Si montrer des femmes être violentées, violées ou humiliées dans une série n’a jamais posé de souci à aucun scénariste ni à aucun showrunner, il a longtemps compliqué, voire tabou, pour eux, de représenter de ce qui constitue pourtant l’un de nos droits fondamentaux et fait partie de la vie de nombreuses personnes : l’IVG.
Encore puritaine, l’Amérique, principale exportatrice de contenus pour la télévision et les plateformes de SVoD comme Netflix, Amazon, Disney, OCS ou Apple TV+, a longtemps usé et abusé de pirouettes scénaristiques pour éviter de faire avorter ses héroïnes.
Chute dans les escaliers, fausse-couche naturelle, accouchement sous X, bébé maléfique qui s’auto-tue (eh oui), accident de bagnole : toutes les excuses étaient bonnes pour contourner la case IVG.
Les séries des années 2000, insupportablement anti-avortement
Rappelez-vous par exemple : dans Desperate Housewives, sortie en 2004, le personnage de Julie Mayer, la fille de l’iconique Susan, est enceinte.
Une chose est certaine pour l’héroïne : elle ne veut pas élever cet enfant. Ainsi, elle prévoit de le faire adopter, avant de se faire laver le cerveau par son intrusive de mère, qui lui propose d’élever le bébé à sa place…
Ici, l’IVG n’est même pas une solution envisageable, et pour cause : Julie débarque chez sa mère alors qu’elle a déjà largement dépassé le délai de recours à l’avortement. Pratique !
Et quand bien même elle aurait agi plus tôt, nul doute qu’elle aurait eu droit à des discours pro-life, le personnage de Susan ayant été écrit dans les règles de l’art de la bonne morale américaine et du patriarcat.
Dans cette même série, Bree Van de Kamp décide de faire croire à ses voisins qu’elle est enceinte et cache sa fille (dont elle a honte qu’elle soit vraiment enceinte) jusqu’à son accouchement. Ensuite, elle fait croire que l’enfant est le sien. WTF ? Vraiment TOUTES les pirouettes sont bonnes pour éviter l’IVG, même les plus tirées par les cheveux.
On aimerait que de tels exemples soient rares.
Malheureusement, il n’en est strictement rien. Les séries américaines des années 2000 sont même l’exemple parfait du refus des programmes à parler avortement.
Ainsi, tous les gros shows qui ont joui de succès à la télévision ont soigneusement contourné la question, à force de pirouettes plus ou moins convaincantes.
Charmed, Newport Beach, Glee, Desperate Housewives, Mad Men, Grey’s Anatomy et consorts ont sans vergogne fabriqué des artifices servant à nier la réalité des femmes qui, aux États-Unis ont pourtant été 1,3 million à avoir recours à l’IVG en 2000, d’après les données collectées par l’institut Guttmacher, qui fournit des statistiques sur le contrôle des naissances et l’avortement dans le monde.
Et lorsque le mot tabou est enfin prononcé, dans Sex and The City par exemple, voire brandi comme (faux) étendard progressiste, il n’est jamais que de la poudre aux yeux.
On se rappelle notamment de Miranda, qui après avoir crié qu’elle voulait avorter (dans l’épisode Coulda, Shoulda, Woulda), se fait culpabiliser par sa meilleure amie, Charlotte, qui est stérile, et décide finalement de garder son enfant…
Ainsi, il était très rare, jusqu’à il y a peu, de voir à la télévision une femme décider sciemment et sans hésitation d’avoir recours à l’IVG, et encore plus rare de la voir aller jusqu’au bout de sa démarche.
Vers un meilleur traitement (ou un traitement tout court) de l’IVG dans les séries ?
Heureusement, le monde (et les scénaristes) allant de l’avant, il est moins question de faire barrage au progrès et aux droits des femmes.
En dépit des revendications des anti-IVG, les séries actuelles s’emparent du sujet, le nomment, le réfléchissent, le montrent à l’écran.
Tara Rose, autrice du Tumblr Remember the Abortion Episode?, explique :
« Maintenant, non seulement nous voyons beaucoup de personnages ayant recours à l’avortement, mais on voit aussi beaucoup de ces personnages faire ce choix sans regrets ou introspection. »
Il est vrai que pendant des décennies, si l’IVG était évoqué dans un programme, il était vecteur de culpabilité et, souvent, se soldait par un changement d’avis du personnage concerné, comme démontré plus tôt.
Mais les temps ont changé, et les séries actuelles tentent de coller à leur époque.
Ainsi, dans une ère post-Weinstein où la parole se libère, non seulement en matière de violences sexistes et sexuelles mais aussi plus largement en matière de droits des femmes, l’avortement devient un vrai sujet sur nos écrans.
Le film L’évènement (en salles le 24 novembre prochain), dans lequel Audrey Diwan dissèque le choix d’une jeune femme de recourir à l’avortement, a par exemple fait fureur dans les festivals internationaux, notamment à la Mostra de Venise où il est reparti avec le Lion d’or, c’est à dire la récompense ultime.
Tout comme le cinéma, la télévision prend ce même pli, notamment via d’excellents programmes qu’on vous conseille de consommer dès maintenant !
Quelques séries qui parlent (bien) d’IVG
Dans Sex Education saison 1, le personnage de Maeve a recourt à l’IVG dans une séquence brillamment écrite et menée, où l’on est avec la jeune femme à l’hôpital .
Séquence qui n’a rien à envier à une série un poil plus ancienne, Crazy Ex-Girlfriend, dans laquelle Paula se fait avorter ; la nouvelle est portée simplement, avec la réflexion qui l’a accompagnée, sans que le personnage ne se flagelle ni ne regrette sa décision.
D’autres programmes encore, comme Girls ou Scandal évoquent l’IVG avec aisance, comme le simple droit qu’il est pour les femmes de disposer de leurs corps.
Un progrès considérable, pour la télévision, qui est néanmoins loin d’avoir fait changer toutes les mentalités.
À une heure où, en France, Éric Zemmour a pignon sur rue, déblatérant à qui veut bien l’entendre que « L’avortement ne libère pas la femme », et où le taux de recours à l’IVG n’a jamais été aussi bas aux États-Unis, Caren Spruch, chargée de la visibilité du Planning familial dans les arts et le divertissement en Amérique, rappelle :
« Nous savons que le divertissement populaire a les moyens de changer les termes des débats. Plus que jamais, nous avons besoin de scénarios sur l’avortement qui soient authentiques et respectueux de l’expérience des femmes. »
Ainsi, les séries ont un rôle important à jouer dans l’élévation des mentalités.
Soigner le traitement de l’IVG à la télévision est donc absolument primordial, et nul doute que d’autres programmes tels que Sex Education verront le jour, qui présenteront ce droit comme ce qu’il est — permettant, tranquillement, de faire bouger les lignes.
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