Cette semaine sur madmoiZelle, on parle du dilemme auquel on fait souvent face, entre liberté et sécurité, appliqué à nos choix de vie.
Au seuil de la vie d’adulte, nous sommes confronté•es à une multitude de choix. Ça commence dès l’école avec l’orientation, mais on n’arrête jamais de choisir ce qu’on veut faire de notre existence.
En tant que jeunes né•es après 1984, nous avons la chance et la malchance d’évoluer dans un monde où le marché du travail est en constante mutation… Et une mutation rapide. Nous avons la possibilité de changer de carrière, de nous former en continu, grâce à des outils nouveaux, dont nos parents ne bénéficiaient pas. (Oui, je parle d’Internet !)
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Nos ambitions et angoisses pour l’avenir
Cette liberté de choix vient au prix d’une perte de sécurité : entrer dans une entreprise à 20-25 ans et y faire toute sa carrière est devenu beaucoup plus rare. La norme d’hier a changé.
Mais est-ce vraiment une mauvaise chose ? Tout est question de perspectives et de pondération : entre un travail stable et des opportunités passionnantes mais fluctuantes, tu préfères quoi ?
Lise et Clémence croisent leurs avis et leurs expériences sur ce dilemme, pour lancer la réflexion : entre stabilité, sécurité, et liberté, passion, faut-il choisir ?
Le besoin de sécurité de Lise
Mon point de vue sur la question a évolué lorsque je suis entrée dans le monde du travail.
En première, j’ai décidé de devenir journaliste. Je savais que ce serait fastidieux avant même de me renseigner auprès de professionnel•les : quand un job a l’air hyper cool, il est forcément difficile à atteindre.
Mais j’avais la niaque. Je voulais faire un truc qui me plaisait dans la vie. Mes parents me soutenaient à fond. Ils m’ont toujours dit de choisir un boulot qui me rendait heureuse, pas qui me rapportait du fric.
Un discours hyper sain ! Mais difficile à mettre en pratique…
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Je me suis vite heurtée aux réalités du métier, lors des recherches de stage. Les gens se bousculaient pour des annonces de jobs non payés. Certaines rédactions exigeaient de prendre leurs stagiaires pour deux mois pile : ça leur permettait d’avoir au bout de quelques semaines des employé•es performant•es, mais toujours totalement gratuitement.
Malgré ça, je n’ai jamais laissé tomber. En master 1, j’ai même fait le choix de mettre toutes les chances de mon côté pour devenir spécialisée dans le monde du jeu vidéo. Encore pire : ce job-là, tout le monde veut le faire.
Alors oui, à la sortie de mes études, j’ai trouvé un travail. Il est payé au SMIC comme pratiquement tous les autres jobs de journaliste Web. Parce que dans le milieu, il n’y a pas beaucoup d’argent. Je pensais que ça irait, mais pour mon avenir, je me pose de vraies questions.
Et si un jour je veux des enfants ? Acheter un appartement ? Vivre dans plus de quinze mètres carrés ?
J’adore le journalisme. Je suis faite pour ça, je le sais très bien. Je ne me pose pas de question sur le futur proche, je suis bien là où je suis.
Mais en grandissant, est-ce que j’en aurai pas marre ? Je connais plein de journalistes qui ont la quarantaine, qui ont roulé leur bosse dans le milieu. Ils et elles sont fascinant•es, cultivé•es… Mais tou•tes célibataires ou divorcé•es.
Alors je pense à l’après. Aux boulots ennuyeux que je pourrais faire, ceux qui ne m’intéressent pas. Suivre une autre formation pour être sûre de ne pas me retrouver à trimer dans un entrepôt ou à servir des burgers au McDo à 30 ans.
Voilà, plutôt tristounet comme point de vue non ? Aujourd’hui je pense plus à l’argent qu’à m’épanouir dans mon travail. J’ai de la ressource, je ne pense pas me retrouver un jour à la rue. Parce que j’ai déjà eu des jobs pourris, en usine, en entrepôt, et que je pourrais en refaire.
Mais tout ça c’est mal payé, et moi je veux pouvoir subvenir correctement à mes besoins, pas de justesse tous les mois.
La différence avec Clémence, c’est qu’elle ne sort pas tout juste des études comme moi. Je pensais que c’était pour ça que nos points de vue divergeaient. Mais je réalise que même parmi vous, chacune a son propre avis.
Et si finalement, c’était plus une question d’état d’esprit ?
Le besoin de s’épanouir, selon Clémence
Je me souviens du jour où tout a basculé dans mon esprit. Pas de la date, mais du moment, celui où j’ai pris conscience d’une vérité que je refusais d’accepter. Je revois mon reflet dans la grande baie vitrée de mon bureau, au 6ème étage d’une tour en miroirs. Et
je ne reconnais pas la personne que je vois.
C’est le moment où je me suis demandé très sérieusement : qu’est-ce que je fous là ?
Qu’est-ce que je fous dans un tailleur-jupe, perchée sur des talons, et depuis combien de temps je stocke des bas nylon dans mon tiroir de bureau « au cas où je file les miens pendant la journée », comme si c’était le top du top de la prévoyance ?
« Qu’est-ce que je fous là ? »
Elle est où, la jeune femme qui voulait voir le monde, changer le monde, même ? Qu’est-ce qu’elle fout, à compiler des données sur Excel, relire des présentations PowerPoint et souffrir des réunions improductives ?
J’avais le sentiment d’avoir raté un croisement sur le chemin de ma vie, et pourtant, sur le papier, tout indiquait que j’étais arrivée à destination. J’avais un job stable, c’est-à-dire un CDI dans un très grand groupe français, offrant d’innombrables possibilités d’évolution. D’ailleurs j’étais entrée directement dans le carré « haut potentiel », c’est dire si l’horizon était dégagé.
J’étais bien payée, TRÈS bien payée pour mon âge et mon expérience. Mon salaire d’entrée me propulsait directement dans les 30% d’actifs les mieux payés de France. Sans forcer.
J’avais un studio à Paris — je louais, bien sûr, mais j’avais déjà eu un premier rendez-vous à la banque pour discuter emprunt, endettement, investissement. D’ici trois à cinq ans, j’aurais probablement doublé mon salaire, et j’aurais eu la possibilité de contracter un prêt intéressant.
« J’ai tout, mais je n’ai rien de ce que je veux »
Bref, j’avais toutes les cartes en mains, et de très bonnes cartes d’ailleurs, il ne me manquait plus que le mari et les enfants pour compléter le niveau « adulte » du jeu de la vie.
Mais là, à quelques cases du boss de fin, j’ai eu cette révélation : j’ai tout, mais je n’ai rien de ce que je veux.
Sauf qu’on ne quitte pas un CDI à 26 ans, surtout quand c’est ton premier job et que tu n’as aucun plan B, m’a dit ma mère et environ 100% des personnes interrogées.
Ça veut dire quoi « pas heureuse, pas épanouie » ? Inscris-toi au yoga comme tous les cadres sup’ déprimés et arrête de te plaindre, tu sais combien de personnes tueraient pour avoir ta situation ?
La culpabilité était écrasante. J’ai commencé à chercher un autre job, bien sûr. Mais il fallait que je trouve mieux. Comment continuer à louer mon studio et tenir « mon plan » d’investissement si je dégradais mes revenus ? Comment l’expliquer à ma famille, à mes amis, si je décidais de tout plaquer, et me barrer faire le tour du monde un sac au dos, sans avoir de « plan B » à mon retour ?
Une prison de confort et de sécurité
J’avais toujours les pieds dedans, mais la tête en dehors, très loin de la tour grise, de ses couloirs feutrés, de cette prison de confort et de sécurité. J’ai eu de la chance, quelque part : j’ai fait un burn out. Ce que ma tête hurlait depuis des mois, mon corps l’a énoncé très simplement, d’une manière définitive : je ne peux plus me lever pour aller dans cette tour.
C’était devenu physique, j’avais une lame plantée dans le dos, qui se mettait en place sur le chemin du travail. Un arrêt maladie n’y a rien fait, sinon repoussé l’inévitable. Je suis partie.
En quittant mon travail, j’ai dû quitter mon studio, et bon courage pour retrouver un logement à louer lorsqu’on est au chômage, ou pire : en freelance. J’ai laissé dernière moi le prospect d’une carrière montante toute tracée, pour construire ce que je suis, ce que je fais et ce que je deviens jour après jour.
Ça ne veut pas dire que je n’ai plus de perspective d’avenir, bien au contraire. Avant, c’était un tunnel, maintenant, c’est un horizon ouvert dans l’espace. 360°C de possibles, sans autres limites que celles que je me fixe ou celles qui me narguent.
J’ai divisé mon salaire par deux en quittant mon job « corporate », j’ai provoqué l’incompréhension, et certainement la déception de mes parents, de bien des proches, et je continue d’être une espèce d’excentrique, parce qu’à la question « tu te vois où, dans 5 ans ?», je n’ai pas de réponse.
Ou plutôt, si, j’ai une réponse, et c’est sans doute le meilleur objectif de vie que j’ai jamais eu. Dans 5 ans, je me vois heureuse.
Et toi, où est-ce que tu te situes, dans ce dilemme ?
Alors on en est là : deux points de vue, deux vies hyper différentes l’une de l’autres qui se sont retrouvées dans le même travail ! Et le plus fou, c’est que toutes les deux, on est heureuses dans nos jobs malgré cette divergence de points de vue.
Ce dialogue, il illustre bien les dilemmes auxquels on fait face en tant qu’étudiant•es et jeunes diplômé•es. C’est pourquoi nous avons voulu en discuter avec vous cette semaine, au travers d’articles, d’enquêtes, de témoignages…
Et toi, où est-ce que tu te situes, dans ce dilemme ? Qu’est-ce qui guide tes choix d’études et d’orientation, tes choix de job ? Viens poursuivre dans les commentaires, la discussion commencée en réaction au sondage Tu préfères… La liberté (et ses risques) ou la sécurité (et ses avantages) ?
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