Parler d’argent, en France, c’est encore tabou. Pourtant, c’est un sujet passionnant, et par certains aspects… féministe ! Dans notre rubrique Règlement de comptes, des personnes en tout genre viennent éplucher leur budget, nous parler de leur organisation financière (en couple ou solo) et de leur rapport à l’argent. Aujourd’hui, c’est Lili qui a accepté de nous ouvrir ses comptes.
- Prénom d’emprunt : Lili
- Âge : 38 ans
- Métier : Fonctionnaire de classe intermédiaire B dans une administration d’État
- Famille : Elle, et son fils de 14 ans
- Salaire mensuel : 1 901 € par mois net, après prélèvement à la source
- Lieu de vie : Un appartement au loyer modéré en Île-de-France
La situation de Lili et ses revenus financiers
Lili vit seule avec son fils de 14 ans, son conjoint étant décédé lorsqu’elle était enceinte. La partie principale de leurs revenus vient de son salaire pour son poste de fonctionnaire dans une administration d’État.
Un salaire qu’elle trouve peu élevé, comparé à ce qu’elle pourrait toucher dans le secteur privé. Mais pour le moment, elle n’a pas d’autre choix que d’y rester :
« Je sais qu’avec mon expérience, je pourrais être payée beaucoup plus dans le privé. Mais le célibat fait que je ne peux pas me permettre de partir et de prendre le risque de me faire licencier, ou de voir une période d’essai se rompre et me retrouver sans rien du jour au lendemain…
Le problème, c’est que plus le temps passe, et plus je perds au change : les loyers augmentent, les APL baissent, mon salaire augmente à peine, et la question continue à se poser. Est-ce que je prends des risques sachant que si je me casse la gueule, mon fils en paiera les conséquences, ou est-ce que j’essaie de survivre avec une paie de fonctionnaire qui ne suffit pas ? »
Elle perçoit aussi 116 € d’Aide au Soutien Familial de la CAF, une allocation qui aide les parents isolés, 29 € d’APL et 70 € de prime d’activité. Au total, c’est donc un budget de 2 017 € mensuels qu’elle gère.
Une somme qui n’a pas le même poids, quand on est un parent isolé, que quand on est en couple. Elle explique :
« Je n’ai pas d’ex-conjoint délivrant une pension alimentaire ou prenant en charge l’enfant à temps partiel. Nous sommes bien deux à vivre sur mon seul salaire, sans aucun soutien, avec des charges afférentes à celles d’un couple… Et à la moindre tuile, le surendettement nous guette. »
Les dépenses de Lili et de son fils de 14 ans
Le plus gros poste de dépenses fixes de Lili se trouve dans son loyer. Pour un 60m2 dans un logement social réservé aux fonctionnaires en banlieue proche de Paris, elle paie chaque mois 945 € de loyer, soit presque la moitié de son salaire.
« C’est un T3 sans cave ou place de parking, que je trouve assez cher pour un logement social. Nous avons emménagé en 2018 et depuis, j’ai fait 45 demandes pour trouver moins cher, mais je n’ai jamais été prioritaire. Il est à plus d’une heure de transports de mon lieu de travail, mais si je cherche à partir, c’est surtout pour faire baisser ces dépenses. »
Mais si déménager dans un appartement était une solution pour réduire leurs dépenses, cette idée charrie aussi son lot d’angoisses pour Lili, qui en connaît le coût. Elle ajoute :
« Il y a quelques années, je vivais à Nîmes. Je suis revenue en Île-de-France après une mutation pour pouvoir être auprès de ma maman, qui était malade. Mais ce déménagement m’a coûté beaucoup : remonter de 860km sans personne pour m’aider à déménager, un mois de double loyer, EDF à solder, les cautions et garanties, les meubles… »
Pour assumer ces frais, Lili a dû contracter un crédit de près de 10 000 €, dont il lui reste environ la moitié à régler aujourd’hui. Une solution qu’elle aurait aimé pouvoir éviter, mais à laquelle elle a dû avoir recours à nouveau pour acheter un corset non remboursé par la Sécurité sociale à son fils, qui a des problèmes de santé.
En tout, elle rembourse donc 280 € de crédits à la consommation par mois.
Des frais les plus réduits possible
À ces dépenses fixes s’ajoutent 400 € de courses mensuelles, qu’elle détaille :
« Je m’emmène à manger au travail tous les jours, et mon fils mange tous ses repas à la maison. Mais à son âge, il mange comme un adulte ! On fait des courses en supermarché discount ou sur Internet, à la débrouille, parce que seule, je ne peux pas toujours porter des courses lourdes.
On mange de la viande une ou deux fois par semaine et on fait attention. Le matin, je dois restreindre mon fils sur ses céréales par exemple. »
Lili paie aussi 146 € de frais pour leur mutuelle (elle n’a pas voulu utiliser celle que proposait son employeur, chère et peu avantageuse), l’assurance pour leur logement et une assurance décès.
Elle paie aussi 106 € pour les transports, en comptant son abonnement pour les transports en commun et une vingtaine de tickets de métro par mois pour son fils, 70 € de factures courantes, principalement pour l’électricité, et la même somme pour un abonnement Internet ainsi que leurs abonnements téléphoniques.
Pour les vêtements, Lili explique essayer d’acheter d’occasion autant que possible pour son fils, qui grandit vite.
« Mon fils chausse déjà du 43 à 14 ans. Ses vêtements, je dois les acheter chez les adultes ! La plupart du temps, je les achète d’occasion, ou j’essaie d’anticiper pendant les soldes. Vu qu’il grandit vite, je dirais que cela représente en moyenne 100 € par mois.
Moi, je ne m’achète rien. Dans mon métier, on exige une « tenue correcte ». Cela veut dire un certain type de vêtements, du maquillage… Tout cela, c’est un budget !
Le télétravail m’a permis d’économiser là-dessus ces derniers temps, mais avec le retour au présentiel, j’ai dû récemment aller au travail avec des vêtements abîmés. C’est la honte, mais c’est la réalité : je ne peux pas faire autrement. »
« On fait des sacrifices tous les jours »
Pour l’épanouissement de son fils, Lili l’a inscrit à une activité culturelle qui coûte environ 50 € par mois. Ses impôts et taxes hors prélèvement à la source lui coûtent 13 € mensuels lissés à l’année.
Enfin, les masques et gels hydroalcooliques, médicaments divers non remboursés et les produits d’entretien ménagers lui coûtent 200 € par mois.
Or, toutes ces charges fixes et indispensables représentent environ 2 200 €, soit 200 € de plus que le revenu mensuel de Lili, qui se retrouve à découvert tous les mois. Cela engendre des agios et des frais bancaires qui s’élèvent à 20 €. Une situation difficile, et dont Lili ne voit pas la fin malgré des dépenses restreintes au minimum.
« J’ai l’impression de me battre pour rien, malgré les sacrifices de tous les jours, les efforts et l’évolution professionnelle, je compte tous les jours et stresse beaucoup. Je mets un point d’honneur à toujours payer mes factures, même si je suis à découvert.
Mes parents travaillaient tous les deux et ont essayé de me transmettre un rapport sain à l’argent, mais aujourd’hui, la vie est trop chère pour pouvoir évoluer positivement. Parfois, je me demande à quoi sert toute cette peine… »
Dans l’incapacité d’épargner, Lili confie avoir très peur des imprévus : une panne, un problème de santé, et ce serait la catastrophe financière.
« On ne peut pas mettre d’argent de côté, et toutes les tuiles sont gérées par le découvert mais ce découvert n’est jamais remboursé, et ne se rembourse jamais. Même en prenant tout au moins cher, il y a des frais médicaux, les cartouches d’encre pour imprimer des cours, un cadeau pour Noël, un frigo qui tombe en panne…
Tout s’ajoute au fur et à mesure, et on n’en voit pas le bout. Le surendettement me guette, je le sais bien. »
Comment faire pour se projeter ?
Pour Lili, il est important de mettre en lumière la situation des parents seuls, sans famille pour les soutenir ou ex-conjoint pour leur verser une pension alimentaire.
« Même en travaillant, les charges afférentes à celles d’un couple sont trop élevées pour être gérées seule, avec un seul salaire. J’envisage de trouver un deuxième emploi en plus de ma quarantaine d’heures par semaine, mais c’est compliqué de trouver un boulot pour le samedi, et il faut que mon employeur m’en donne l’autorisation.
Sachant que ça augmentera mes impôts, fera baisser mes aides, et me privera de temps avec mon fils, je ne sais pas si ça en vaut la peine. »
Elle poursuit :
Dans la précarité, il n’y a pas que des personnes qui ne travaillent pas ou sont à temps partiel. Il y a aussi des gens qui travaillent à temps plein, et qui ne s’en sortent pas. Il faut comprendre que dans ce genre de situation, on ne peut pas se projeter : on me souhaite une bonne année, mais moi, je sais que ça va encore être une année de galère. »
Merci à Lili d’avoir répondu à nos questions.
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