« Je parie que tu aimerais que cette lettre te soit dédiée.
Mais il ne peut s’agir de toi, il ne peut s’agir que d’elle. Cette autre dont tu n’arrives pas à te séparer. Cette autre, prenant souvent toute la place, semblant ignorer ton existence. Cette autre qui t’étouffe, toujours là, telle une sangsue qu’on ne verrait pas, mais dont on ne pourrait que constater, impuissante, les dégâts. On vous confond parfois, elle te contrôle souvent. Je sais comme tu aimerais la réduire au silence, la faire disparaître. Cesser d’avoir honte, à chaque fois qu’elle intervient ou de te sentir coupable, quand elle s’impose, sans crier gare.
Si tu veux la paix, prépare la guerre paraît-il. Mais ne crois-tu pas que tu as suffisamment aiguisé tes armes, et rongé ton frein, te rongeant tout court, pour ne pas avoir déjà déclaré silencieusement cette guerre contre elle ? Il est peut-être temps de les rendre, ces armes, qui t’écorchent et vous abîment, pour vous permettre d’avancer sereinement, ensemble, ou, comme tu le préférerais, chacune de votre côté.
Tu le sais pourtant, même si ça t’agace. Comme tu sais qu’elle est là car elle a besoin de toi, car elle ne sait pas faire sans toi. Tu as droit de vie ou de mort sur elle, pourtant, c’est elle qui a l’ascendant. Tu as choisi l’agonie, espérant secrètement qu’elle s’achèverait seule. Elle reste malgré tout, à croire qu’elle est maso. Plus tu la repousses, plus elle s’accroche. La fameuse sangsue.
Elle peut même se montrer sage, docile, se fondant en toi, incognito, quémandant les miettes d’attention que tu daigneras lui accorder. Elle attend que tu prennes soin d’elle, que tu la rassures, que tu la considères. Elle n’a que toi. Elle ne peut compter que sur toi. Elle ne te rappelle personne ? Vous n’êtes pas si différentes au fond, et c’est peut-être ça le plus douloureux. Cette coloc’ envahissante, que tu n’as pas choisi, et qui te renvoie à tes propres insécurités. Cet écho dans le brouillard, que tu préférerais ne pas entendre, pour trouver seule, ta propre voie/voix. Je sais qu’elle te fait souffrir, qu’elle te rabaisse, que tu régresses. Mais ce n’est qu’une enfant, cette enfant au fond de toi.
Et comment en vouloir à une enfant de chercher à exister, à être aimée aux yeux du monde ? Et qui es tu au fond pour lui reprocher son incapacité à panser seule ses plaies ? À quoi bon être si dure avec elle ? À quoi bon être si dure avec toi ? N’aimerais-tu pas une relation apaisée avec elle, avec toi ? Peut-être qu’il faudra commencer par ne pas la considérer comme un poids, une tare que tu te traines ?
Peut-être faudrait-il justement l’assumer, accepter sa présence, la reconnaître, et lui laisser prendre sa place, s’exprimer, exister sans entraves, pour grandir, comme tu tentes de le faire plus ou moins facilement ? C’est marrant comme en écrivant ces mots, je réalise que le schéma se répète. Schéma dont tu te sens victime et qui pourtant, te sert de modèle. On peut souvent reprocher à ses parents ce que l’on devient. Les erreurs qu’ils ont pu faire et qui nous ont mené là.
Tu ne peux reprocher à ta mère de t’avoir fait passer enfant après un père absent et traiter cette enfant comme une entrave à ton épanouissement. Double peine. Game over.
C’est sur cette petite fille que tu t’es construite. Bases fragiles d’une femme qui n’ose se voir ainsi. Adulte par l’âge, enfant dans les tripes. Comme cette petite Cindy aimerait être reconnue et devenue une femme qui inspire, une femme qui marque, une femme qu’on cite comme modèle. Une femme, tout court, en fait. Pour elle, tu peux le faire. Elle est ta soeur, ton amie, ta petite fille.
Elle est ton autre, celle sans qui tu ne serais pas. Elle est toi, ne la renie pas. Accepte toi, écoute toi, laisse lui une chance, celle de te montrer la belle femme que tu es, même si tu n’oses encore le montrer. Fais-le pour toi, pour nous.
Je t’envoie tout l’amour que tu n’arrives pas encore à t’exprimer.
Ton autre, Cindy »
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Les Commentaires
Voici une lecture qui peut être salvatrice à tou.te.s celleux qui se retrouvent dans la lettre de Cindy:
Gloria Steinem - Revolution from within
La version française (une révolution intérieure) malheureusement ne se trouve que d'occasion, difficilement ou à prix élevé.