Dans une interview pour ShortList relayée par Jezebel, Lily Allen s’est notamment exprimée sur le féminisme et les droits des femmes. Morceaux choisis.
« Je ne suis pas une femme comme les autres. Tous mes meilleurs amis sont des mecs.
[…]
Le single de votre grand retour, Hard Out Here semblait être une déclaration sur les femmes dans l’industrie…
Ça semblait juste être un bon morceau. Je n’avais pas l’intention d’écrire une tribune, c’est juste sorti comme ça. L’idée n’était pas de dénoncer quoi que ce soit.
Ça parlait quand même de la façon dont les femmes sont jugées, traitées. Pensez-vous que les choses évoluent à ce niveau ?
Pas vraiment. Mais je ne pense pas que les hommes soient l’ennemi, je pense que l’ennemi, c’est les femmes. Je sais que quand je suis au restau et qu’une femme vraiment belle entre, une femme mince, je me dis instinctivement « Oh, elle est si mince et belle, moi je suis moche et grosse ». Mais tous les hommes me disent qu’ils trouvent ces femmes-là dégoûtantes et qu’ils préfèrent un peu de gras sur leurs meufs. Donc je pense que c’est plus un truc compétitif. C’est bizarre. C’est vraiment malsain : nous sommes nos propres pires ennemies. Il faudrait qu’on arrête d’être si horribles les unes envers les autres.
[…]
Féminisme. Je déteste ce mot parce que ça ne devrait même plus exister. On est tous égaux, tout le monde est à égalité alors pourquoi est-ce qu’on parle de féminisme ? C’est quoi la version masculine du féminisme ? Y a même pas de mot pour ça. Y a pas de raison que ça existe. Le mec-isme. L’hommisme. Ça n’existe pas. »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Lily Allen ne va pas se faire que des ami-e-s dans les milieux féministes, qui avaient déjà dénoncé le sexisme et le racisme de la chanson (et du clip) Hard Out Here, qui parodiait Blurred Lines de Robin Thicke. Selon bien des militant-e-s féministes et antiracistes, elle y méprisait une certaine frange de la population féminine et utilisait les corps des danseuses noires comme des « accessoires » dans son clip.
Avec cette déclaration, je dois avouer que Lily Allen a réussi à me faire lever plus d’un sourcil. Décryptons ensemble, voulez-vous ?
« Je ne suis pas une femme comme les autres et je traîne qu’avec des mecs »
Ah, le vaste sujet des « filles qui n’aiment pas les filles » (déjà traité par le professeur Bobby Freckles en 2009 : c’est dire que c’est pas nouveau).
Je pense que tout le monde a connu, dans sa vie (généralement au collège, faut bien le dire), une fille « qui n’aime pas les filles », qui « n’est pas comme les autres filles car elle ne traîne qu’avec des mecs », et autres variations sur le même thème. « Les autres filles » étant généralement un concept bien vague qui tend à désigner les femmes qui correspondent aux canons de beauté actuels, et qui s’intéressent à des choses connotées « pour gonzesses » comme le shopping, le maquillage, ou les potins people.
Il s’agit d’une forme de misogynie venant des femmes elles-mêmes puisque les choses considérées comme « féminines » sont généralement vues comme futiles, consuméristes et un peu méprisables. On considère les femmes stupides de perdre 5h de leur journée à faire les soldes, superficielles parce qu’elles se passionnent pour le maquillage ou mesquines parce qu’elles s’intéressent à Brad qui a quitté Jennifer pour Angelina, ce salaud.
Dire « je ne suis pas comme les autres filles », c’est sexiste parce que ça sous-entend que « les autres filles » sont toutes pareilles, alors que chaque femme (et chaque homme, enfin chaque personne en général, quoi) est unique, complexe et différente de sa voisine. N’avoir que des amis mecs, ce n’est pas un souci en soi, chacun-e trouve son bonheur où il veut, hein ; mais sous-entendre qu’on n’a pas d’amiEs parce que « les autres filles » sont toutes pareilles et qu’on est « différente », ça pue quand même, un peu, le mépris.
« L’ennemi des femmes, c’est les femmes »
Selon Lily Allen, donc, le seul ennemi qui s’oppose encore aux femmes, ce sont les femmes elles-mêmes et la compétition qu’elles entretiennent. Par exemple, je sais pas, moi, en disant « je ne suis pas comme les autres filles »… La paille, la poutre, l’hôpital, la charité, tout ça.
S’il est légitime de considérer et de critiquer le fait que les femmes aussi peuvent être sexistes et misogynes, il me semble un tout petit peu fort de café de considérer que ça y est, on est égaux, tout le monde il est égal, y a que ces gonzesses qui arrêtent pas de se tirer dans les stilettos Jimmy Choo, c’est insupportable, elles n’apprendront donc jamais.
Surtout que, comme nous l’apprend cette chère Lily, il est totalement stupide de jalouser une femme mince parce que les HOMMES, instance suprême de validation du monde, les trouvent « dégoûtantes » et préfèrent avoir de quoi se remplir les mains. Ah bah alors TOUT VA BIEN ! Les mâles ont tranché.
Femmes minces, merci de vous gaver comme des oies avant de ressortir de chez vous : vous indisposez l’ego de Lily Allen et les yeux de vos seigneurs et maîtres congénères masculins. Femmes moins minces, c’est avec une joie immense que je vous annonce que tous vos éventuels complexes peuvent disparaître immédiatement : l’Homme vous valide.
Je propose un jour férié mondial pour fêter ça.
Maintenant qu’on a bien rigolé, quelques chiffres issus de ce bien bel article :
- Une femme sur 10 a été violée ou le sera au cours de sa vie.
- Dans 80% des cas, l’agresseur est connu de la victime (cf. l’effrayant Tumblr Je connais un violeur, et un tiers des viols a lieu au sein du couple.
- 25 % des viols sont commis par un membre de la famille
- 57 % des viols sont commis sur des personnes mineures (filles et garçons)
- 51% des viols sont des viols aggravés
- 67 % des viols ont lieu au domicile (de la victime ou de l’agresseur)
- 45 % des viols sont commis la journée et non la nuit.
- Selon Amnesty international (2007), 90 % des violeurs ne présentent aucune pathologie mentale et 90 % des condamnés sont issus de classes populaires
- 96 % des auteurs de viol sont des hommes et 91 % des victimes sont des femmes.
Vous voyez celui que j’ai mis en gras, là ? Lisez-le. Bien. Toi aussi, Lily, lis-le, fais pas ta feignasse.
Une femme sur dix a été ou sera violée, et dans 96% des cas, le coupable est un homme. Alors dire que le seul ennemi des femmes, c’est les autres femmes et leur compétition débile pour savoir laquelle plaît le plus aux HOMMES (vous serez heureuses d’apprendre que les femmes lesbiennes ou bisexuelles, voire asexuelles, sont une légende au même titre que les licornes et l’attaché-e de presse de Christine Boutin), ça me semble un peu ABUSÉ.
Alors qu’on soit bien d’accord : je ne pense pas que les hommes sont les ennemis des femmes. Je pense que l’ennemi des femmes, l’entité qui les conduit à vivre dans la peur, à être limitées professionnellement et socialement, à subir des violences, à être payées moins que les hommes, et autres joyeusetés, c’est le patriarcat.
Le patriarcat, ce n’est pas « les hommes » : c’est une construction sociale contre laquelle on peut lutter, qu’on peut dénoncer, étudier, creuser et analyser. Ce qui est un peu plus productif que dire « tout le monde est déjà égal lol sauf les gonzesses qui s’aiment pas ». Enfin, je trouve, quoi.
« Il n’y a pas d’équivalent masculin au féminisme »
Bon, déjà je ne comprends pas trop ce que ça vient faire là, parce que c’est pas un argument, de dire « ce combat est débile et inutile parce que l’inverse n’existe pas ». Enfin je sais pas pour vous, mais moi je ne vois pas la pertinence de cette information.
De plus, et là, c’est pas pour le plaisir de faire ma maline, hein, mais si le mec-isme ou l’hommisme n’existent pas, je me permettrai de rappeler à Lily Allen que le masculinisme ainsi que les Men’s Right Activists (Activistes pour les droits des hommes), c’est un peu plus réel que le monstre du Loch Ness (ou les lesbiennes, si vous suivez bien). Ces mouvements se préoccupent des discriminations en défaveur des hommes, notamment les droits des pères, un de leurs combats les plus médiatisés.
Je ne vois donc pas ce que « il n’y a pas de féminisme pour les hommes » vient faire là : le féminisme vise à rétablir l’équilibre dans la balance femmes-hommes, non pas en instaurant une domination féminine, mais en établissant une égalité qui est loin d’être acquise. Pour plus d’informations sur la question, je vous renvoie (oui, toi aussi, Lily) à notre dossier Les droits des femmes dans le monde !
Promis, Lily, je ne te déteste pas. Par contre, je ne te comprends pas. Quand tu déplores que les femmes sont leur meilleures ennemies, et que tu sembles mépriser « les autres femmes », je ne te comprends pas. Quand tu détestes le féminisme parce que l’égalité est atteinte, je ne te comprends pas. Et quand tu argues que son équivalent masculin n’existe pas, j’ai juste envie de te dire « Google est ton ami ». Mais poliment.
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Les Commentaires
En tant que femmes dans un milieu machiste, on nous a toujours incité à être en concurrence les unes les autres sur le plan de la beauté, de l'apparence et non sur le plan de la carrière professionnelle, des talents artistiques, du sport, de l'intelligence. Et chez certaines femmes ça prends tellement de l'importance que même si elles se rendent compte des enjeux du féminisme elles font preuve d'un vrai manque de solidarité. Ce qui est relève d'un système sociétal, donc ce qui relève de la CULTURE, du CONSTRUIT, elles en font une essence (les femmes sont naturellement plus jalouses et acerbes c'est bien connu...)
Comment on peut avancer avec ça? Comment peut-on être à se point incohérent en dénoncer le machisme du show-business mais en utilisant les corps (et la culture d'une partie) des femmes noirs comme des accessoires à but clairement fétichiste? Comment le dénoncer tout en dénigrant les femmes qui seraient condamnées selon son discours à être des éternels serpents hypocrites promptes à se crêper le chignon par jalousie tandis que les hommes seraient toujours honnêtes et plus "cool" dans leurs relations amicales?
Sans le vouloir, elle véhicule encore de vieux écueils qui fatiguent les femmes. Elle est exactement ce qu'elle dénonce. Bref...