Mon truc à moi, c’est les romans de science-fiction, mais pas ceux qui parlent de dragons et de fourmis mutantes, plutôt les contre-utopies d’après-guerre, celles qui nous entraînent dans des réflexions sur l’aliénation de l’individu, la perte de repères, les dangers du fascisme. Oui, je suis un peu torturée, mais j’aime aussi les livres de princesses.
Petite sélection, s’il ne fallait en choisir que 5. Bonne lecture !
Ravage, de René Barjavel
François Deschamps, jeune homme réservé et insipide, se retrouve plongé dans la plus grande catastrophe industrielle du XXème siècle : l’arrêt soudain et inexpliqué de l’électricité. Avec un groupe de « survivants », il va fuir Paris vers les terres agricoles de sa Provence natale.
Roman initiatique vers l’âge adulte, références aux théories darwinistes et aux valeurs rurales prônées par le régime de Vichy, descriptions post-apocalyptiques… Ravage est ce que j’appellerais un « roman complet ». Mention toute particulière au passage effrayant sur la maison des aliénés, où l’on s’attend presque à voir débarquer Jack Nicholson armé d’une tronçonneuse.
Bien que Barjavel ne soit pas ingénieur, je suis toujours frappée par la précision de ses descriptions techniques (souvent fantasques), son rapport barbare à la technologie et au progrès (il décrit, un siècle auparavant, le monde tel qu’il l’imagine en 2052). Un roman noir et visionnaire.
La guerre des salamandres, de Karel ?apek
Encore un de mes bouquins de science-fiction phares, métaphore sur l’avènement du nazisme. Au cours d’une expédition maritime menée par une sorte de capitaine Haddock haut en couleurs, il découvre des salamandres aux qualités presque égales à celles des hommes. Le capitaine va utiliser leur intelligence et leur habileté pour mener un commerce de perles au large du Pacifique, avec le projet d’exploiter les salamandres à des fins de domination politique et économique du monde.
Ce roman rédigé comme un conte philosophique alterne des descriptions presque encyclopédiques et des passages loufoques sur les aspirations de domination des salamandres – métaphores de la hiérarchisation raciale. Tout le monde en prend pour son grade, des politiciens aux journalistes, en passant par les scientifiques et les chefs d’entreprise. Un roman caustique et très drôle, qui n’a pas pris une ride.
Lettre d’une inconnue, de Stefan Zweig
Stefan Zweig ou mon premier coup de foudre littéraire d’adolescente. Cette nouvelle donne l’impression de plonger tête la première dans une bassine de Valium. On en sort complètement sonné, même moi et mon petit cœur de pierre.
À travers la passion dévorante d’une inconnue pour un écrivain célèbre, Zweig excelle comme d’habitude à décortiquer les tréfonds de l’âme humaine et à pénétrer aux confins de la passion destructrice.
« Toutes les formes possibles, de ta froideur, de ton indifférence, je me les étais toutes représentées, dans des visions passionnées; mais, dans mes heures les plus noires, dans la conscience la plus profonde de mon insignifiance, je n’avais pas même osé envisager cette éventualité, la plus épouvantable de toutes; que tu n’avais même pas porté la moindre attention à mon existence. »
Cette nouvelle a fait naître en moi des émotions très fortes, mêlant fascination craintive et dégoût pour ce jeune écrivain égoïste, et empathie pour cette femme dont la passion consume l’âme jusqu’au tragique.
Les raisins de la colère, de John Steinbeck
J’ai souvent trouvé les bouquins de Steinbeck trop longs et trop sombres ; Les raisins de la colère est peut-être l’exception qui confirme la règle.
Grande Dépression de 1929 : les aventures de la famille Joad, pauvres métayers d’Oklahoma, chassés de leurs terres par les banquiers de l’Est et qui décident d’entreprendre un voyage vers la Californie, à la recherche d’une vie meilleure.
Le roman offre une fresque picturale à travers les États-Unis, on descend la route 66 au rythme d’une caravane déglinguée et des états d’âme de chacun des membres de la famille, chacun luttant pour sa survie et pour la protection des autres.
Pour les amatrices d’acteurs américains au sourire bright, le roman a été adapté au cinéma, dans un superbe film avec Henry Fonda dans le rôle de Tom Joad (potentiel de groupie : 100%) !
La Casati, de Camille de Peretti
— La marquise Casati par Man Ray
La marquise Casati est ce que l’on pourrait appeler une « femme » dans toute sa splendeur, sa grâce et son excentricité. Illustre mécène italienne et icône du style, elle est devenue la muse des plus grands artistes de son temps, de Picasso à Man Ray.
Luisa Casati est fascinante et déroutante, se livrant à toutes sortes d’excentricités, sans souci aucun de la morale ou de la bienséance. Ce qui fascine, c’est la lente déchéance qui a précédé sa mort. La marquise mourut ruinée, reniée des siens et ayant dilapidé sa fortune. Camille de Peretti compare sans humilité la vie de cette excentrique dispendieuse avec son propre quotidien, elle en fait son alter ego tout autant que son ennemie. J’ai aimé la folie des descriptions et la féminité que dégage ce roman.
« La marquise Casati avait eu des chaussures en diamant, teint ses cheveux en vert, fréquenté les plus grands artistes, pris toutes les drogues possibles, organisé des bals spectaculaires, aimé un boa constrictor, défrayé la chronique et habité au Ritz… (…) Sa vie ressemble à un conte de fées qui vire au drame. (…) C’est peut-être cela qui m’a le plus attirée, le vertige de la perte. Moi qui suis si raisonnable. »
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