Au terme de plus d’une semaine de tensions entre ceux et celles qui s’arc-boutent sur l’argument de la liberté d’expression et de création d’un artiste, et en face, ceux et celles qui leur rappellent que la banalisation de la pédopornographie, de l’inceste et du viol ne peut plus être regardée et défendue avec autant de détachement, le festival international de bande dessinée d’Angoulême a fini par prendre une décision.
L’exposition carte blanche Dans les yeux de Bastien Vivès n’aura finalement pas lieu lors de la 50ème édition du festival qui doit avoir lieu fin janvier 2023.
Plusieurs pétitions avaient demandé la déprogrammation de l’exposition, dont l’une avait déjà recueilli plus de 100 000 signatures.
Des menaces contre Bastien Vivès
Cette décision fait suite à des « menaces » contre l’auteur de BD, selon l’AFP : « Des menaces physiques ont été proférées vis-à-vis de Bastien Vivès. Il n’est dès lors pas possible pour l’événement d’envisager que sa programmation puisse faire peser de tels risques sur un auteur et, potentiellement, dans quelques semaines, sur ses festivaliers. » L’organisation affirme en outre que « des intimidations apparaissent à l’encontre de membres de l’équipe du Festival ».
Ce n’est donc même pas le début d’un questionnement sur le travail de l’artiste et de sa portée, d’une réflexion sur les violences sexistes et sexuelles, leur mise en images dans le neuvième art et leur impact sur les victimes qui ont fait pencher la balance. Ce n’est pas non plus une remise en cause de l’impunité dont Bastien Vivès a bénéficié alors qu’il s’en est pris à des artistes comme Emma.
« Le Festival considère que l’œuvre de Bastien Vivès, dans son ensemble, relève de la liberté d’expression et qu’il revient à la loi de tracer les frontières dans ce domaine et à la justice de les faire respecter », maintient l’organisation du FIBD.
C’est donc essentiellement l’idée de protéger l’artiste qui a motivé la décision.
Quelle en sera la conséquence ? Avec ce choix du festival, l’auteur, qui a longtemps été intouchable (ses propos sont dénoncés depuis plusieurs années sans provoquer de réactions d’ampleur) va pouvoir se draper du costume de la victime de la censure.
À lire aussi : Corinne Masiero sur l’inceste : « C’est sous couvert d’amour qu’on t’agresse »
Crédit photo : Selbymay, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Je me rappelle avoir lu Les passagers du Vent et l'avoir beaucoup aimé quand j'étais ado, mais je n'avais pas le regard d'aujourd'hui, ce serait peut-être différent à la relecture.
Je trouve qu'il est effectivement problématique de représenter un viol qui en plus n'est pas forcément nécessaire à l'histoire. En revanche, je pense aussi que ce serait une erreur de vouloir cacher les scènes de nudité (je parle évidemment des scènes impliquant des adultes).
Quand j'étais au collège, c'est au CDI que j'ai découvert Thorgal, et les Passagers du Vent. Et franchement, je trouve que ça m'a "déniaisée". Pas dans le sens où j'y ai appris quoi que ce soit, mais plutôt dans le fait de représenter la nudité de façon décomplexée.
Après, je pense aussi que dans les BD citées, le corps des femmes est trop "parfait" et il y a effectivement du male gaze. Donc à choisir, j'aimerais une nudité avec des corps variés, sans que certains soient nécessairement associés à des personnages négatifs.
Mais pour moi, l'éducation sexuelle, ça passe aussi par le fait de lire des histoires (BD et romans) avec des scènes de sexe. Peut-être pas au collège, mais à titre personnel, c'est à cette époque que j'ai découvert tout ça et je pense que ce n'était pas trop tôt pour moi.
Edit : j'ai oublié de dire que j'ai en revanche été choquée par d'autres BD que j'ai pu lire où l'histoire n'est qu'un vague prétexte pour représenter le plus de sexe possible avec un male gaze atroce. Je pense à la série Borgia en particulier, de Jodorowsky et Manara.