?Cher petit papa Noël, comment vas-t Non.
Wesh, Santa, bien ou bien ? Non.
Père Noël,
Je ne t’écris pas cette délicate épître dans l’égoïste et indécent dessein d’obtenir de toi des joujoux par milliers ; je sais bien que c’est la crise et qu’il faut se montrer juste et raisonnable.
Je regrette cependant que la majorité de mes concitoyen-ne-s ne possèdent pas mon sens moral. Quand je t’avais croisé il y a quelques années (qui forment à présent une décennie bien tapée), tu étais fièrement assis sur le trône pailleté d’un supermarché de province. Au milieu des caddies encombrés et des guirlandes festives, tu avais fière allure. J’étais très impressionnée par ton charisme bedonnant et ta barbe piquante mais je t’évitais soigneusement car, Père Noël, je ne voulais pas te décevoir ni te mentir. Hélas, cent fois hélas, tu es venu vers moi et m’a demandé avec une tendre bienveillance si j’avais bien été sage cette année. Dans le hall tout illuminé du magasin en goguette, mon innocence enfantine s’est révoltée, et je t’ai répondu le plus sincèrement du monde : « Non, pas trop ».
Qu’avais-je fait de si horrible cette année là ? Je ne m’en souviens pas. Je n’avais probablement rien fait de mal, mais j’étais persuadée qu’il valait mieux pécher par excès de modestie que par bravoure. Depuis j’ai nourri l’idée que je ne serai jamais assez sage pour mériter quoi que ce soit et j’ai renoncé à toi, Père Noël. Pour cette raison et aussi à cause des deux ou trois cadeaux bien médiocres que tu m’as ramenés du pays des lutins (on en reparlera).
Parce qu’il est temps de régler nos comptes entre adultes consentants, que tu me rendes le sommeil de toutes ces nuits volées que j’ai passées l’oeil collé à l’interstice entre mes volets pour voir ton majestueux traîneau traverser le ciel (il ne passait jamais).
Tu n’as pas toujours été très réglo en affaires car, Père Noël, je te tiens responsable de toute la magie de Noël que, par fainéantise, certaines années, tu n’insuffles pas autour de moi.
La neige qui ne tombait pas, les repas de fête qui duraient cent ans et pendant lesquels je ne mangeais rien (car quel enfant aime le foie gras, les huîtres et les fagots de haricots verts ?), tous ces calendriers Kinder que je n’ai pas eus… C’est ta faute, Père Noël
. La mousse aux marrons de ma bûche de l’an dernier qui n’a jamais voulu tenir ? Ta faute. La dépression qui me guette quand j’entends Tino Rossi chanter Petit Papa Noël, n’est ce pas une preuve suffisante de ton sadisme ? Et les rediffusions de Mister Bean sur France 3 que je regarde tous les hivers depuis vingt-quatre ans, si ce n’est pas toi qui en est l’instigateur, qui est-ce ?
Il faut réagir, Père Noël, je trouve que tes négligences méritent d’être soulignées, après tout on te laisse pénétrer dans l’intimité de nos intérieurs bourgeois (ou pas), on te colle nos mioches sur les cuisses, on ferme les yeux sur l’exploitation capitaliste et despotique que tu exerces sur des millions de lutins à travers le monde. On a bien le droit d’être exigeants, merde.
Tu as laissé la magie se perdre au milieu des guirlandes et des foies gras en promotion, dans ce décor en carton-pâte des chalets de Noël où l’on peut déguster de l’aligot traditionnel en poudre. La pipe qui bordait tes lèvres a disparu des illustrations te représentant depuis que tu as laissé Coca Cola te prendre et que tu as renié tes saintes origines d’un ricanement gras et satisfait. Lorsque j’ai appelé le 08 99 24 24 24 pour t’enguirlander de vive voix, tu m’as raccroché au nez après m’avoir narguée de ton « HO HO HO » cynique.
Lorsque tu te trompes de cadeau à apporter, tu argues une certaine sénilité mais tu es toujours le premier pour te réchauffer la couenne avec un petit verre de vin chaud – en atteste ton visage rougeaud. Tu brouilles les pistes depuis des siècles sur ton lieu de résidence, certainement afin de payer moins d’impôts.
Père Noël, si je suis aussi exigeante c’est pour ton bien, il faut que tu te maintiennes en forme malgré ton grand âge et que tu reprennes tes huit rennes bien en main. Je te l’ai déjà dit, ce n’est pas pour moi que je t’écris, car je sacrifie ma plume au profit des autres, mais je te sens en panne d’inspiration. Ça fait dix ans que tu déposes une écharpe rouge au pied du sapin de Christophe Barbier et je crois qu’il n’en peut plus, le pauvre (me pardonnerai-je un jour d’avoir plaint Christophe Barbier ?).
C’était Desproges qui disait que les adultes ne croyaient pas au Père Noël et qu’au lieu de ça, ils votaient. Moi comme tu le sais (tu sais tout) je ne vote pas et j’ai beau comptabiliser à mon actif tous les scepticismes au monde, il me plaît parfois de croire en toi.
Alors, avant de descendre du ciel, n’oublie pas d’y embrasser ceux qui le peuplent par milliers et lorsque ton traîneau abordera enfin nos contrées, essaie de donner un très beau Noël aux courageux qui n’ont pas renoncé à toi. Laisse bien les autres s’étouffer avec leur dinde aux marrons et viens me voir à la fin de ta tournée, il faut qu’on parle, Père Noël. Je ne sais pas si tu te souviens de ce robot en plastique que tu m’as offert une année, mais c’était pas celui que j’avais commandé, moi je voulais Nono le robot et pas un autre. Je pense que tu me dois quelque chose ; je ne veux pas te faire chanter, Papa Noël, mais tu as une sorte de dette envers moi et il faudrait qu’on en cause sérieusement.
Je t’embrasse fort,
Ophélie (pas plus sage cette année qu’une autre, fort heureusement).
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