YO. Nous nageons en pleine période estivale et transpirante et les magazines dégainent leurs tests et jeux de plage. Vous savez quoi ? Nous, on va dégainer la live experience — ça va être rigolo (pas rigolo genre les Trouvailles, plutôt science rigolo, enfin bon, vous voyez).
Pour commencer cette fabuleuse live experience, je vous prie de ne pas scroller et de suivre les instructions suivantes : dans la vidéo ci-dessous, vous allez voir un cercle fait de pastilles multicolores, dont les couleurs changent. Regardez toute la vidéo en fixant votre regard sur le petit rond blanc situé au milieu du cercle. Ok ? Ok.
Si tout roule, vous avez dû voir les pastilles changer de couleur (à ce moment, le cercle est immobile… seules les couleurs bougent). Puis, lorsque le cercle a commencé à tourner, vous avez dû voir les pastilles arrêter de changer de couleur ?
Éteindre la perception visuelle…
Eh bien, mes amourettes, nous nous plantons : en vrai, les pastilles changent de couleur pendant toute la vidéo — même lorsque le cercle tourne. Simplement, en fixant notre œil sur le point blanc… nous ne détectons plus le changement ! Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas décelé, jetez-y un second œil !
L’expérience, mise au point par Jordan Suchow et George Alvarez, fonctionne également lorsque les pastilles changent de forme, de taille…
Les chercheurs proposent d’ailleurs sur le « Vision Lab » d’Harvard plusieurs déclinaisons de la vidéo. La cerise sur le gâteau ? Même lorsque nous connaissons le truc, l’effet persiste !
Pour Suchow et Alvarez, il s’agit de « silencing » (réduire au silence) : en demandant au sujet de fixer son regard à tel ou tel endroit, on peut « éteindre » sa perception visuelle du changement
. Selon eux, lorsqu’on change l’endroit de la rétine où l’on projette le stimulus (soit en bougeant le regard, soit en bougeant l’objet), il est possible de ne plus « voir » de la même manière (et donc de ne plus percevoir les changements de couleurs).
…et ne pas « voir » le changement
D’autres chercheurs parlent de « cécité au changement » : il ne s’agirait pas ici de « vision », mais plutôt d’un phénomène cognitif. Nous avions déjà abordé la thématique avec l’expérience du gorille, mais allons plus loin.
Lorsque l’on fixe notre attention sur quelque chose, nous pourrions éliminer notre capacité à « voir » un changement…
Le chercheur Daniel Simons a par exemple mis au point une expérience étonnante : dans celle-ci, des sujets se rendent à un guichet où une personne leur donne un formulaire à remplir. Lorsqu’ils l’ont rempli, les sujets rendent le formulaire à cette personne, qui se penche pour le ranger… et est à ce moment remplacée par une autre personne, qui se relève et continue la conversation avec le sujet comme si rien ne s’était passé.
Je vous le donne en mille : environ 75% d’entre nous pourraient bien ne pas s’apercevoir du changement d’interlocuteur !
Pour avoir une meilleure idée de l’expérience, n’hésitez pas à regarder la vidéo suivante :
Pour celles et ceux qui l’ont regardée… Avez-vous remarqué combien de fois Daniel Simons changeait de chemise ? HA – vous ne l’aviez pas vue venir, celle-là (moi non plus, d’ailleurs) !
Daniel Simons et Daniel Levin (et al., d’ailleurs) ont poursuivi ces recherches en réalisant une expérience « IRL » : un expérimentateur arrête un piéton dans la rue pour demander son chemin. Après quelques secondes, des faux déménageurs passent entre les deux individus avec une porte qui dissimule l’expérimentateur… Pendant ce moment, un deuxième expérimentateur prend la place du premier, et continue l’interaction comme si de rien n’était. Petit taquet pour nous : la moitié des piétons ne réalise pas le changement d’interlocuteur !
Pour Simons, la différence entre ceux qui perçoivent le changement et les autres pourrait être due au « hasard » : nous ne focalisons peut-être pas tou-te-s notre attention sur les mêmes détails. Certain-e-s ont pu retenir la couleur de la chemise de l’expérimentateur, ou sa pilosité, etc.
Plus généralement, la cécité au changement s’expliquerait par une erreur de traitement de l’information : notre cerveau ne traiterait qu’une partie de ce que l’on voit – notre erreur ne viendrait pas de notre vue, mais bien de la manière dont notre cerveau traiterait l’information.
Lorsque l’on vit une scène, nous percevons les détails de cette scène – mais notre cerveau n’enregistre pas toutes les informations de cette scène, il n’enregistre pas tout ce que notre œil voit.
Lorsque la scène est interrompue (par exemple lorsque l’expérimentateur se penche, ou que les faux déménageurs font irruption), le cerveau est court-circuité : notre attention est happée ailleurs, et lorsque la scène revient à la normale, nous ne pouvons que nous appuyer sur notre « mémoire » visuelle pour déterminer ce qui a changé…
Autrement dit, si l’on parvient à détecter un changement, c’est que la chose changée a fait l’objet de représentations en mémoire suffisamment précises (et donc que notre attention a été focalisée dessus) – finalement, la détection des changements reflèterait donc la représentation en mémoire des informations visuelles.
Si le changement passe inaperçu, c’est à l’inverse que notre cerveau n’a pas élaboré une représentation en mémoire assez précise… Paradoxalement, cette erreur serait due à l’efficacité de notre système visuel : nous avons besoin de comprendre rapidement notre environnement, et pour cela, notre cerveau sélectionne seulement ce qui nous semble important pour appréhender la situation et réaliser ce que l’on souhaite réaliser.
Vous voulez une dernière illusion pour la route ? Faites donc un tour du côté du chercheur Richard Wiseman, qui a repris le principe de la cécité au changement et a élaboré une vidéo basée sur un tour de magie !
Y a-t-il des cécit-aires du changement dans la e-salle ?
Pour aller plus loin :
- Source : le blog de Fabrice Gabarrot, a.k.a. @FGabarrot, qui a linké la vidéo de Simons et qui tweete psychologie sociale.
- L’article de Suchow et Alvarez
- Des articles de Simons et Levine ici et là
- Le « Simons Lab » et le site personnel de Daniel Simons (avec un p’tit Ted Talk bien intéressant)
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires