Au premier abord, elle avait l’air plus sympatoche, cette petite BD.
Une couverture un peu cartoon, avec ce petit bonhomme myope assit sagement sur le canapé à côté d’une poupée pomponnée…
Et puis, on lit la préface.
Ah, il va y avoir du lourd, en fait.
Car dès ses premières lignes, le ton est donné : ce qu’on va te raconter ici, ce n’est ni plus ni moins que l’histoire d’Elvio, fils d’un colonel tortionnaire qui œuvra au moment le plus sombre de l’Histoire de l’Argentine. Et les auteurs de nous prévenir : malgré que ce récit soit une fiction, elle est inspirée d’évènements réels de la « sale guerre » argentine.
Ah.
Bon ben, allons-y.
Tout commence par une gentille fable un brin fantastique.
Elvio Guastivino est un petit fonctionnaire triste. Qui bosse dans un triste bureau, avec ses tristes collègues. Pourtant, une chose, une seule, le fait sortir de sa routine, et allume dans son cœur un feu inextinguible : Luisita.
Une maîtresse ? Une fiancée ?
Non, penses-tu !
Luisita est une poupée.
Même pas à lui d’ailleurs. C’est pourquoi il sacrifie toutes ses heures de liberté à venir la reluquer dans la vitrine d’un antiquaire. Et pour enfin pouvoir se la payer, il économise jusqu’au moindre sous sur son maigre salaire, préférant voir sa vieille mère mourir de faim plutôt que renoncer à sa poupée merveilleuse.
Et elle meurt, sa vieille mère. Mais tout à son obsession, Elvio n’en a cure.
Et c’est là que notre gentille fable vire au cauchemar historique.
Le jour où Elvio est rattrapé par son passé, sous les traits d’une mystérieuse femme rousse, une « connaissance » de feu le papa colonel.
Parce que feu papa le colonel, ce n’était pas n’importe qui. C’était un pervers. Un vrai. Un pas drôle. De ceux qui ramenait du boulot le soir à la maison, en l’occurrence des femmes à torturer. Et qui poussait le perfectionnisme jusqu’à s’entraîner sur des poupées.
Mon dieu mais quelle horreur ! songe Elvio en se remémorant cette scène de torture qu’il entrevit jadis. Quoique, à bien y réfléchir, ça m’avait bien fichu la gaule quand même.
Oui, ne prend pas peur petite lectrice, c’est bien de ça que l’on parle dans cette charmante BD : d’un petit homme triste qui s’excite sur des poupées en songeant aux horreurs que son papa faisait subir aux rebelles communistes. Mais, plus généralement, on y parle de l’ignominie des dictatures et de la folie de ces hommes de pouvoir.
Sympatoche, donc, on disait…
C’était un sacré défi de mêler un pan si sinistre de l’Histoire à la vie tristement banale d’un détraqué psychopathe et schizophrène (j’ai oublié une tare peut-être ? Ah oui, il est un chouia sadique, aussi).
Le trait te plonge illico dans un univers à la fois humoristique et sordide. Soigné, expressif, anguleux, il insuffle au récit la touche de modernité qui lui manquait.
Le scénario, qui dénonce les ravages d’une Histoire mal digérée, pose la question de l’humanité même de ceux qui l’ont écrite, et de ses ravages sur les générations à venir.
L’humour, enfin – car oui, cet ouvrage est truffé d’humour – jette une lumière décalée et absurde sur un drame à la limite du supportable.
Le thème était louable, les moyens employés presque parfaits…
… Si ce n’était les dialogues. Qui, de mon goût, pêchent par une lourdeur excessive. Trop de textes parasites, trop de pensées explicatives, en deux mots : aucune finesse.
Le scénariste aurait-il eu peur que nous ne comprenions pas bien les enchainements de l’histoire ?
Quoiqu’il en soit, c’est bien dommage, parce que de la finesse, il y en avait dans ce scénario audacieux.
Malgré tout, L’Héritage du Colonel reste un ouvrage corrosif, et assurément inoubliable… pour le meilleur ou pour le pire. A ne pas mettre entre toutes les mains.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires