa grand-mère française.
Au fil des histoires, des photos, des coupures de journaux, la petite histoire se mêle à la grande, les fils des vies se croisent puis s’enchevêtrent, et la France devient peu à peu bien plus qu’un pays pour le petit garçon qui ne l’a jamais vue.
Fabuleuse, épique, la France des années folles, de Félix Faure et de l’aristocratie russe en exil se fait personnage littéraire à part entière.
En un mot, voilà un livre à lire de toute urgence, surtout pour qui aime la Russie ! Je vous conseille également les autres livres de Makine, même si les plus récents sont pour moi les moins bons (Le livre des brèves amours éternelles a été une vraie déception après Le testament français).
Vers le phare / La promenade au phare (To the lighthouse), de Virginia Woolf
J’ai récemment vu Vers le phare sur une liste des livres les plus difficiles à lire, aux côtés des arides Proust et Heidegger avec lesquels Woolf n’a rien en commun, et j’ai voulu réparer cette terrible injustice.
C’est un livre très surprenant, assez bref et d’une poésie incroyable. Je ne vais pas me lancer dans un exposé sur le mouvement « stream of consciousness » dans les romans des années 1920 mais il faut tout de même prendre cette particularité en considération ; la narration n’est pas focalisée sur un personnage mais flotte d’une personne à l’autre, dans un mouvement fluide et continuel.
Cela en fait un récit polyphonique, une exploration de la vie intérieure de chacun des personnages tour à tour. Je suis toujours émerveillée par cette capacité qu’a Virginia Woolf de mettre des mots sur les sensations étranges et inexplicables qui nous traversent, avec ce style incroyablement poétique qui lui est propre.
Alors, de quoi parle Vers le phare ? De tout. De la vie, de la mort, de la famille, du mariage, du temps, des femmes et de leur rôle dans la société britannique. D’après certains critiques, la famille Ramsay qui est au cœur du livre serait une reconstitution de la propre famille de Virginia Woolf tandis qu’elle-même se serait dépeinte sous les traits de l’artiste marginale Lily Briscoe qui gravite autour d’eux, ne faisant pas tout à fait partie de la famille, n’étant pas tout à fait une étrangère…
Pour aborder Virginia Woolf, c’est sans doute par ce livre-là qu’il faut commencer. Mrs Dalloway, antérieur, est excellent également, mais peut-être encore plus déroutant.
Une dernière chose : pour celles qui sont sur Coursera, il y a de très bonnes explications sur ce livre dans le cours de littérature comparée de Brown University qui s’appelle The fiction of relationship.
Toujours l’orage, d’Enzo Cormann
Représentation de la pièce au théâtre des Trois Arcs, Québec, mise en scène de Ghyslain Filion
Pour terminer et pour changer, voilà une pièce de théâtre contemporaine qui ne sera jamais assez connue. C’est celle que je conseille à tous mes amis qui, après une indigestion de Racine au lycée, ont arrêté de lire des pièces. Le mieux pour l’aborder en profondeur est d’avoir un peu lu Shakespeare, puisque de nombreux motifs de La tempête et du Roi Lear sont repris, mais on s’en passe très bien.
La pièce commence par un conflit de générations dans une chaumière isolée. Un jeune metteur en scène vient chercher un acteur à la retraite pour lui proposer le rôle de Lear dans sa nouvelle pièce. L’acteur se montre le vieux misanthrope acariâtre que l’on attend, mais le metteur en scène n’accepte pas son refus.
Bientôt démarrent des intempéries qui sont le prétexte à un huis clos intense entre les deux personnages. Des souvenirs remontent, des confessions sont faites, le refus s’explique de plus en plus profondément au rythme d’une partie d’échecs endiablée.
C’est une pièce qui parle tout à la fois de théâtre, d’écriture, d’Histoire, de rébellion, de religion et d’identité dans un style précis et incisif et avec des personnages qu’on n’oublie pas de sitôt.
Toujours l’orage reste ma préférée, mais les autres pièces de Cormann sont toutes des petits bijoux du genre (Takiya ! Tokaya ! par exemple est délirante et géniale).
Tu veux aussi partager tes livres préférés ? Envoie la liste de tes cinq bouquins favoris, avec des photos si tu le souhaites, à mymy(at)madmoizelle.com !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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