Je ne devais pas assister au concert.
J’avais bien essayé d’acheter ma place sur le site de la fnac comme le font les honnêtes gens, mais m’y prenant une semaine après la mise en vente des billets, je me suis retrouvé pour ainsi dire brocouille. Et c’était la seule et unique date de sa tournée mondiale annoncée en France, alors autant dire que j’avais légèrement envie de mettre fin à mes jours de façon dramatiquement flamboyante. Depuis, on sait qu’elle reviendra début juillet à Arras et le 21 octobre au Zénith.
Néanmoins, habitant non loin de la Cigale, je décide, le soir du concert, d’aller tater de la foule qui faisait la queue (j’étais particulièrement excité à l’idée de savoir que Lily n’avait jamais été aussi près de moi), histoire de voir quel était le public de la chanteuse britannique. Qu’elle ne fut pas ma surprise en constatant que la fille d’attente s’étendait sur trois patés de maison. Sainte Mère de Dieu. Il fallait que je rentre là-dedans.
Devant la salle de concert, une dizaine de vendeurs à la sauvette, dont un qui n’a plus que deux dents, se partagent le territoire. Je n’ai pas le temps de bourrer ma pipe que déjà l’un d’entre eux me demande si je cherche une place. Je dis non par principe – parce que ces vieux bubons purulents achètent en masse des billets de concert pour se faire du blé sur le dos de l’artiste et du fan transi – avant de lui demander combien il le revend, son ticket acheté avec l’argent sale de la drogue et de la prostitution, et il me dit « 50 euros ».
Il répond alors à mon sourire par un « mais pour toi, 45 euros ».
Est-ce que tu veux dire que mon sourire ne vaut que 5 euros, vieille fiente ?
Je tente le tout pour le tout et je rentre. Une fois à l’intérieur, je cherche le mec chargé de la liste des invitations pour journalistes. S’en suit une discussion que je me dois de garder secrète ici pour des raisons évidentes de professionnalisme, puis une main tendue avec le pass. Après tant d’émotions, il est temps pour moi d’aller me réhydrater le gosier et de voir ce qui se passe du côté du bar.
En première partie, un DJ passe un peu de tout un peu de rien. On est loin de Natalie Portman’s Shaved Head qui ouvrait pour Lily Allen lors de sa tournée américaine bien sûr, mais pendant son set, alors que Milkshake de Kelis résonne à travers les enceintes, la foule se met à huer le DJ. Est-ce que tous ces jeunes sont syphilitiques ? Milkshake est probablement une des meilleures chansons de la décennie ! Il me faut un deuxième verre.
Le public trépigne, ça fait 40 minutes qu’on attend, on veut de la Lily Allen en collants léopards et robe à froufrous, pourquoi diable serait-on là sinon ?
Lily finit par arriver, affublée d’un short jean neige et de bas résilles et voici un fait dont tout le monde doit être au courant : Lily Allen n’est pas grosse. Sérieusement. Elle n’est même pas ronde. Elle a des jambes magnifiques et un sourire qui vaut largement plus que 5 euros. Je ne sais même pas pourquoi elle est encore la caution « ronde et sexy » des magazines féminins.
Lily Allen est en concert depuis plusieurs mois, mais elle n’est pas fatiguée : elle sautille sur ses talons de 12 cms, boit deux gorgées de pinard, fume en s’ébouriffant les cheveux, parle d’amour avec cynisme, et surtout, elle sait exactement ce qu’elle fait avec sa voix. Ses accents mutins vibrent contre le velours rouge de la Cigale, et s’il y en a une qui serait la candidate idéale à la Nouvelle Star, c’est bien elle : Lily Allen maîtrise les reprises comme personne, voire mieux que les interprètes originaux (Oh My God, de Kaiser Chiefs et Womanizer de Britney Spears).
Lorsqu’elle chante Fuck You, c’est une vague de majeurs en l’air qu’on distingue, et lorsqu’elle entame The Fear, c’est une marée de voix à l’unisson qu’on entend. Elle jette les serviettes avec lesquelles elle éponge son front dans la fosse, et les gens s’arrachent le bout de tissus imbibé de sueur. Elle chante Not Fair et pendant qu’elle prononce les paroles « I spent ages giving heads » elle mime une fellation. Elle chantonne Who’d Have Known et effectivement, qui aurait cru qu’il s’agissait d’une balade ?
Car Lily évite les écueils des concerts comme seuls les anglais savent le faire : pas de moment mou-mou du g’nou, pas de chanson aux arrangements obscurs qui trainent en longueur, pas d’expression faciale blasée, et quand même à la fin elle prévient que « c’est notre dernière chanson pour ce soir », elle fait un clin d’oeil monstrueusement complice à la salle. Parce que tout le monde sait qu’il y aura un rappel, et tout le monde sait qu’il n’est pas nécessaire de faire comme si on assistait à un concert comme les autres.
Lily Allen nous prouve qu’une fille pop peut être aussi cool qu’un garçon rock, et bon sang, c’est pas trop tôt.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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