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Vie quotidienne

« J’ai dit « Arrête » et tu as continué » : lettre ouverte à l’homme qui a abusé de moi

Cette madmoiZelle a été abusée sexuellement par une connaissance, il y a cinq ans. Elle lui écrit aujourd’hui cette lettre ouverte, à lui qu’elle pourrait recroiser au travail.

En février 2014, je me suis réveillée au milieu de la nuit. Je l’avais revécu en rêve, je nous avais revus ensemble cette nuit d’août 2012.

Presque deux ans plus tard, je réalisais ce qui était arrivé. C’était probablement le temps qu’il avait fallu à mon cerveau pour intégrer les choses sans que les faits ne me détruisent.

Dans mon rêve, je me suis entendue dire « Arrête ». Mais tu as continué.

J’ai attendu quelques semaines avant de cracher le morceau, d’oser en parler à quelqu’un.

Un ancien amant et des retrouvailles

Nous avions eu notre histoire trois ans auparavant. On s’était rencontrés en tournage. En stage. C’était ma première expérience avec le cinéma, dans lequel je travaille aujourd’hui.

C’était lors d’une fête alcoolisée que nous avions décidé de finir la nuit ensemble. Nous nous étions revus, mais j’avais alors un copain, puis nous nous étions perdus de vue.

Puis à l’été 2012, alors que mon copain était en voyage depuis quelques semaines, j’ai cherché à renouer le contact. Je n’étais pas sûre de vouloir recommencer quelque chose avec toi, mais j’avais l’envie certaine de boire un verre, de parler, et pourquoi pas de jouer à se séduire.

« J’aurais dû courir attraper ce foutu dernier métro ».

Fin août, nous nous sommes donc vus, et nous avons bu. Beaucoup. Tu étais venu à moto et l’heure des derniers métros approchant, je t’ai demandé si tu pourrais me ramener chez moi si l’on restait plus tard. Tu as ri et tu as refusé. Si je restais, je dormais chez toi.

Je ne cesse de penser à cet instant et de me répéter que j’aurais dû courir attraper ce foutu dernier métro, mais je ne l’ai pas fait. Nous avons continué à boire et j’imagine que le bar a dû commencer à fermer car je ne me souviens pas d’en être partie.

L’ivresse et l’indifférence

Je ne me souviens pas du voyage jusqu’à chez toi. Je ne me souviens pas m’être déshabillée. Je me revois juste, ivre, dans tes bras pendant que tu m’embrassais. Puis nue. Toi au-dessus, me pénétrant. Le poids de ton corps avachi sur le mien.

Je me revois me faisant baiser et me faisant écraser. J’avais mal, je ne voulais plus. J’ai dit « Arrête » et tu as continué. J’ai dit « Arrête » mais ça, je l’avais oublié jusqu’à ce fameux rêve de 2014.

Ce dont je me souvenais, c’était du reste de la nuit. J’étais recroquevillée, incapable de fermer l’œil, et cherchant ton attention. Tu étais avachi, étalé, me poussant presque hors du lit. L’heure des premiers métros approchant, j’ai attrapé mes affaires, me suis rhabillée et j’ai décampé.

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Arrivée chez moi, j’ai eu le temps de prendre une douche et je suis partie travailler.

J’avais transformé la honte de l’abus que j’avais subi en culpabilité d’infidélité.

Ce jour-là, j’ai revu mon copain. Il était rentré de voyage. Pour lui expliquer ma mine déconfite, évidement, j’ai menti. Je n’avais pas dormi de la nuit mais c’était à cause du bruit, rien de plus.

J’avais transformé la honte de l’abus que j’avais subi en culpabilité d’infidélité. Pour moi j’étais fautive, mon copain était l’éclopé de l’histoire.

Parler d’abus pour ne pas dire le mot viol

Tu ne m’as pas réécrit. Je ne t’ai pas réécrit non plus. Nous sommes revenus à nos vies. À nos couples. Et puis j’ai réalisé. Mais le mot viol était énorme. Ces quatre lettres étaient trop dures à encaisser. Alors je préfère parler d’abus, pas une lettre de plus : l’acte est toujours grave mais le mot fait moins peur.

L’inconscient répète que ça n’arrive qu’aux autres. Qu’un viol, ce n’est pas ça. C’est un mec affreux dans une ruelle au milieu de la nuit. Pas toi. Et puis tu te dis que les circonstances auraient pu être bien pire (ça peut toujours être pire).

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Le plus terrible, c’est qu’aujourd’hui tu ne te rends probablement toujours pas compte de ce qu’il s’est passé. De ce que tu m’as fait.

Environ un an après ce rêve, mon copain et moi avons rompu pour d’autres raisons. J’ai alors ressenti le besoin de lui expliquer ce qui était arrivé ce soir-là, mais je n’avais pas encore tous les mots : je réalisais… sans réaliser.

J’ai attendu quelques semaines avant de cracher le morceau, d’oser en parler à quelqu’un.

Toi, le viol, les autres… et moi

J’ai tenté d’en parler à une psy. Sans me regarder, elle m’a jeté au visage que juridiquement, ça n’était pas un viol, et m’a demandé si j’avais bu ce soir-là. J’ai cru vomir. Mais encore une fois, j’ai ravalé.

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Il va sans dire que ce n’était pas une aide juridique que je venais chercher chez cette psychiatre, mais ses paroles étaient révélatrices. Oui, des avancées ont eu lieu du côté du droit des femmes et de la défense des victimes de violences sexuelles ; il est vrai que le tabou s’étiole, mais la lutte n’est pas terminée.

La zone grise est encore trop peu connue et ce qui m’est arrivé s’y trouve tout juste. Il y a l’alcool, l’ami, le rapport a priori consenti qui ne l’est plus en cours de route…

Je n’ai donc pas porté plainte. Pour toutes ces raisons, parce que je sais que la bataille serait rude et que je n’ai pas davantage d’énergie à dépenser à ce sujet, je ne suis pas prête à affronter le scandale.

J’admire ceux et celles qui trouvent la force de se battre devant la justice, mais personne ne devrait juger une victime de violences sexuelles qui ne fait pas ce choix. L’injonction à rester fragile et dévastée est assez déplacée et pesante comme ça.

À lire aussi : Agression sexuelle et dépôt de plainte : les conseils d’un policier

Nos pères sont amis et régulièrement j’entends ton nom. Alors je me ferme. Je cadenasse mes émotions. Je ne veux pas expliquer ce qu’il s’est passé à ma famille, j’ai trop peur des réactions ; beaucoup des personnes, amants ou amis, à qui j’ai pu en parler depuis m’ont blessée par leurs réactions, aussi innocentes soient-elles.

Je ne veux pas expliquer ce qu’il s’est passé à ma famille, j’ai trop peur des réactions.

Les amants, ils sont en effet nombreux à avoir entendu cette histoire. Dans une version plus ou moins édulcorée et tremblante. Je leur faisais le récit de la nuit où tu as abusé de moi pour expliquer mes crises d’angoisse après l’amour.

J’angoisse quand je perds confiance en mon partenaire, quand je sens qu’il ne porte pas toute son attention sur moi. Je ressens tout à coup une grande honte car je revois ce moment où je cherchais ton attention à toi. Mon agresseur. Et que, après m’avoir baisée sans te soucier de si j’en avais envie, tu m’as méprisée.

Aujourd’hui, comme toi je travaille sur des tournages. Nous sommes à des postes différents mais nous pourrions tout à fait être amenés à travailler ensemble. Et j’angoisse. Je voudrais que tu n’existes pas. Que toute cette histoire n’existe pas.

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Je me battrai pour tenir ma place

Parfois je me demande si cette expérience ne m’a pas poussée à continuer dans le cinéma. Car je suis passionnée et qu’il est hors de question qu’un merdeux comme toi m’empêche de réaliser mes projets.

C’est un milieu qui, autant qu’un autre, est parfois hostile aux femmes, qui entretient son lot de discriminations, mais je me battrai pour y tenir ma place, et pour que ce qui m’est arrivé n’arrive pas à d’autres. Et pour ne plus jamais me laisser impressionner et écraser par quelqu’un comme toi.

Ce qui n’empêche qu’à chaque nouveau tournage, j’ai peur que tu sois là. Je me demande si je te sauterais à la gorge pour t’étrangler, si je t’écraserais mon poing dans la gueule ou si je resterais plantée, paralysée rien qu’à te voir.

Et chaque fois que j’y pense, j’ai envie de vomir.

À lire aussi : J’ai revu mon violeur 11 ans après, et j’ai gardé la tête haute

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Les Commentaires

1
Avatar de Lilas DUPONT
31 janvier 2017 à 19h01
Lilas DUPONT
Courage à toi ❤❤ j espère que tu t en sortira..
0
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