« Trigger warning violences sexuelles », « trigger warning pédocriminalité »… Vous avez sûrement déjà vu ces avertissements avant un texte ou une vidéo, souvent sous l’abréviation « TW ». Leur utilisation est de plus en plus démocratisée, en particulier sur internet et dans le milieu militant. À tel point qu’ils sont devenus des outils indispensables pour mener un débat ou aborder certaines thématiques en toute sécurité.
Pourtant, une récente étude suggère que les triggers warnings ne seraient pas si efficaces que ça — voire qu’ils auraient même un effet plutôt néfaste. Une nouvelle dont certains contradicteurs de droite doivent se frotter les mains, puisque la plupart considèrent ces outils comme des enfantillages inutiles pour personnes fragiles…
Or, le traumatisme est bien une réalité que ces avertissements peuvent, dans certains cas, tempérer.
Faut-il, alors, utiliser les trigger warnings ?
À quoi et à qui servent les trigger warnings ?
Chez certaines personnes, les expériences traumatisantes peuvent laisser des traces — des blessures psychologiques qui peuvent resurgir même plusieurs années après et se rouvrir face à des éléments déclencheurs.
C’est là qu’interviennent les trigger warnings. Pour éviter de replonger sans avertissement dans un traumatismes passés, ces alertes permettent d’indiquer qu’un programme ou un texte est susceptible de contenir un contenu choquant, comme une scène de viol ou la description de violences conjugales, par exemple.
Ce que beaucoup de gens oublient, en revanche, c’est que les trigger warnings n’ont pas été pensés pour une personne lambda qui souhaiterait éviter d’avoir le cafard ou de se rappeler d’une peine de coeur en regardant une série ou en lisant un roman cheesy !
Une des critiques qui est souvent adressée à ces avertissements est que ce qu’on appelle à tire-larigot « traumatisme » a été étendu pour englober « tout et n’importe quoi », y compris les choses les plus banales…
Or, les trigger warnings n’ont pas été créés pour contourner les dérangements quotidiens. « Ils sont spécifiquement destinés à aider les personnes souffrant du syndrome de stress post-traumatique », précise un article d‘I-D. Le magazine poursuit :
« Tout le monde n’est pas traumatisé ; en fait, il est possible de vivre des expériences horribles sans souffrir de traumatisme. Il ne s’agit pas d’une question de force de caractère — il y a toutes sortes de variables qui peuvent déterminer si une expérience est traumatisante ou non.
Là où la droite et la gauche échouent, parfois, c’est qu’elles négligent le fait que le stress post-traumatique est un diagnostic spécifique avec des symptômes et des paramètres spécifiques. »
Dans un article publié en novembre dernier sur Madmoizelle, j’expliquais, avec l’aide des données de Mémoire traumatique et victimologie, ce qu’est un trouble post-traumatique :
« Ce qu’on appelle les troubles psychotraumatisme, ce sont “l’ensemble des troubles psychiques immédiats, post-immédiats puis chroniques se développant chez une personne après un événement traumatique ayant menacé son intégrité physique et/ou psychique”. »
Ces troubles incluent un état de stress important et de la détresse, des flashbacks intrusifs ou encore une dissociation — c’est-à-dire des troubles de la mémoire, de l’attention ou de la concentration.
Il s’agit donc avant tout de permettre à celles et ceux qui sont traumatisés par certains sujets de se préparer à lire ou à visionner des contenus et de mieux gérer leurs potentielles réactions.
Vraiment efficaces, les trigger warnings ?
Depuis la démocratisation des trigger warnings, plusieurs voix s’élèvent pour remettre en question leur efficacité. D’après Payton Jones, chercheur à l’université de Harvard et co-auteur des recherches Aide ou nuisible ? L’effet des trigger warnings sur les personnes ayant vécu un traumatisme et Trigger warnings : preuves empiriques à venir :
« Nous avons constaté que les trigger warnings n’aidaient pas les survivants de traumatismes à se préparer à affronter un contenu potentiellement bouleversant. Dans certains cas, ils n’ont fait qu’empirer les choses. […]
J’ai été surpris que quelque chose d’aussi petit — quelques trigger warnings pendant une courte expérience — puisse influencer la façon dont une personne considère son traumatisme.
Dans notre culture, je pense que nous insistons trop sur l’importance du traumatisme dans la vie d’une personne. Les trigger warnings en sont un exemple. »
Selon les chercheurs des études, ces avertissements semblent augmenter la mesure dans laquelle les gens considèrent le traumatisme comme central à leur identité, ce qui pourrait aggraver l’impact du syndrome de stress post-traumatique à long terme.
Tempérons quand même les découvertes de ces messieurs. Leurs études incluant des participants qui ne souffrent pas de syndrome de stress post-traumatique, les résultats sont quelque peu biaisés. Si un ou une participante n’a aucun traumatisme, alors lui donner un avertissement avant d’être exposé à un contenu potentiellement traumatisant ne fera pas une grande différence, si ? Cette personne pourra être dérangée, mal à l’aise, mais… traumatisée ?
D’autres études, cependant, suggèrent aussi que l’inclusion de trigger warnings aurait peu d’effet sur les personnes ayant vraiment subi un traumatisme :
« Ces analyses suggèrent que les trigger warnings ont des effets insignifiants, même chez les personnes auxquelles ces avertissements peuvent être spécifiquement destinées.
Les étudiants sont de plus en plus anxieux … et l’adoption généralisée de trigger warnings dans les programmes d’enseignement peut favoriser cette tendance, en encourageant tacitement les étudiants à se tourner vers l’évitement, les privant ainsi d’opportunités d’apprendre des moyens plus sains de gérer la détresse potentielle. »
Il est quand même important de rappeler, encore une fois, que les trigger warnings n’ont jamais été destinés à atténuer un choc lambda, mais ont été pensés comme un moyen pour les survivants de traumatismes de décider de consulter ou non un contenu signalé comme étant potentiellement choquant.
Il s’agit donc d’offrir un choix éclairé aux personnes souffrant de syndrime de stress post-traumatique, mais aussi de leur signifier que des personnes sont sensibles à leurs troubles et à leurs préoccupations. Comme un « on sait que tu as du mal avec ce sujet, si tu ne te sens pas capable de t’y confronter, tu peux ignorer ce message » validant et rassurant.
Une survivante explique ainsi :
« Un trigger warning n’est ni une censure ni un évitement du sujet. Ces avertissements, ou notes de contenu, sont un moyen simple de respecter les limites des autres sans empiéter sur leur vie privée. […]
Mes flashbacks peuvent être déclenchés lorsque je lis qu’une autre famille a perdu sa maison dans un incendie, mais un avertissement de contenu m’aide à calmer mon cerveau hypervigilant et à rester présent. Un trigger warning est un tampon pour les personnes comme moi, un répit nécessaire face à l’assaut des déclencheurs que nous ne pouvons éviter. »
Entre études scientifiques et ressentis personnels, difficile parfois de savoir exactement comment agir pour éviter au maximum de blesser des gens. Bon sens, empathie, bienveillance et ouverture d’esprit sont donc nos meilleurs conseils : abordez avec un peu de prudence les sujets particulièrement sensibles, et sachez écouter si on vous dit que vous avez blessé quelqu’un sans le vouloir !
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Crédits photos : Polina Tankilevitch et Anna Tarazevich (Pexels)
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Les Commentaires
Mon corps s'est d'abord tétanisé, je me suis sentie mal, et ensuite j'ai été prise d'une méga crise de hoquet (un truc comme je n'en ai plus jamais vécu) qui a duré toute une journée...Cela m'avait épuisée.
Pour autant, je ne sais pas si un TW m'aurait été utile (je parle uniquement pour mon cas personnel). Pourquoi ce film là, avec ce sujet abordé de cette façon là, a déclenché quelque chose à ce moment-là, en fait je n'en sais rien. Peut-être qu'un autre contenu aurait produit le même effet, que c'était quelque chose qui avait besoin d'être exprimé car trop refoulé.... D'ailleurs, dans le fond, cela m'a été utile car cela m'a incitée à approfondir le travail que j'avais entamé sur moi.