Avec Annie Colère, la réalisatrice Blandine Lenoir met en lumière le travail invisibilisé du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), ces militantes ayant contribué de manière décisive à l’adoption de la loi sur l’avortement
En attendant la sortie en salle de ce très beau film féministe, pédagogique et puissant le mercredi 30 novembre, on a rencontré Blandine Lenoir ainsi que l’actrice principale du film, Laure Calamy.
Annie Colère, de quoi ça parle ?
Annie Colère nous plonge en février 1974. Parce qu’elle se retrouve enceinte accidentellement, Annie, ouvrière et mère de deux enfants, rencontre le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception qui pratique les avortements illégaux aux yeux de tous.
Accueillie par ce mouvement unique, fondé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs, elle va trouver dans la bataille pour l’adoption de la loi sur l’avortement un nouveau sens à sa vie.
Entretien avec la réalisatrice Blandine Lenoir et l’actrice Laure Calamy
Madmoizelle. Dans Annie Colère, vous filmez de nombreuses réunions de femmes dans lesquelles elles échangent et s’entraident, dans des plans souvent longs. Pouvez-vous nous parler de ce choix de mise en scène ?
Blandine Lenoir. Je voulais mettre en scène l’une des actions du MLAC qui est de rompre le silence imposé aux femmes depuis toujours. Pour rompre ce silence, il faut laisser la parole aux femmes. Il faut les écouter, il faut les laisser formuler les choses en leur donnant ce temps de parole et d’écoute qui est rare au cinéma.
J’ai conscience que ces longs moments peuvent parfois déranger. Ce sont des récits qu’on n’est pas habitués à entendre alors qu’ils sont hyper importants car c’est ce qui nourrit la lutte. Les récits de chacune se rejoignent dans une lutte collective, commune. Si je partage mon expérience, tu as la même donc on se comprend et on se réunit dans la lutte.
Madmoizelle. Parlons des scènes d’avortement, qui sont nombreuses dans le film. Elles détonnent complètement avec ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma…
Blandine Lenoir. Justement, je les ai construites en opposition avec tout ce que j’ai pu voir au cinéma. Il y a six avortements dans mon film, je crois que c’est plus que dans toute l’histoire du cinéma ! D’habitude, ils sont toujours mis en scène de manière traumatisante, violentes, saignantes, etc… Ce qui est compréhensible parce qu’on racontait beaucoup les avortements clandestins qui étaient faits dans des conditions parfois extrêmement brutales.
Là, c’est le contraire avec la méthode Karman, une méthode très peu douloureuse, simple, pas dangereuse. Et puis surtout, on écoute la femme qui avorte. On lui demande si elle n’a pas mal, on fait tout pour que la douleur soit traversée le mieux possible. On la prend en charge entièrement, pas seulement son corps. Ce n’est pas qu’un geste médical, c’est un geste social global. C’est une mise en scène qui montre la tendresse et le soulagement. C’est ainsi qu’on l’a travaillée avec les actrices.
Madmoizelle. Justement, comment s’est déroulé le travail de direction avec les actrices, en particulier pour ces scènes d’avortement ?
Laure Calamy. Avant le tournage, on a fait une journée pendant laquelle on a appris le geste. La première assistante se mettait dans le rôle de celle qui allait avorter et on apprenait le geste. Pendant ce temps, Blandine se demandait ce qui l’intéressait et donc, comment elle allait le filmer. Et tu as compris que c’était les visages, les regards, l’attention entre nous, entre ces femmes.
Blandine Lenoir. Oui. Je voulais aussi qu’on s’identifie à ces femmes, celles qui avortent et celles qui pratiquent les avortements, sans aucun jugement. Je voulais qu’on soit parmi elles, avec elles, et qu’on ait envie d’y être.
Laure Calamy. Et qu’on sente l’histoire de chacune, même celles qu’on ne voit que quelques instants ! C’est ce qui est très beau. À partir d’un visage, on voit surgir une histoire.
Madmoizelle. Annie est un personnage ambivalent, qui a quelque chose de candide et en même temps de révolté et déterminé. Comment avez-vous travaillé pour manier toutes ces facettes du personnage ?
Laure Calamy. Je n’aime pas définir mon personnage à l’avance. Bien sûr, il y a des grands traits – on voit bien que ce n’est pas un personnage très extraverti, très à l’aise pour prendre la parole… tout cela est dans le scénario. Mais le jeu repose sur l’instant. Je ne peux pas prévoir ce qui va se passer avec Zita Hanrot, India Hair, avec Yannick Choirat… Prévoir ce qui va se passer avec mes partenaires, ce serait pour moi la mort du jeu. Je cherche ces choses inconscientes qui vont surgir sur le plateau.
C’est comme des couches qui s’accumulent mais je ne veux pas me dire « le personnage a telle facette, telle facette… », j’aime arriver sans rapetisser le personnage. Cette Annie c’est à la fois moi, Blandine, cet autre imaginaire, c’est tellement de choses en même temps qu’on ne peut pas la définir, la restreindre. Le travail du jeu, c’est à la fois de se vider pour être une caisse de résonance et à la fois mettre de soi dans le personnage – pas seulement ses histoires, mais aussi celles qu’on a entendues des autres.
Blandine Lenoir. Un personnage est un travail collectif. Laure s’empare d’un texte, le propose dans une grande sincérité parce qu’on se connaît et qu’on est dans une relation de confiance. Cette sincérité rebondit sur les autres actrices, qui font à leur tour des propositions. C’est comme ça que le film se construit.
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Crédit de l’image à la Une : © Diaphana
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