Quelques années après l’annonce de sa sœur Lana, c’est Lilly Wachowski (anciennement connue sous le prénom d’Andy) qui déclare officiellement être une femme trans. Suite à la pression subie par un journal britannique, la co-réalisatrice de Cloud Atlas qui officie actuellement sur la saison 2 de Sense8 a tenu a faire une déclaration publique.
Dans une lettre ouverte émouvante, la réalisatrice met en lumière ses doutes, ses peurs, mais également le soutien de sa famille.
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C’est le gros titre que j’attendais toute l’année. Jusqu’à maintenant, avec crainte et/ou un lever des yeux au ciel d’exaspération. La « nouvelle » est presque sortie deux fois. Chaque fois était précédée par un mail menaçant de mon agent – les journalistes avaient demandé des déclarations concernant la « transition d’Andy Wachowski », une histoire qu’ils allaient publier. Pour répondre à ce coming-out forcé, j’avais préparé une déclaration qui était composée d’une dose de pisse, une dose de vinaigre, et de douze doses d’essence.
Elle contenait beaucoup d’informations pertinentes concernant le danger d’« outer » les personnes trans, et des horreurs satiriques sur le suicide transgenre et les taux d’homicides. Sans oublier une conclusion légère qui révélait que mon père avait injecté le sang d’une mante religieuse dans ses bourses avant de concevoir chacun de ses enfants pour produire une race de super-femmes visant à la domination féminine. Super-sarcastique.
Mais ce n’est pas arrivé. Les éditeurs de ces publications n’ont pas imprimé une histoire qui, en plus d’être salace dans le contenu, aurait eu des conséquences potentiellement fatales. Étant optimiste, j’étais contente d’en faire une avancée.
Puis, hier soir, alors que je me préparais pour sortir dîner, ma sonnette a retenti. Devant mon perron se tenait un homme que je ne reconnaissais pas. Il m’a dit, avec un accent britannique :
« Ça peut être un peu gênant »
Je me rappelle avoir soupiré.
Parfois, c’est compliqué d’être optimiste.
Il m’a expliqué qu’il était un journaliste du Daily Mail, qui est le plus gros service d’informations en Angleterre et pas du tout un tabloïd. Que je devais vraiment me poser avec lui demain ou après ou la semaine prochaine pour que ma photo soit prise et que je raconte mon histoire, si inspirante ! Je ne voulais pas que quelqu’un du National Enquirer me suive partout, si ? Au fait, le Daily Mail n’est définitivement pas un tabloïd, je vous l’ai dit ?
Ma sœur Lana et moi évitons globalement la presse. Je trouve que parler de mon art est d’un ennui frustrant et que parler de moi-même est une expérience mortifiante. Je savais qu’à un moment donné j’allais devoir faire mon coming-out publiquement. Vous savez, quand on vit en tant que personne trans c’est… plutôt difficile de se cacher. Je voulais juste un peu de temps pour reprendre mes esprits, me sentir confortable.
Mais apparemment, je n’ai pas à décider de ça.
Après qu’il m’a donné sa carte, et que j’ai fermé la porte, j’ai réalisé où j’avais entendu parler du Daily Mail. C’était l’organisme « d’informations » qui avait joué un grand rôle dans l’outing national de Lucy Meadows, une institutrice et femme trans en Angleterre. Cet éditorial (« pas-un-tabloïd ») l’avait présentée comme ayant une influence néfaste sur l’innocence délicate des enfants et avait conclu :
« Il n’est pas seulement enfermé dans le mauvais corps, il l’est aussi dans la mauvaise fonction »
La raison pour laquelle je la connaissais de nom n’était pas parce qu’elle était transgenre, mais parce que trois mois après la parution de l’article du Daily Mail, Lucy commettait un suicide.
Et les voilà, devant mon perron, comme pour dire :
« En voilà un autre ! Traînons-le dehors pour qu’on puisse tous y jeter un œil ! »
Être trans n’est pas facile. Nous visons dans un monde où la majorité imposée est de genre binaire. Ça veut dire que quand vous êtes trans, vous devez faire face à la dure réalité de vivre le reste de votre dans un monde qui vous est ouvertement hostile.
Je fais partie des personnes chanceuses. Avoir le soutien de ma famille et les moyens de payer des docteurs et des thérapeutes m’a permis de survivre à ce processus. Les personnes trans sans soutien, moyens ni privilèges n’ont pas ce luxe. Et nombreuses sont celles qui n’y survivent pas.
En 2015, le taux d’homicides de personnes trans a atteint un pic historique dans ce pays. Un nombre horriblement disproportionné de victimes étaient des femmes trans de couleur. Ce ne sont que les homicides enregistrés, donc puisque les trans ne rentrent pas tous dans les statistiques propres et binaires des taux d’homicides, ça veut dire que les véritables nombres sont plus élevés.
Et même si nous avons fait du chemin depuis Le silence des agneaux, nous continuons à être diabolisés et calomniés dans les médias où les pubs agressives nous représentent comme des prédateurs potentiels pour nous empêcher d’utiliser des fiches toilettes. Ces soi-disant lois sanitaires qui poussent partout dans ce pays ne protègent pas les enfants, ils forcent les gens trans à utiliser des toilettes où ils peuvent être battus et ou tués ! Nous ne sommes pas des prédateurs, nous sommes des proies.
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Donc ouais, je suis transgenre.
Et ouais, j’ai transitionné.
J’ai fait mon coming out à mes amis et ma famille. La plupart des gens au travail le savent aussi. Tout le monde est cool avec ça. Certes, grâce à ma fabuleuse sœur, ils sont déjà passés par là, mais ce sont aussi, tout simplement, des gens fantastiques. Sans l’amour et le soutien de ma femme et de mes amis et de ma famille, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui.
Mais ces mots, « transgenre » et « transitionné » sont durs pour moi car ils ont perdu leur complexité dans leur assimilation par l’opinion majoritaire. Ça manque d’une nuance de temps et d’espace. Être transgenre est compris comme « exister entre les extrêmes du dogme mâle ou femelle ». Et « transitionner » communique un sens d’effet immédiat, un avant et après d’un extrême à l’autre.
Mais ma réalité est que j’ai transitionné et que je continuerai à transitionner toute ma vie, à travers l’infini qui existe entre mâle et femelle comme entre la binarité des zéro et un. Nous avons besoin d’élever le dialogue au-dessus de la simplicité de la binarité. La binarité est une fausse idole.
Maintenant, la théorie des genres et la théorie queer blessent mon petit cerveau. La combinaison des mots, comme du free jazz, résonne de façon décousue et dissonante à mes oreilles. Je désire une compréhension des théories des genres et queer, mais c’est une lutte semblable à la lutte pour comprendre ma propre identité.
J’ai dans mon bureau une citation de José Muñoz que m’a donnée un bon ami. Je la contemple parfois en essayant de comprendre son sens mais les dernières phrases résonnent :
L’homosexualité est essentiellement à propos du rejet d’un ici et maintenant et d’une insistance sur la potentialité d’un autre monde.
Alors je continuerai à être optimiste, ajoutant mon épaule à la lutte de Sisyphe pour porter progrès, et je serai, dans mon être, un exemple de la potentialité d’un autre monde.
Lilly Wachowski
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