Publié initialement le 15 décembre 2015
Maman m’a dit au téléphone que tu l’avais vraiment mauvaise en découvrant les résultats des élections régionales, papa. Je sais que tu votes FN, tu me l’as dit il y a déjà un moment, en sachant que ça me rendrait folle. Il vaut mieux ne pas parler politique quand je rentre à la maison pour un week-end.
De Besancenot… à la colère
Tu m’as appris à voter, papa. Je me souviens de ces dimanches où on faisait un détour par la mairie de notre petit village pour que maman puisse glisser son bulletin dans l’urne. Toi, tu y étais allé très tôt, pour éviter la foule — tu détestes la foule. Et tu nous ramenais des croissants, alors on aimait bien. Mais pendant que maman votait, tu nous redisais, à mon petit frère et à moi, qu’il fallait voter. Qu’on avait pas le droit de se plaindre quand on ne faisait rien pour changer les choses.
Tu votais Besancenot à l’époque. Un facteur, comme toi. Il ne gagnait jamais les élections, ça m’étonnait. Si mon papa estimait que c’était le meilleur candidat pour qui voter, pourquoi tout le monde ne votait pas pour lui ?
Je ne remettais pas tes choix en question. Tu avais toujours raison dans mes yeux d’enfant. Mais j’ai grandi, je suis devenue adolescente, et nous avons commencé à nous disputer régulièrement à table. J’ai réalisé que tu n’avais pas la parole divine, certaines de tes opinions me heurtaient, me choquaient même. Les miennes se sont affirmées, souvent en opposition totale avec les tiennes. Était-ce pour t’énerver ou les pensais-je déjà vraiment ? Pour être honnête, je n’en sais rien.
Et puis on a vu arriver le quinquennat de Nicolas Sarkozy : tu étais tellement en colère, et moi je regrettais de n’avoir encore que dix-sept ans et de ne pas pouvoir faire entendre ma voix comme mes copains un peu plus âgés.
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Le FN et la fin de nos discussions politiques
J’ai voté pour les élections présidentielles pour la première fois en 2012. Je me suis dépêchée de rentrer de la ville où j’habitais pour mes études pour voter. Aucun candidat ne me plaisait vraiment mais j’avais construit mon identité étudiante depuis tout ce temps, et je savais que je ne pouvais pas voter à droite. J’étais fière de mettre mon bulletin dans l’urne. Et je suis tombée des nues quand tu m’as dit que tu avais voté FN.
FN, FN — ces deux lettres résonnaient comme le rire du diable dans ma tête. Je me souvenais parfaitement du choc de 2002, des télévisions qui ne comprenaient pas comment une telle aberration avait été possible. Le parti d’un homme qui pour moi ne défendait que des idées d’un autre âge… Mon papa avait voté de la pire façon.
Nous avons cessé de parler politique à la maison, maman avait peur que nous nous fâchions pour de bon. Je savais que tu continuais, pour les autres élections, tandis que je gardais mes idées socialistes. Aucun parti n’avait vraiment mes faveurs, mais tout était mieux que celui pour qui tu votais.
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Ce vote qui va à l’encontre de tes valeurs
Tu as encore voté FN pour ces élections régionales, papa. Tu as donné ta voix à un parti qui a voté « non » à la loi sur l’égalité réelle entre hommes et femmes, qui voulait maintenir la notion de « détresse avérée » dans la loi Veil sur l’IVG, qui veut voir les femmes rester au foyer pour libérer des emplois pour les chômeurs. Est-ce que mon travail vaut moins que celui de mes collègues masculins, papa ? Est-ce que je n’ai pas le droit au même salaire qu’eux ?
Ils veulent nous enlever certains de nos droits, papa — à maman, à moi, et à toutes les autres. Je ne t’ai jamais entendu cautionner quoi que ce soit de sexiste, tu m’as toujours traitée comme ton enfant, pas comme une fille, je n’ai jamais senti de différence entre mon frère et moi ; j’ai toujours eu le droit de faire ce que je voulais, et je l’ai fait. Alors pourquoi es-tu prêt à les laisser m’enlever certains des droits que tu m’as toujours donnés sans y penser ?
Je comprends ton ras-le-bol, vraiment. Mais tu ne peux pas me trahir comme cela. Tu ne peux pas cautionner ces idées. Nous sommes très souvent en désaccord, papa, mais ton bulletin d’hier me blesse profondément. Comme si tu les autorisais toi-même à me traiter comme une sous-citoyenne…
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