J’abandonne, de Philippe Claudel
C’est un livre court, mais très « efficace ». Un homme (le narrateur) est, comme on l’appelle dans son milieu, une « hyène ». Il est chargé, avec son collègue, de recevoir à l’hôpital les familles de personnes tout juste décédées, afin de savoir si les médecins peuvent prélever leurs organes sains en vue d’une greffe.
Seulement, il vient de perdre sa femme, et se retrouve seul avec sa fille, âgée d’un peu plus d’un an. Exercer son métier devient forcément compliqué. Et ce jour-là, annoncer à une mère que sa fille de dix-sept ans vient de mourir lui paraît insupportable.
On assiste alors à un va-et-vient entre cette scène (l’entretien avec la mère) et ses pensées. Cela donne lieu à des réflexions sur des sujets plus ou moins intimes : la façon dont il vit l’échange avec cette femme ; la relation avec son collègue qui parvient à rester totalement détaché face à cette situation tragique ; sa petite fille, et ce qu’elle va devenir ; la baby-sitter, et la jeunesse qu’elle représente ; les souvenirs de sa femme ; sa vision du monde depuis qu’il a vécu ce drame…
J’abandonne, ça m’a un peu fait l’effet d’une claque. C’est évidemment très triste, et aussi émouvant (à en pleurer parfois), mais en même temps, l’image qui est renvoyée de l’être humain, dans tout ce qu’il a de meilleur et de pire, est saisissante, je trouve.
J’aime l’écriture de Claudel, elle est pleine d’images, poétique souvent, vulgaire parfois, et j’apprécie les auteurs capables de manier les différents niveaux de langage. Ici, cela rend beaucoup plus crédibles les pensées du narrateur qui apparaît comme un être humain « normal ».
Un petit exemple du côté poétique, pour vous donner le ton : le narrateur évoque son alliance, qu’il a jetée dans la Seine le lendemain de la mort de sa femme et il explique son geste ainsi : « Elle m’étouffait. C’était une caresse impossible. »…
Comme un roman, de Daniel Pennac
C’est un essai, où en (très) gros, Pennac analyse le rapport à la lecture qu’ont les gens, et explique comment on peut dégoûter les enfants de lire à l’école. Il y énonce les dix droits du lecteur parmi lesquels figurent par exemple « le droit de ne pas lire » ou « le droit de ne pas finir un livre ».
Il y explique aussi comment on peut donner l’envie de lire à des adolescent-e-s, notamment quand on est enseignant, en mettant à profit son expérience de professeur de français.
Je l’ai lu quand j’étais au lycée, alors que j’avais déjà l’envie devenir prof de français. Il m’a donc apporté beaucoup en me confirmant que j’avais raison de vouloir faire ce métier. Que oui, on pouvait ne pas ennuyer ses élèves. Que non, on n’était pas obligé d’être complètement fan de Balzac pour être ce qu’on appelle « un bon lecteur ». Et que surtout la lecture était avant tout un plaisir. Quelle qu’elle soit.
Bien sûr, c’est Pennac, donc c’est très bien écrit, et souvent drôle.
Pierre et Jean, de Guy de Maupassant
Dix-neuvième siècle, une famille bourgeoise. Les Roland ont deux enfants qui viennent de finir leurs études : le plus jeune, Jean est avocat et le plus âgé, Pierre est médecin. Un soir, on leur annonce que Jean reçoit l’héritage d’un vieil ami des parents, M. Maréchal. On devine évidemment très vite que Jean est en fait le fruit d’un amour adultère entre Mme Roland et M. Maréchal, mais tous les personnages n’ont pas cette perspicacité…
J’aime ce roman parce qu’il nous montre des êtres humains avec leurs mensonges, leur rapport à l’argent, leur bêtise, leur mépris envers les gens qui n’ont pas leur condition sociale, la cruauté dont ils sont capables de faire preuve envers certains membres de leur famille… Chaque personnage a une psychologie passionnante, on oscille entre l’envie de les trouver médiocres ou tout simplement de se dire qu’ils font, comme chacun de nous « ce qu’ils peuvent ».
C’est cynique, c’est cruel, c’est Maupassant… J’adore donc !
Un Roi sans divertissement, de Jean Giono
Comme son titre l’indique, ce roman fait référence aux Pensées de Pascal, et plus particulièrement à celle où il observe que l’homme se divertit pour oublier sa condition de mortel, d’homme misérable. Chez Pascal, la solution est alors de se tourner vers Dieu, puisque lui seul peut apporter une solution satisfaisante, les divertissements n’étant que des puissances trompeuses. En effet, une fois que l’homme a fini de se divertir, il se souvient qu’il est malheureux, donc cela ne sert à rien.
Giono reprend cette idée à son compte, en nous plongeant en Isère, pendant l’hiver 1845. On imagine bien que les conditions de vie en cette saison sont rudes, surtout à cette époque. Les hommes s’ennuient. Il faut qu’ils se divertissent. L’un d’eux a trouvé une activité assez particulière pour s’occuper. Il tue des gens. Langlois, le policier, mène son enquête…
L’histoire se déroule sur plusieurs années, pendant lesquelles on suit ce Langlois.
Je ne peux pas tout raconter, car cela n’aurait plus aucun intérêt pour ceux qui voudraient le lire, mais ce livre est passionnant dans sa façon d’actualiser Les Pensées. L’ambiance est très particulière, un peu angoissante tout en étant parfois comique.
Je l’ai lu il y a environ dix ans et il me fait encore l’effet de ces films qui reviennent à la mémoire par certaines images, tant l’atmosphère qui s’en dégage est marquante.
C’est un peu un livre OVNI qu’on ne sait pas trop où ranger. Roman policier ? Opéra-bouffe (Giono l’avait sous-titré ainsi au départ) ? Essai psychologique ? C’est un peu tout ça à la fois, et c’est cela aussi qui m’avait plu !
Pauline, d’Alexandre Dumas
Alexandre, le narrateur, rencontre Alfred, et celui-ci lui raconte l’histoire de Pauline, morte un an plus tôt. Je n’irai pas plus loin pour le résumé, sinon, j’en dirais trop.
Ce qui est intéressant dans ce roman, c’est qu’il y a en fait trois narrateurs avec donc des récits encadrés. On a le récit d’Alexandre qui encadre celui d’Alfred qui encadre celui de Pauline (un peu comme les couches d’un oignon si vous voulez). Les points de vue changent donc d’un récit à l’autre. La force de Dumas ici est aussi de réussir à changer de style d’écriture selon le narrateur.
Ce qui me plaît particulièrement dans ce livre, c’est que je l’ai lu au moins quatre fois, et que je le redécouvre à chaque fois tant il est riche. Il y a de l’amour, du mystère (à la limite du fantastique), une enquête à mener, de l’aventure, sur fond de société du dix-neuvième siècle avec tout ce que cela comporte (les duels, les bals…).
Et malgré ce dernier point, on ne se sent pas pour autant étranger-e à ce que vivent les personnages. On arrive facilement à transposer leurs aventures de nos jours. En témoigne cette phrase de Pauline qui, pour justifier son mauvais choix sentimental, dit : « le grand malheur de notre époque est la recherche du romanesque et le mépris du simple »…
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