Wolf et Lazuli, son assistant, ont conçu une étrange machine capable de faire revivre les souvenirs de celui qui y entre, à travers un voyage absurde et grotesque à la fois où se succèdent des personnages burlesques et haut en couleurs. Par exemple, l’abbé Grille, dont la spécialité est le passé religieux, ou encore les vieilles Mlles Héloise et Aglaé, pour les histoires de sexe, l’étrange Léon-Abel Perle, qui fait revivre les angoisses liées à la famille…
L’autre but de l’expérience de Wolf est de prouver que l’on n’est pas forcément plus heureux en obtenant sur le champ ce que l’on désire. Mieux vaut le laisser grossir, évoluer, mûrir, gagner en valeur, avant de s’en détourner. Pour ce faire, il dote la machine d’une fonction permettant l’acquisition immédiate de ces objets du désir. Elle ne servira qu’une seule fois, et démonstration fut aussitôt faite. Ayant offert à son chien le sénateur Dupont, un ouapiti, chose dont il rêvait jeune chiot, l’ingénieur constate que l’euphorie de l’animal ne tarde pas à le rendre gâteux. En effet, on peut considérer qu’avoir des désirs est nécessaire à l’épanouissement humain, mais la frustration de ces désirs l’étant aussi, un mal-être peut s’installer si leur satisfaction est trop facile.
Au fur et à mesure que l’histoire avance, elle en devient plus sombre, l’ambiance plus oppressante, Wolf ressent de plus en plus le besoin de se rendre à l’intérieur de la machine, aux dépends de sa relation avec Lil, sa femme. Lazuli, quand à lui, ne parvient pas à s’abandonner dans les bras de son amie, Folavril. La faute à la vision d’un homme, homme inconnu, présence angoissante, qui survient dés que Lazuli prend du bon temps. Le regard de cet homme emplit Lazuli de culpabilité, le force à se refuser au désir. On ne connait pas le passé de Lazuli, mais on peut supposer que ses jeunes élans sexuels ont étés brimés très tôt par une présence masculine supérieure à lui. Une figure paternelle, ou religieuse, que la construction de la machine aurait ramené à la seule vision de Lazuli, pour le détruire comme elle détruit Wolf.
Les interactions de Wolf avec la machine l’amènent à remettre en question de manière particulièrement sournoise, la réalité de son amour pour sa femme, son passé, et à se remettre en question lui-même. En somme, la machine est une métaphore de cette passe que chacun d’entre nous traverse au moins une fois dans sa vie et qui nous permet de couper les ponts avec un vécu trop envahissant.
L’œuvre de Boris Vian comporte de multiples facettes, et c’est pourquoi, à la relecture, le livre garde toute sa saveur, c’est pourquoi chaque lecture est différente et entraine de nouvelles interrogations, c’est pourquoi enfin l’on ne peut le cerner totalement, et qu’il existe autant de manières de le comprendre que de personnes pour le lire, car, plus qu’un exutoire pour les propres angoisses de Boris Vian, L’Herbe Rouge est une boîte de Pandore que chacun peut s’approprier comme il le souhaite. Universel et tellement personel à la fois. Là est encore le génie de Vian.
L’Herbe Rouge, de Boris Vian, aux Editions Le Livre de Poche.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.