Outre son compte Instagram suivi par près de 90 000 personnes, @aggressively_trans, où elle informe sur les transidentités et déconstruit plein d’idées reçues transphobes, Lexie est également l’autrice du guide-ressource Une histoire de genres (2021), et co-autrice de l’essai Moi aussi, au delà du hashtag (2022). Au fil de ses vidéos et autres apparitions médiatiques, on peut également se rendre compte de combien cette militante formée à l’école du Louvre, passée par un master en histoire de l’art et en sociologie de l’art, apprécie la mode, surtout vintage. On a donc voulu savoir comment Lexie s’habille pour détricoter le patriarcat et le cissexsime.
Autopsie du dressing de Lexie Agresti, alias @aggressively_trans
Madmoizelle. Comment décririez-vous vos habitudes de consommation mode ?
Lexie. Comme moi, elles sont en transition (rires) ! J’ai commencé à penser la mode comme un sujet au moment de mon coming out. Longtemps, c’était seulement une préoccupation pratique sans réflexion de fond ni sur sa consommation (et dans les faits, elle était limitée) ni sur l’esthétique. Je sais que je suis trans depuis l’enfance. Ou plutôt que je suis une fille, sans savoir que ma façon de l’être est « trans » et, de fait, en suivant les attentes liées à mon assignation de naissance, parce que je n’imaginais rien d’autre possible, les vêtements, ça ne m’intéressait pas comme des objets avec lesquels vivre. C’est comme ça que j’en suis venue à un intérêt pour l’histoire de la mode plus anthropologique et détaché de mon quotidien.
Transitionner ça a tout changé. Il y a eu une période de frénésie sans réfléchir à l’éthique de la production ou l’achat du vêtement et même très détachée de savoir ce qui me plaît ou me va, selon moi. C’était tout remplacer, et faire « le plus féminin » possible. Dans le temps, m’affirmer avec moi-même et socialement, ça a plus personnalisé mes goûts et mes choix. Et comme cette affirmation a été indissociable d’un parcours militant, ça m’a aussi confrontée à tous les discours sur l’éthique et fait réfléchir.
Être végane, je crois que ça a facilité cette transition vers ma façon actuelle de consommer la mode : rien d’animal, quasiment plus rien de neuf. Limiter les envois internationaux, pas de plateformes d’ultra fast fashion… Aussi parce que je peux faciliter le processus en habitant Paris, en étant mince… Mais c’est aussi ce mode de consommation qui m’a permis de clic à une esthétique plus personnelle : pouvoir puiser dans des formes anciennes, des matières anciennes, des références artistiques…
À combien évaluez-vous votre budget shopping mode annuel ?
J’essaye de m’offrir 100 euros par mois pour des nouveautés, mais mes revenus ne suivent pas forcément. J’arrondirais à 900-1000, environ.
Quelle est la pièce la plus chère de votre dressing ?
Un tailleur en tweed de chez Sandro que je me suis offert avec l’avance de mon premier contrat d’édition. J’adore le tweed, je le trouve parfaitement entre le classique et le fantaisiste, je m’imaginais le porter pour toute ma promo après parution. Et c’est un tweed chiné, donc, résultat : ça ne passe pour rien de filmé [certains motifs petits/étroits peuvent provoquer des vibrations à l’image quand ils sont filmés (on dit que ça fait du « moiré »), c’est pour ça qu’on invite souvent les personnes en plateaux telé à éviter les imprimés et privilégier les vêtements unis, ndlr]! Alors je ne l’ai pas vraiment porté à cette occasion, mais je l’adore !
Quelle est la pièce qui a le plus de valeur sentimentale à vos yeux ?
Après le décès de mon grand-père, j’ai récupéré la veste de costume qu’il portait pour son mariage. C’est une pièce magnifique en drap de laine gris perle, qui passe parfaitement pour un blazer dans une garde-robe contemporaine et pouvoir la porter aujourd’hui en me souvenant de tout ce qu’elle a vécu c’est un moment d’émotion et de souvenirs à chaque fois que je l’enfile.
Quelle est la pièce la plus vieille de votre dressing que vous avez achetée vous-même ?
Une paire de gants blancs en nylon des années 50. J’adore m’autoriser à porter des accessoires un peu surannés comme des gants ou des chapeaux. Clairement ça fait guindé mais c’est les touches finales parfaites à une armure sociale.
Quelle est la pièce la plus récente que vous vous soyez offerte ?
Je me lance dans le drag, j’ai acheté une cagoule rouge de diable. Elle est inspirée par l’esthétique des cartoons rétro des années 40-50 et je pense que je vais finir par la porter aussi cet hiver en disant que c’est avant-garde.
Quelle est la pièce la moins chère de votre dressing qui fait quand même un effet waouh ?
Une robe que j’ai trouvée à la friperie solidaire d’Emmaüs à Choisy-le-Roi. J’ai tout de suite craqué pour l’imprimé à fruits très kitsch, elle coûtait 4 euros et une fois ceinturée, c’est vraiment une pièce que j’adore. La quintessence des années 80 qui réinterprètent les années 50, l’imprimé est joyeux, les couleurs joyeuses, la matière hyper agréable et le rapport prix/wow est le meilleur que j’ai.
Quel est votre plus fidèle accessoire ?
La torche tatouée sur mon plexus. C’est un motif qui a énormément de sens pour moi, et l’emplacement est en même temps élégant et très sexy. Je choisis beaucoup de mes hauts et compose des ensemble en fonction de comment ça va l’encadrer, le montrer ou non.
La pièce que vous avez déjà en 36 exemplaires mais que vous n’arrêtez pas d’acheter quand même ?
Un top avec col montant mais sans manches. C’est mon basique absolu. Le col montant c’est toujours chic, je suis une frileuse de la mort et ça me sauve. On peut le porter en demies saisons avec toutes les vestes imaginables, faire des superpositions ou juste comme ça. Avec toutes les coupes de pantalons ou de jupe ça s’adapte pour faire dark academia, seventies, Lara Croft… Juste parfait.
Quel est le type de pièce que vous rachetez encore et encore et ne portez pourtant jamais ?
Les robes et top transparents à imprimés. C’est fun, ça attrape l’oeil et je craque en me disant que cette fois c’est la bonne mais j’arrive jamais à les porter. Je trouve jamais d’ensemble qui me convainc, je trouve que c’est pas une ambiance qui me correspond, c’est toujours trop moulant et mon trouble du spectre de l’autisme ne supporte pas le contact trop long d’un truc qui colle… Sur les autres, c’est génial.
Quel est le type de vêtements que vous prenez le plus de plaisir à traquer ?
Les vestes vintage. Parce que une veste, ça marche toujours, dans toutes les garde-robes. Que c’est des pièces qui ont une infinité de nuances et petits détails dans la coupe et l’ornement, que je saits tout le suite en les regardant ce que je veux en faire, et que étant frileuse de la mort j’en porte souvent même en été… Historiquement, presque chaque décennie a sa veste, les grands couturiers ont leur veste, c’est vraiment versatile et ludique.
Quel est le genre de vêtements que vous détestez devoir vous procurer ?
Les chaussettes. C’est indispensable mais j’ai toujours l’impression de dépenser de l’argent pour rien.
Votre meilleure pépite de fripe ?
Je m’en autorise deux. J’ai trouvé une robe noire des années 50, coupe très inspirée du New Look de Dior, quand j’imagine la fameuse petite robe noire iconique, c’est celle là que j’ai en tête et je me sens comme Grace Kelly dès que je la porte. L’autre, c’est un blazer des années 80. Il est jaune soleil, moiré, épaulettes, taille en sablier un peu Mugler, j’ai l’impression d’être PDG du monde.
Votre meilleure astuce pour acheter des fringues de seconde main ?
Savoir ce qu’on cherche. Avoir déjà des idées de ce qu’on veut trouver. Couleur, matrière, coupe. Ne pas savoir c’est l’assurance de perdre énormément de temps à fouiller et faire des achats qu’on peut plus souvent regretter.
Votre futur investissement mode ?
Disons un investissement rêvé, et qui se concrétisera dans un avenir financièrement plus stable sans encore pouvoir lui donner de date de concrétisation (oui c’est très hypothétique) : un tailleur Mugler. Le genre très alien, qui redessine totalement la silhouette et donne l’impression d’être intouchable. Je pense que j’ai suffisamment montré que J’AIME LES VESTES, et les Mugler sont à un aboutissement de ce que j’aime dans la mode : beau et étrange, jouer avec les formes « normales » et donner de la puissance.
Revendez-vous souvent vos vêtements ?
Assez peu. Je trouve le processus chronophage. Je préfère les donner, ce que je fais plus souvent. L’association Acceptess-Transgenres, le collectif Femme Trans Gang ou le Flirt organisent régulièrement des collectes et je préfère faire ça. Je suis à une situation de précarité où sans pouvoir mettre de gros moyens dans la mode, je n’ai pas pour autant besoin de revendre ce que j’ai pour m’aider. Je sais aussi que beaucoup de femmes trans n’osent pas aller en magasins, essayer, ont peu de moyens, je me dis que je peux peut être faire plaisir en donnant.
Pourquoi achetez-vous beaucoup de seconde main ?
J’ai longtemps eu peur de ne pas trouver dans la seconde main de pièces qui me plairait pour de vrai et ça a maintenu le fait d’acheter du neuf. Depuis un peu plus d’un an je n’ai quasi pas acheté de pièce neuve et honnêtement ça a totalement redynamisé mon style personnel. Je porte plus de couleurs, les coupes correspondent à des choses que je rêvais de porter, je dépense moins.
Si vous deviez prendre une résolution mode, quelle serait-elle ?
Oser. Dans ma tête je me fais des ensembles très exubérants. C’est la totale : paillettes sur tout le visage, talons de 30, gants ET chapeau, lustres aux oreilles… Et quand vient le moment de s’habiller je retire pleins de choses. Donc je dirais oser aller pour la totale. Mais bon… Le poids des regards et du harcèlement quand on est une meuf qui se démarque est pesant au mieux, dangereux au pire. Et en étant déjà très visiblement tatouée ça rend ça d’autant plus compliqué.
Quelle est la question qu’on ne vous pose pas assez concernant votre rapport à la mode ?
Tellement de choses ! Comment la transidentité a influencé mes choix. Parce que souvent on reproche aux femmes trans ce qu’elles portent. Nous, on renforcerait les stéréotypes de genre en portant une mini-jupe, alors que dans les espaces féministes on s’accorde à dire qu’une femme cis qui la porte est dans l’autodetermination, l’empouvoirement et qu’un vêtement ne justifie jamais rien…. Mais tellement de choses sur la cyclicité historique des formes, le phénomène de revival, parler de fait main, parler de déformation et recomposition du corps, de pouvoir social du vêtement… parce que clairement je pense qu’être la meuf trans qui présente « sage », un peu bourgeoise ça m’a aidée à être écoutée de façon plus mainstream, être publiée… et que j’ai eu des expériences de promo où on m’envoyait des briefings où on me disait sans le dire qu’il fallait pas que je vienne habillée comme la trans du Bois de Boulogne…
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Les Commentaires
En gros, certains motifs très petits/étroits (comme des rayures par exemple) ou matières qui forment des motifs (à l'instar du tweed) ne passent pas à la caméra. Ça fait comme des vibrations à l'image. C'est pour ça qu'avant une émission télé, on demande généralement aux personnes en plateaux d'éviter de porter des motifs et de privilégier les vêtements unis : pour éviter toute "vibration" à l'image