« L’âge mûr devient sot et négligent lorsqu’il sous-estime la jeunesse. » [Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé – Chapitre 2]
Il est temps d’abandonner un peu nos âmes adultes pour assumer (ou non) la lecture de sept livres – 4057 pages connues de tous mais parfois tues à l’évocation du mot « Littérature » ou au déplaisant souvenir d’un âge toujours plus grandissant.
Une fois le livre en mains, il y aura toujours les irréductibles et les têtes hautes pour ne pas trembler face à la mention étroitement connotée « À partir de 10 ans » et autres « Folio Junior » ou « Gallimard Jeunesse ».
Et il y aura ceux qui conservent le tout entre deux planches bien fermes, les porteurs de coups d’oeils dérobés passés maîtres dans l’art du joli catimini nostalgique mais résolument solitaire – ou feu d’une période assurément trépassée mais impossible à jeter.
Lorsque j’ai découvert la chose, elle se trouvait emballée dans l’étroitesse colorée des jolis papiers cadeaux de l’enfance. Je n’avais rien demandé mais lisais beaucoup et de tout, et mon monde ne savait s’animer que par ça. J’étais la fille du placard sous l’escalier, encombrée, enfermée, les joues roses, la petite fille aux lunettes sur le nez et finalement, un brin stéréotypée.
A la réception du cadeau, il y eut tout d’abord le dubitatif et l’air de rien. Et puis… Ce fut comme une jolie musique aux premières pages, le prélude d’un nouveau monde riche en détails et coloré, balafré de coups d’éclairs et jets de sorts, singulièrement plus prometteur que le nôtre mille fois réel. The Opening.
J’avais 11 ans, tout comme Harry.
Je ne prétendrai pas l’heptalogie potterienne novatrice dans le fond, car elle aborde en soi de nombreux thèmes déjà lus, découverts et disséqués : la lutte de clans ennemis, le Bien et Mal, le noir et blanc. Les choses bien tranchées, au sens propre, comme au figuré.
Mais derrière tout ceci subsiste le beau de la sensation Colomb, l’impérieuse certitude d’avoir découvert là un nouveau monde. Tout y est riche en détails et sans borne, incommensurable jusqu’aux fins de syllabes. Et tout y est magique, surtout.
La magie. Derrière ce petit mot pas très beau se cache effectivement un tout surprenant. Celui des possibilités multiples, de l’imagination, des chimères et de ce qui – communément – n’existe pas. Soyons sérieux. Or lorsque nous, et le monde, changeons sans trop savoir y faire, l’existence vient soudain s’attribuer un réalisme froid, presque guindé, des contours douloureux un peu durs à pousser. Les couleurs se fanent, le pouvoir s’étiole et les proportions adoptent alors des airs de monstre prêt à rugir.
« Les conséquences de nos actions sont toujours si complexes, si diverses, que prévoir l’avenir est une entreprise bien difficile. » [Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban – Chapitre 22]
Quelques plis de réflexion naissent sur le front. Et là est l’âge adulte.
Pourtant, certaines petites choses nous rattachent parfois au beau de l’ancien monde, et pour beaucoup, HP fait partie de celles-ci. Pages après pages, l’histoire nous substitue ainsi quelques déplaisants bouts d’années et nous enrobe dans un cocon certes orageux mais jamais purement morne. Puis viennent à mesure deux-trois taches de rouge aux joues et cinq-six balafres de chocolat. Or qui serions-nous pour ne pas accepter cela ?
Si j’ai décidé d’écrire sur ce grand récit, c’est aussi et surtout – pur paradoxe – parce qu’entre les éclats feutrés de ce qui n’est décemment pas réel, la Mort pointe et s’apprend. S’impose. Se déclare par « prends garde ». Car parmi les multiples pastilles colorées proposées, les joies amicales et les bienfaits d’aimer, tout et tous – animaux, personnages, entre-deux – y sont parfaitement et simplement susceptibles d‘expirer. In Noctem.
« Pour un esprit équilibré, la mort n’est qu’une grande aventure de plus. » [Harry Potter à l’École des Sorciers – Chapitre 17]
L’heptalogie n’est certes pas tendre envers ceux qu’elle a faits naître. Certains se sont vus voués à mourir ou disparaître, ne laisser à nous autres attachés que la dure pédagogie de la perte, le pénible apprentissage du grand noir. Grandir, grandir avec ce que cela comporte de saumâtre et d’acide, évoluer avec la sensation du fil brisé et l’effet Damoclès.
Car ici, tout-n’est-à-pas-prononcer. Ici, sans magie et sans fard, trop-de-choses-peuvent-tuer.
Voici pourquoi certaines œuvres nous promettent encore quelques petits éclats fous, pourquoi il nous faut continuer de rêver entre tout. Nous sommes adultes et qu’importe ? L’illusion a du bon, elle préserve aisément de ce qui est trop décent, bien trop droit et tranchant. Sans baguette, sans grimoire, sans potions et selon notre piètre condition de moldus, il nous faut alors chercher et trouver encore dans les recoins nos propres miettes de sorcellerie. And the story begins.
Aujourd’hui, j’ai 21 ans. Je ne porte plus de lunettes et j’ai finalement abandonné mon placard sous l’escalier.
Lorsque force a été de constater que dans cette réalité, je ne recevrai pas de lettre, le temps qui m’était imparti avait coulé depuis longtemps. Aussi ai-je décidé que si une place de sang-mêlé avait été dévolue à ceux des livres, une place de tête-fendue pouvait être destinée à ceux comme moi.
Finalement, je ne suis guère encore Quasi-Sans-Tête, et c’est un bien. Cependant, une large part de cet esprit candide que l’on réserve habituellement aux souvenirs et aux poussières reste occupée par un ailleurs autrement plus magique, et d’autres mondes, en d’autres livres.
« Ça ne fait pas grand bien de s’installer dans les rêves en oubliant de vivre. » [Harry Potter à l’École des Sorciers – Chapitre 12]
L’un et l’autre ne sont pas inévitablement incompatibles, voilà pourquoi sur ce point, Dumbledore, permettez-moi enfin de ne pas être d’accord.
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Les Commentaires
On peut s'intéresser à cette revue et lire les commentaires sans vouloir qu'on nous révèle une partie de l'histoire.... (exemple de Zinzoline avec