Depuis treize ans, Melissa Lucio est dans le couloir de la mort au Texas, après avoir été accusée d’avoir tué sa fille de deux ans. Une histoire sordide et banale de maltraitance infantile qui n’intéressait pas les médias, jusqu’à ce que la réalisatrice franco-américaine Sabrina Van Tassel se penche sur le sujet.
« On m’avait proposé de faire un reportage pour la télé sur les femmes dans le couloir de la mort. Le Texas autorise les journalistes à interviewer ces personnes. Alors, j’ai contacté les six femmes concernées. Melissa Lucio a accepté de me rencontrer.
Je me suis intéressée à son affaire, et j’ai été étonnée de voir que personne ne parlait d’elle, à part deux pauvres articles dans la presse locale. J’ai d’abord contacté sa famille et ils m’ont dit que j‘étais la première journaliste à aller les voir. Tout de suite, ça m’a interpellée.
Ils m’ont parlé de la possibilité d’un accident, du procureur général qui avait obtenu la condamnation de Melissa et qui était lui-même en prison maintenant pour corruption, ainsi que de l’avocat commis d’office qui était parti bosser pour le bureau du procureur après le procès. »
Sabrina Van Tassel, journaliste et réalisatrice
L’État du Texas contre Melissa : un procès bâclé et pas mal de zones d’ombres
Après sa première interview avec Melissa, Sabrina Van Tassel en est persuadée : il y a quelque chose qui ne va pas dans cette histoire et le procès de Melissa comporte trop de zones d’ombres. Elle décide alors d’enquêter sur cette affaire et de réaliser un documentaire pour le cinéma, dont Madmoizelle accompagne la sortie en France ce 15 septembre.
La journaliste lit les 8.000 pages du dossier, rencontre les avocats successifs de Melissa, ses enfants, sa famille, ses voisins, mais aussi des experts et médecins légistes, pour tenter de comprendre ce qui s’est vraiment passé chez Melissa Lucio en février 2007.
Ce qu’elle découvre, c’est un procès bâclé qui a duré quatre jours, avec un avocat commis d’office qui n’a très clairement pas fait son boulot (et a obtenu une promotion pour rejoindre le bureau du procureur juste ensuite) et très peu de preuves de la culpabilité de Melissa.
Toute l’accusation repose sur les photos du corps de la petite fille couvert de bleus et des « aveux » arrachés à Melissa après une nuit d’interrogatoire, sans qu’elle n’ait pu ni manger, ni boire, ni dormir. Pourtant, personne n’a jamais vu Melissa maltraiter ses enfants, alors même qu’elle est suivie par les services sociaux depuis plusieurs années, du fait de la précarité dans laquelle vit la famille.
Et puis, Melissa est, aux yeux de la société américaine, une « coupable idéale ».
« Melissa représente beaucoup de choses que l’Amérique déteste : elle est latina, pas très belle, elle a “trop” d’enfants, vit des aides sociales, se drogue… Quelque part, elle était déjà jugée sur tout ça. Pour la société américaine, elle était déjà coupable, elle n’est personne, alors elle peut disparaître. »
Sabrina Van Tassel
Un documentaire haletant qui ne verse jamais dans le sensationnalisme
L’enquête fouillée de la journaliste dessine petit à petit un autre scénario possible pour la mort de la petite fille, et révèle la corruption et les failles du système judiciaire américain, sans jamais verser dans le sensationnalisme.
Servi par un grand sens du récit, ce documentaire sans voix off, et qui donne la parole à tous les protagonistes de l’affaire, est à la fois haletant et bouleversant. Il raconte en creux la souffrance qui traverse toute la famille de Melissa, depuis bien avant le drame, ainsi que les discriminations et les violences vécues par la mère de famille et tant d’autres femmes. Melissa a en effet été violée par son beau-père pendant son enfance et son adolescence, et elle a aussi souffert de violences commises par ses conjoints.
« Beaucoup de choses m’interpellaient dans cette histoire en tant que femme, et notamment le passé de violences sexuelles de Melissa. En faisant ce documentaire, je voulais rentrer dans la psychologie de cette femme et de tous ces gens qui se retrouvent accusés à tort. Aux États-Unis, quand on est pauvre et qu’on fait partie d’une minorité, on grandit avec le sentiment qu’on n’est rien ni personne. »
Sabrina Van Tassel
Après la diffusion du documentaire en 2020 sur la plateforme Hulu aux États-Unis et dans plusieurs festivals, il y a eu beaucoup d’intérêt autour du cas de Melissa, mais du point de vue judiciaire, rien n’a bougé ou presque.
Melissa Lucio est toujours dans le couloir de la mort. Elle a épuisé toutes ses procédures d’appel, et il ne lui reste qu’un espoir : que la Cour Suprême accepte de se saisir de l’affaire. La décision est attendue pour cet automne, et si elle refuse, Melissa aura une date d’exécution planifiée.
« Il ne fait quasiment aucun doute que si Melissa avait été défendue comme elle aurait dû l’être, elle ne serait pas dans le couloir de la mort. Elle serait peut-être en prison. Peut-être pas… »
Sabrina Van Tassel
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