Hier, la chanteuse Sinead O’Connor a tenu à écrire une lettre ouverte à Miley Cyrus. Comme elle le précise au tout début de son texte, elle n’avait pas l’intention de le faire. Mais lorsque l’ancienne star Disney a déclaré qu’elle s’était inspirée du clip de Nothing Compares pour celui de Wrecking Ball, l’Irlandaise a été inondée d’appels téléphoniques de journalistes qui lui demandaient ce qu’elle en pensait.
« Alors voici ce que j’ai besoin de dire… Et c’est dit avec esprit maternel et amour », écrit-elle en guise d’introduction.
S’ensuit alors un sermon dans lequel Sinead s’évertue à conseiller à Miley d’arrêter de montrer son corps, de reprendre le contrôle sur sa carrière et son image et de cesser de se laisser berner par l’industrie musicale qui tendrait selon elle à faire croire à la jeune chanteuse que c’est elle-même qui a envie de se mettre à poil.
Bien évidemment, cette lettre ouverte est dénuée de méchanceté, mais elle n’évite pas pourtant de juger les actions récentes de Miley. Ça m’a dérangée, beaucoup. Miley par contre, elle, a décidé de s’en foutre à en croire sa réponse sur Twitter dans laquelle elle semble ne pas franchement apprécier le format choisi par Sinead pour s’exprimer :
Sinead. Je n’ai pas le temps de t’écrire une lettre ouverte parce que je présente et joue dans le Saturday Night Live cette semaine.
Alors si tu veux qu’on se rencontre et qu’on se parle fais-le moi savoir dans ta prochaine lettre. :)
Elle a ensuite linké les tweets du dernier pétage de boulard de Sinéad sur Twitter, en accompagnant cette capture d’écran d’un « Avant Amanda Bynes… Il y avait… » un peu cinglant. Probablement une façon de dire « Eh ? C’est qui de nous deux celle qui a un problème ? ».
Ouh. Snap.
Alors de mon côté, j’ai décidé de répondre à cette lettre ouverte par une lettre ouverte. Une lettre ouverte que la principale intéressée ne lira probablement pas, parce qu’elle est en français et que j’ai beau avoir une licence d’anglais, faut voir à pas déconner, je suis pas aussi à l’aise qu’en français. Ça me prendrait trois jours et en terme de réactivité face à l’actu, ce serait peu efficace.
Chère Sinead,
Qu’on ne se méprenne pas : je n’ai rien contre vous. Vous avez accompagné avec brio chacune de mes ruptures avec votre Nothing Compares 2 U et quelques autres de vos morceaux (pas toutes, parce que j’ai tout de même mes limites et je me lasse vite de la tristesse).
Je trouve votre personnage — ou votre personnalité — sympathique et cette lettre ne recèlera, je le promets, d’aucune sorte d’animosité. Face à vous, Sinead, je resterai fidèle à la #teampipou.
Mais autant dire les choses : j’ai mal vécu votre lettre ouverte à Miley Cyrus, et je vais vous expliquer pourquoi. Quand vous écrivez…
« Je suis extrêmement inquiète pour toi en voyant que ceux qui t’entourent t’ont menée à croire, ou t’ont encouragée dans ta propre idée, que c’est cool d’être nue et de lécher une masse dans tes vidéos. Laisser quelqu’un te prostituer, c’est en réalité ce qui va éclipser ton talent, que ce soit l’industrie du disque ou toi-même qui tient le rôle du mac.
À long terme, se laisser exploiter ne mènera qu’à du négatif, et ce n’est en AUCUN CAS un « empowerment » de toi-même ou de toutes les autres jeunes femmes de faire passer le message que tu es jugée (même par toi-même) davantage sur ton sexe que sur ton talent évident. […] »
… Ça me chiffonne. Parce que je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi il faudrait forcément que les chanteuses qui décident de se mettre nues dans leur vidéo le fassent parce qu’elles sont instrumentalisées.
Bien sûr, c’est une réalité, dans certains cas (peut-être même dans la plupart des cas, qui sait). Pas plus tard qu’hier par exemple, Britney Spears expliquait à la radio être lassée d’être obligée de faire des clips sexy.
Mais si on souhaite vraiment étudier le rapport à la nudité (rien ne nous force à le faire, soit dit en passant), on doit procéder au cas par cas au risque de juger à la va-vite.
Déjà, Britney et Miley n’ont pas le même âge. Je ne dis pas que c’est la jeunesse de cette dernière qui la mène à se chercher et à étaler sa sexualité à la face du monde. Ce que je dis, c’est qu’il est tout à fait probable qu’elle ait d’elle-même envie d’assumer son corps, de le montrer, que ce soit une question de personnalité et pas de vulnérabilité.
Et je ne pense pas que l’on puisse comparer la nudité dans les clips de Rihanna, Britney ou qui sais-je encore avec celle qu’on peut voir dans les clips de Miley. C’est peut-être bien ça qui fait la différence dans la perception qu’on a de leurs vidéos, de leur attitude.
Dans les vidéos de Britney ou Riri, la sexualité semble calibrée : dans son dernier clip, Pour it up, Rihanna semble comme dans tous les autres suivre une chorégraphie dans tous les sens du terme. Tout est nickel, chaque mouvement est maîtrisé. Une impression renforcée par le fait qu’elle change de personnalité publique et de stratégie de communication pour chacun de ses albums. C’est hypersexualisé, certes, mais c’est, en un sens très « propre », très cadré.
Est-ce que ce qui dérange plus dans la façon qu’a Miley de se montrer sexualisée, ce n’est pas justement, au-delà de la difficulté des gens à oublier la petite chanteuse country, que ça semble plus, comment dire, « sincère », plus « brut de décoffrage », moins « sexy » ?
Quand elle twerke maladroitement en tirant la langue et en se frottant au chibre de Robin Thicke, on sent bien qu’elle pourrait maîtriser un peu plus la chose. Même constat pour le passage où elle lèche une masse dans Wrecking Ball ou quand elle pose pour Terry Richardson dans des photos à la qualité discutable publiées hier.
Est-ce réellement une volonté de se poser en sex-symbol ou tout simplement une façon d’assumer qui elle est (à savoir, si on part dans cette idée, une fille très doucement dingue qui construit l’image qu’elle renvoie sur le fait qu’elle se fiche de l’image qu’elle renvoie — et une fille qui a une sexualité et qui ne voit pas pourquoi elle ne l’assumerait pas) ?
Personnellement, après mûre réflexion, j’aurais plutôt tendance à pencher pour la seconde. Je dis pas que j’ai forcément raison, mais c’est en tout cas ce que je pense.
Non mais c’est vrai : et si elle se montrait nue simplement parce qu’elle en a envie ? Si c’est possible ? Bien sûr ! J’ai envie qu’on arrête de voir les femmes qui exposent leur corps comme des victimes.
Pour moi, le véritable « empowerment », c’est de s’assumer, telle qu’on est. Et je trouve profondément réducteur de s’imaginer que si Miley, ou n’importe qui d’autre, montre une grosse partie de sa peau, c’est parce qu’elle est suffisamment faible pour se laisser influencer par les grands patrons de maisons de disque. Le libre-arbitre, ça existe.
Et ce n’est pas parce que la chanteuse est jeune et qu’elle a déjà été filmée en train de prendre de la drogue qu’elle ne sait pas ce qui est bon pour elle et qu’elle a besoin d’être maternée.
J’aimerais également revenir sur une autre partie de la lettre ouverte : celle qui oppose le désir et l’amour :
« Nombreuses sont les femmes qui confondent le désir avec l’amour. Ce n’est pas parce qu’ils te veulent sexuellement qu’ils en ont quelque chose à foutre de toi. D’autant plus quand tu donnes sans le savoir l’impression de n’en avoir rien à foutre de toi-même. Et quand tu embauches des gens qui ne te donnent pas non plus l’impression d’en avoir quelque chose à faire de toi. N’importe quelle personne qui s’intéresse à toi ne pourrait supporter que tu te laisses prostituer… Et toi non plus. »
Pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas, en tant que femmes, savoir faire la part des choses ? Pourquoi est-ce que ce serait toujours les femmes qui se laisseraient berner et confondraient le désir et l’amour ? Pour moi, cette partie est presque insultante, à l’égard de tous les genres, qu’on soit dans le show biz ou pas.
D’un côté, la gent féminine qui essaierait de se faire aimer en attisant le désir des autres, et de l’autre, la gent masculine qui ne pourrait rien ressentir d’autre que du désir face à une femme qui n’hésiterait pas à montrer son corps. Les deux peuvent aller de pair : désir et amour.
Et ce n’est pas parce que quelqu’un décide d’attiser le désir dans les yeux des autres que cette personne ne se respecte pas. C’est mon point de vue, mais je suis partisane de la dédiabolisation du désir seul.
Certaines personnes (hommes comme femmes) assument leur envie d’être désiré-e-s. Je ne trouve pas ça malsain quand c’est un choix. En assumant cet envie, ces individus ne deviennent pas des objets sexuels à mes yeux, mais des sujets sexuels. Le désir ne rend pas toujours (pas tout le monde) passif.
Et puis, quand vous écrivez…
« Le véritable empowerment en tant que femme ce serait de refuser, à l’avenir, d’exploiter ton corps et ta sexualité de sorte que les hommes fassent de l’argent avec toi. Je n’ai même pas besoin de poser la question… Je suis dans le métier depuis suffisamment longtemps pour savoir que les hommes font de l’argent sur le fait que tu te mettes nue. Ça n’a vraiment rien de cool. Et ça envoie des messages dangereux aux autres femmes. S’il te plaît, à l’avenir, dis non quand on te demandera de te prostituer. Ton corps est pour toi et pour ton petit ami. »
… Réellement, j’ai les oreilles qui chauffent. Le véritable empowerment n’est pas de refuser de se déshabiller : le véritable empowerment, c’est de savoir ce qu’on a vraiment envie de faire et d’agir en fonction de nos propres certitudes par rapport à notre corps.
Et puis, comment ça, le corps Miley n’est que pour elle et son petit-ami ? Le corps d’un individu n’appartient qu’à cet individu, et c’est à cette personne de décider si l’autre personne qui pourra en profiter sera son/sa petit-e ami-e uniquement ou pas, et de la façon dont il saura en faire profiter.
En ce sens, je ne vois pas bien pourquoi Miley balancerait un message dangereux à destination des autres filles de son âge et des plus jeunes (dites, comme me le faisait remarquer Myriam H., on a grandi avec le clip d’ I’m a slave 4 U de Britney et c’est pas pour autant qu’on a décidé de faire un gang bang sans préservatif avec un string au-dessus du jean à 15 ans).
L’unique message dangereux que je vois dans l’industrie du disque, c’est que les seuls corps qu’on nous montre répondent aux canons de beauté actuels. Je suis pour qu’on cesse de sacraliser la nudité et la sexualité, mais qu’on le fasse d’une façon différente de ce qui est fait. Mais clairement, ce problème ne concerne pas l’ancienne Hannah Montana.
C’est simple : j’ai envie qu’on fasse confiance à Miley Cyrus, en fait. J’ai envie qu’on fasse confiance à n’importe quelle femme dans sa façon de gérer sa sexualité.
Votre avis, Sinead, méritait d’être donné. Parce qu’on sait jamais, parce que peut-être que Miley aurait eu besoin d’entendre ces conseils. Mais j’aurais été beaucoup plus à l’aise si ça avait été une conversation, privée ou publique, s’il y avait une un véritable échange.
Là, le format de la lettre ouverte me donne l’impression amère que vous contribuez au bashing facile qui est fait à l’égard de la chanteuse. C’est l’exposer un peu plus en renforçant les clichés qui sont balancés depuis quelques semaines à son sujet. Lui donner toutes ces astuces pour gérer sa vie et devenir adulte, c’est la poser en être vulnérable — ce qu’elle n’est pas forcément.
Mais surtout, d’une certaine manière, c’est la juger en se basant sur votre propre expérience, et c’est malheureusement très égocentré. Clairement, si une femme plus âgée que moi me critiquait publiquement (disons, au supermarché) sur ma façon de gérer mon corps et ma sexualité, je le vivrais comme une insulte.
Le faire avec une personne aussi connue que Miley, je trouve ça d’autant plus humiliant, et je suis ravie qu’elle vous ait répondu avec autant de nonchalance.
Se poser comme supérieure à elle en la maternant à travers une lettre ouverte et publique sans lui laisser l’occasion de répondre, argument par argument au fur et à mesure de votre diatribe, je ne peux pas m’empêcher de trouver ça malsain.
Et ce n’est pas parce que Miley Cyrus n’a même pas encore 21 ans qu’il faut penser qu’elle n’est pas assez mature pour être consciente de ce qu’elle fait, et de qui elle est.
À lire aussi, la réponse à Sinead O’Connor de la géniale Amanda Palmer dont on t’a déjà parlé ici (à qui je fais un high five de là où je suis).
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Mais je ne renie aucun de mes mots non plus, même si à mon avis je me suis mal fait comprendre concernant le délicat sujet du viol ... (je ne le cautionne bien sûr en aucun cas !). Désolée donc si mes propos ont heurté qqn. Je pourrais écrire fièvreusement des lignes et des lignes sur le sujet mais ce n'est pas le but (et je suis crevée, aussi :ko.
Par rapport au slut shaming euuh ... trouver miley cyrus vulgaire n'en est pas vraiment. J'estime qu'il y a une différence entre avoir une sexualité épanouie et se comporter comme une femelle en rut jusqu'à atteindre un niveau de ridicule assez consternant, pour aller encore plus loin que les "concurrentes" et faire vendre. Ahh ... Merveilleuse société
je m'arrête là pcq en tant que lamentable "vieille" madz en fin de semaine de boulot (de fou), j'en peux plus !
Bises à toutes (et à Fab s'il lit mon comm, sait-on jamais!)