C’était le grand sujet qui a agité le Twitter France ce week-end des 9 et 10 février 2019 : la Ligue du LOL, une bande de harceleurs sexistes dénoncés 10 ans après le début de leurs agissements.
Mais ce n’est pas qu’une affaire intra-communautés sur Twitter. Car ces harceleurs, vous les lisez, vous les écoutez, vous les connaissez.
La Ligue du LOL, qu’est-ce que c’est ?
La Ligue du LOL est un groupe Facebook créé en 2009 par le journaliste Vincent Glad, qui travaille actuellement à Libération.
On y trouvait des « influents » de Twitter. Quasiment que des hommes. Quasiment tous dans la presse, la pub, la communication. Tous adultes.
Sur ce groupe, ça « bitchait » : sur les autres influents de Twitter, sur les femmes, sur les hommes pas assez « virils », sur tout ce qui n’appartenait pas au groupe.
Mais surtout, sur ce groupe, ça organisait un véritable harcèlement.
Des hashtags féministes étaient saturés de publications moqueuses. Des blogueurs étaient insultés, leur identité usurpée.
Des femmes étaient traînées dans la boue, victimes de slut-shaming, moquées sur la base de leur genre, leurs convictions, leur physique, leurs origines.
La Ligue du LOL, c’était un groupuscule de caïd blancs dans leur vingtaine qui avaient décidé de jouer les petits chefs du réseau.
Pourquoi parler de la Ligue du LOL, 10 ans après ?
Dans la semaine du 4 février 2019, le sujet de la Ligue du LOL a été à nouveau évoqué sur Twitter.
Timidement, d’abord, par sous-entendus à peine voilés, ou en message privé. Puis plus franchement.
10 ans après, les victimes ont moins peur. Ou peut-être moins à perdre.
Checknews, la partie « vérification des infos » de Libération, a sorti le premier article sur le sujet le 8 février : La Ligue du LOL a-t-elle vraiment existé et harcelé des féministes sur les réseaux sociaux ?.
L’article a beau avoir été critiqué, notamment parce qu’il fait la part belle aux paroles des gars de la Ligue (dont au moins deux, Vincent Glad et Alex Hervaud, travaillent pour Libé), il a eu le mérite de crever l’abcès.
À partir de là, ce fut la déferlante. La parole s’est libérée, et a été écoutée.
Ça fait trois jours que les victimes de la Ligue du LOL témoignent, à visage découvert, en nommant ceux qui les ont harcelées.
Trois jours que du côté des harceleurs, les excuses publiques s’enchaînent, maintenant que leur identité a été révélée.
Et que le monde entier sait donc qu’ils sont : journalistes dans de grands médias, rédacteurs en chefs, tauliers de podcasts en vogue, fondateurs de magazines Web…
Qui sont les victimes de la Ligue du LOL ?
Ce n’est pas un hasard si dans mon titre je parle de harcèlement viriliste. Je peux y ajouter raciste, tiens. Il n’y a qu’à regarder les personnes ciblées par la Ligue du LOL.
Des femmes. Des féministes. Des hommes « pas assez virils » : sensibles, qui se mettent à nu. Des hommes pas blancs. Des femmes pas blanches.
Plusieurs personnes ont témoigné publiquement, mais j’ai préféré leur demander leur accord avant de faire circuler leurs écrits à grande échelle. Elles m’y ont autorisée, et je les en remercie.
Florence Porcel, victime de la Ligue du LOL
Florence Porcel, vidéaste spécialisée dans l’astronomie, a été victime d’un cruel canular mené par la Ligue du LOL.
On lui a proposé, quand elle était intermittente, un faux emploi. Le rendez-vous téléphonique a été enregistré et mis en ligne, pour se moquer d’elle.
Florence Porcel a expliqué les faits sans nommer la personne responsable. Il a fini par sortir du bois lui-même.
Il s’agit de David Doucet, rédacteur en chef des Inrocks.
https://twitter.com/Mancioday/status/1094403754668015617
Benjamin LeReilly, victime de la Ligue du LOL
Le papier de Checknews se concentrait sur le harcèlement visant les femmes féministes. Mais elles ne sont pas les seules à avoir été ciblées.
Benjamin LeReilly (pseudonyme) a publié tout un article sur ce qu’il a vécu. Lui n’a pas été ciblé parce que femme, ni parce que féministe.
Mais parce que « pas assez homme », selon une vision archaïque et toxique de la masculinité.
Son histoire serre la gorge. Ce n’est qu’en passant le cap de la violence physique que LeReilly a pu faire cesser ses harceleurs.
Daria Marx, victime de la Ligue du LOL
Daria Marx est auteure, elle lutte notamment contre la grossophobie. Elle a été ciblée par la Ligue du LOL il y a des années.
Elle aussi a raconté son histoire :
Daria Marx exprime la peur, la rage de ne pas savoir contre-attaquer, la difficulté à se sentir légitime face à ces hommes bénéficiant d’un meilleur statut social qu’elle.
La violence des menaces, de mort, de viol, du harcèlement ciblé, les pensées suicidaires, les conséquences sur sa psyché.
Que disent les victimes de la Ligue du LOL ?
Ce ne sont que quelques exemples. Longue est la liste des personnes ayant été ciblées par ce groupe nauséabond.
Dans leurs témoignages se recoupent plusieurs éléments.
Le caractère insidieux de ces attaques, déjà, quasiment toujours sous pseudo, à visage couvert, faisant douter de tout et de tout le monde.
D’ignobles modus operandi : photomontage des victimes sur des images pornographiques, ajout d’étoiles jaunes sur des personnes de confession juive…
Un total sentiment d’impunité : les membres de la Ligue ont fini par être connus, et nommés, sans que cela n’ait de conséquences.
Un traumatisme, enfin. Beaucoup ont témoigné la gorge serrée, les mains tremblantes. De peur que ça ne reprenne. De peur qu’on ne les croit pas. De peur d’attirer l’attention.
Il leur a fallu du courage, à tous et à toutes, pour venir raconter, des années après, leur calvaire.
Que disent les membres de la Ligue du LOL ?
Qu’ils étaient jeunes. Qu’ils ne savaient pas. Que c’étaient des conneries. Que c’était pour rire.
Qu’ils ne pensaient pas à mal. Qu’ils ne pensaient pas harceler. Qu’ils « se moquaient de tout le monde », sans réaliser que leur violence était ciblée.
Que tout ça leur a échappé. Qu’ils n’étaient pas les pires, non, pas eux. Que c’était un Internet différent, à l’époque.
Oh, et puis, à la fin, après avoir parlé d’eux pendant des lignes et des lignes, ils sont quand même désolés. Ils s’excusent.
Et, pour beaucoup, pendant que leurs « excuses » font débattre, ils nettoient leur compte. Débarrassent leur timeline des vieux tweets gênants, compromettants, insultants, discriminants.
Quand ils ne suppriment pas carrément leur compte, à l’image de Renaud (@ClaudeLoup), ou Stephen (@desgonzo), cités nommément par LeReilly.
La Ligue du LOL se rachète une conduite
Si vous suivez un peu des médias Web, alors vous avez probablement lu, regardé ou écouté un contenu produit par un des membres de la Ligue du LOL.
Même sur madmoiZelle. Car j’ai invité dans mon podcast sur la masculinité The Boys Club Guilhem Malissen, qui a admis en avoir fait partie.
Il tient entre autres Bouffons, le podcast sur la nourriture chez Nouvelles Écoutes, la boîte de production de Lauren Bastide.
https://twitter.com/GuilhemMalissen/status/1094160816390180869
C’est là le piège de la Ligue du LOL : évolution sincère ou capacité à sentir dans quel sens souffle le vent, ses membres sont « des hommes changés ».
Ils tiennent un discours pro-égalité, écrivent des articles contre le harcèlement (Vincent Glad, fondateur de la Ligue du LOL, critique le forum 18-25 de jeuxvideo.com), bref ce sont des types modernes.
Sauf qu’ils n’ont, pour la plupart, jamais contacté spontanément leurs victimes pour s’excuser.
Sauf qu’ils ont, pour la plupart, passé leurs agissements sous silence jusqu’à être forcés de les admettre.
Sauf qu’un mea culpa le dos au mur, une fois que la boîte de Pandore est ouverte, a toujours moins de puissance qu’un mea culpa gratuit, sincère, qui vient des tripes.
Quelles conséquences pour les membres de la Ligue du LOL ?
C’est la grande question.
Difficile d’imaginer que personne, dans l’entourage professionnel de ces mecs, n’avait eu vent de leurs actions. Mais même en leur accordant ce bénéfice du doute, à présent la vérité a été révélée au grand jour.
Ces hommes vont-ils faire face à des conséquences ?
Vincent Glad va-t-il continuer à analyser les groupes Facebook des Gilets Jaunes ? David Doucet restera-t-il rédac chef des Inrocks ?
Ces hommes qui ont mis des bâtons dans les roues de tant de gens, au niveau professionnel comme personnel, paieront-ils leurs actes ?
Au niveau légal, il y a souvent prescription, comme dans le cas de Florence Porcel.
La vidéaste a cela dit interpellé la Secrétaire d’État à l’égalité pour demander une réflexion sur le délai de prescription.
Chacun et chacune pourra décider de porter plainte ou non contre ces harceleurs en chemise à carreaux qui se sont crus tout-puissants parce qu’ils avaient quelques milliers d’abonnés de plus que les autres.
Parce qu’ils étaient privilégiés.
Parce qu’ils étaient en vogue.
Parce qu’ils n’étaient pas des femmes, ni des fragiles.
Y a-t-il d’autres Ligues du LOL ?
C’est l’autre question que je me pose, et je ne pense pas être la seule.
Si la Ligue du LOL s’est « calmée » au fil des années et a cessé ses agissements, y a-t-il quelque part une nouvelle génération qui fait la même chose ?
Un nouveau groupe de mecs de 25 ans qui plaideront, dans 10 ans, l’excuse de la jeunesse pour avoir collé la tête d’une féministe sur une actrice porno ?
Qui diront « je ne savais pas que c’était du harcèlement » quand sera révélée leur obsessionnelle violence envers telle ou telle personne ?
Je ne pense pas être pessimiste en disant : probablement. Probablement que ce genre d’enfoirés existe, et existera toujours.
Contre les Ligues du LOL d’hier et de demain
Il y aura toujours des connards pour essayer d’intimider, de blesser, de chasser celles et ceux qu’ils estiment indignes de leur respect.
La différence que nous pouvons faire, tous et toutes, à l’avenir, se trouve à notre niveau.
Écoutons les victimes. Parlons de ce qui nous arrive. Organisons-nous pour contre-attaquer.
Pas avec leurs armes nauséabondes, non, mais en mettant leurs agissements en lumière, en dénonçant la violence qu’ils voudraient garder cachée.
Vincent Glad aurait-il eu la même carrière si, il y a 10 ans, ses victimes avaient été écoutées, avaient trouvé les appuis suffisants pour révéler ses agissements ?
J’ose espérer que non. Et j’ose espérer que des Vincent Glad, il n’y en aura plus.
Dans l’article de Checknews, la Ligue du LOL est décrite par un de ses membres comme une bande de mecs « brillants ».
Les gars, l’antisémitisme, la misogynie, la peur primale d’être confronté à un homme qui ne fonctionne pas comme vous, c’est tout sauf brillant.
C’est médiocre. C’est ridicule. C’est risible. Ça en dit beaucoup de vous, de vos fragiles égos, de vos modes de pensée foireux.
L’avenir ne vous appartient plus. Il est temps de laisser vos places à celles et ceux que vous avez voulu faire taire.
Et qui sont bien plus brillants, bien plus brillantes que vous ne le serez jamais.
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Ligue du LOL : les sanctions
Mis à jour le 12 février 2019.
Hier, je vous présentais la Ligue du LOL et ses exactions, commises par des membres dont beaucoup sont journalistes, tenanciers de podcasts ou encore communicants (lire ci-dessous).
Aujourd’hui, je peux vous faire part de diverses sanctions, compilées dans
cet excellent article de Numerama :
« Depuis vendredi 8 février, de nombreuses entreprises ont pris des décisions très fermes à l’égard d’anciens membres de ladite ligue.
L’entreprise de podcasts Nouvelles Ecoutes a mis un terme à sa collaboration avec Guilhem Malissem, ex « pornkid ».
Brain Magazine a dit suspendre le travail de Vincent Glad, qui gérait leur Page Président. Lui et Alexandre Hervaud ont été suspendus à titre conservatoire du média Libération.
Guillaume Ledit a été mis à pied par Usbek & Rica.
Stephen des Aulnois, fondateur du site sur la culture porno Le Tag parfait, a annoncé son retrait du poste de rédacteur en chef.
Renaud Aledo a été mis à pied par son employeur Publicis. David Doucet a été mis à pied à titre conservatoire et une procédure de licenciement a été engagée. »
Je vois dans ces sanctions un vent porté par le mouvement #MeToo, qui œuvre pour briser l’omerta autour du harcèlement et mettre fin à la culture de l’impunité.
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