Chère Marie-Seuf,
Toi et moi n’avons pas toujours été copines. Tout a commencé un peu après le début de ma puberté : juste avant, j’étais rondelette et trop grande pour mon âge et j’étais bien trop accaparée par mon ventre en forme de ballon de baudruche pour remarquer les deux petites boules qui gonflaient à vue d’oeil en bas de mon dos.
Ce n’est que quand ma taille s’est affinée et que mes hanches ont décidé de se faire la gueule et d’aller vivre loin l’une de l’autre (plus loin (encore plus loin (genre, là-bas))) que j’ai fini par te repérer.
Toute ma vie jusqu’à il y a peu a finalement tourné autour de toi. Les jours où je détestais tout le reste, je te regardais, et je t’aimais bien, tu étais comme un refuge (mais un refuge où on tient vraiment pas à plusieurs). Les jours où j’aimais tout le reste, je te regardais, et je te trouvais de trop.
Je suis désolée si j’ai pu te faire ressentir ce que j’ai vécu quand je tenais la chandelle à l’époque où mes potes lavaient les dents de leur mec avec la langue et que je restais à côté. Mais oui, il y a des moments où j’ai clairement eu envie de te raboter au gourdin, autant être honnête.
« Ne nous fions pas aux apparences : derrière chaque fesse, il y a un coeur qui bat, de gauche à droite, de droite à gauche » (Citation : Couenne Bee)
Le pire, je sais pas si tu te souviens, ça a été pendant les quelques semaines où je ne voulais presque rien manger parce que j’étais une ado aussi à l’aise dans sa peau qu’un cachalot le serait dans un bidet. À cette époque, niveau fonction première, t’as pas eu trop de travail à faire, d’ailleurs.
Bref, en ces temps anciens, j’ai perdu quelques kilos en très peu de temps. Je sais pas si t’arrivais à voir de là où t’étais, mais j’avais des bras comme des allumettes et on voyait mes côtes.
Et toi, rien, t’as pas voulu changer, t’es restée telle quelle. Franchement, t’aurais pu faire un effort, je sais pas, t’effacer un peu. J’avais l’impression que tu étais comme un trou noir qui voulait aspirer tout mon corps alors que je te rappelle qu’aspirer n’est pas vraiment la raison de ta présence, d’un point de vue anatomique.
C’était comme si t’étais la planète dans Melancholia qui déboule droit sur la Terre. Tu n’as tellement pas su t’adapter au changement qu’une bouteille d’Orangina paraissait tout à fait harmonieusement proportionnée à côté de moi, et ça, c’est pas très cool.
Cristina Cordula n’aurait rien pu faire pour me trouver un style. À cette époque, on m’a même surnommée « 36-48 » (un blaz’ qui chiffrait le décalage) et « l’éclipse ». On peut pas dire que tu m’as bien aidée à renforcer mon amour-propre.
Depuis, fort heureusement, on s’est sorti les doigts, toi et moi.
Moi, j’ai jeté le petit miroir qui me permettait de te regarder pendant de trop longues minutes sans avoir à risquer le torticoliques avec un jeu de reflet, j’ai arrêté de te demander ton avis sur tout ce que je faisais : « Eh là, j’ai trop maigri ? T’as l’air à plat… », ou « On dirait que tu commences à couler, ça veut dire qu’il faut que je fasse du sport, c’est ça ? ».
J’ai réalisé que toutes mes réflexions sur moi-même tournaient autour de ma raie et que ce n’était certainement pas comme ça que j’allais avancer.
Alors j’ai respiré un grand coup, j’ai accepté l’idée que tu pourrais plaire à des gens et pas à d’autres mais surtout, que la plupart s’en foutaient. J’en avais marre d’être lourde avec moi-même et avec les autres, à parler de toi régulièrement, pour refuser un McDo ou justifier mon envie de faire du sport. Tu ne contrôles plus mon cerveau, Marie-Seuf. Tu n’es que du gras et du muscle.
Je ne m’inquiète plus de savoir si les commentaires que je reçois dans la rue sont positifs ou négatifs (on ne parle pas assez de l’ambiguïté d’un « OH PUTAIN LE BOULE »). Je m’en fous.
T’es là, bien en place, et tu ne sers à rien. Tu vois les bougies trop décoratives pour qu’on ose les allumer ? Bah t’es pareille : t’es là pour faire joli, même si certains te trouveraient de mauvais goût, mais finalement, seule une petite poignée de personnes s’intéresse à toi.
Je ne sais pas si c’est en t’oubliant que tu t’es faite plus discrète, je ne sais pas si mes complexes te déformaient, je ne sais pas si c’est le fait d’avoir grossi d’un peu partout qui fait que tu n’as plus rien de choquant à mes yeux, ou l’habitude, mais en tout cas, je nous trouve bien, toi et moi.
Tu sais, Marie-Seuf, je tiens à m’excuser pour tout ce que j’ai pu te faire endurer. Je m’excuse pour toutes les fois où je t’ai massée avec tellement de virulence que tu t’es mise à rougir comme si tu venais de faire un pet vaginal en public et que tu trouvais la situation gênante.
Je m’excuse pour tous les exercices de contraction en alternance que je te fais faire mille fois par jour, inconsciemment. Je m’excuse des heures passées sur mon canapé où je t’imagine grimaçante, souffrant le martyre, à deux doigts de l’escarre. Je m’excuse qu’il ait pu t’arriver de te faire taper. C’était pas contre toi.
Je m’excuse de ne pas te couvrir parfois de shorts ou jean qui te mettent vraiment en valeur. Mais si je fais ça, c’est parce que tu n’es plus le centre de mon monde, Marie-Seuf.
J’espère que tu comprends que cette façon de te délaisser est l’illustration de mon épanouissement personnel : je n’ai plus besoin de me rassurer ou de me flageller en t’observant sous toutes les coutures, parce qu’on a un rapport détendu désormais, toi et moi.
On est comme un vieux couple qui a arrêté de s’engueuler pour s’aimer avec un peu moins de passion. Sincèrement, je souhaite cette relation polie et sans complexe à toutes les anciennes ou les toujours complexées. Ouais.
Car je t’aime, Marie-Seuf. Enfin plutôt, je t’apprécie comme une cousine éloignée pour qui j’ai du respect mais que je ne croise qu’une fois par an. Tu n’es pas parfaite, tu es un peu large mais raccord avec mes hanches, je ne peux pas mettre un verre en équilibre sur toi quand je suis debout mais sachant que j’ai un boulot sédentaire, je trouve que tu tiens plutôt bien la route.
En fait, j’ai parfois complexé sur toi vraiment fort, mais j’espère que tu es bien consciente que tout ça, c’est du passé.
Et puis je me dis qu’en étant sympa avec toi, tu vas peut-être sérieusement te mettre à essayer de faire pareil.
Ne t’assois jamais sur notre complicité. J’aimerais bien pouvoir te claquer la bise, mais j’ai arrêté la gymnastique un peu trop jeune.
Amour et gel caféiné,
SPP
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Les Commentaires
Moi aussi pendant longtemps j'ai été complexée par mon postérieur. Je pense qu'on a souvent des complexes à cause des gens pas sympas avec nous. Quand j'étais ados un mec m'a lancé :"Si ma tête ressemblait à ton cul, j'aurais toujours envie de chie.."! J'ai été traumatisée très longtemps. J'ai réussi avec les années à me convaincre que mes fesses n'étaient pas si mal que ça, que ce mec avait voulu être blessant gratuitement et qu'il avait tord (Je lui en veux encore et si un jour je pouvais le coincer je lui ferais passer un mauvais quart d'heure). Maintenant, j'aime mon cul, si je pouvais le voir plus souvent, je lui dirais combien il m'est utile et pratique. Maintenant, les complexes et vexations, je m'assieds dessus!!!!!!!