Un ventre ultra-plat, une poitrine généreuse, des jambes de 10km et des cheveux blonds soyeux : tel est le physique « parfait » de Deanna Ritter, influenceuse virtuelle suivie par 481 000 abonnés. Créé de toutes pièces, cet avatar hypersexualisé participe ce vendredi 10 mai au premier concours Miss IA, qui vise à élire « la plus belle femme virtuelle » générée par IA. Comme elle, ses concurrentes seront soumises à plusieurs critères de sélection, tels que la beauté, l’intelligence (avec un questionnaire auquel sera chargé de répondre chaque candidate), la technologie (le réalisme du rendu), ou encore la popularité sur les réseaux sociaux…
Exacerber des injonctions esthétiques excluantes, sexistes et inatteignables
Sur la toile, le concours de Miss fait grincer des dents. Déjà, parce qu’il promeut une définition de la beauté et de la féminité très étriquée. Les candidates incarnent, dans l’écrasante majorité, un idéal de beauté occidental, avec leur peau blanche, leur silhouette fine, et leurs cheveux lisses. « Les moteurs d’IA se nourrissent d’images déjà existantes, ils vont donc recopier les a priori et les clichés déjà présents de ce que doit être une miss. Vous verrez donc souvent des blondes à forte poitrine, au corps rachitique et aux jambes démesurément longues dans ce concours » analyse Florence Sèdes, professeure en informatique à l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier-Science des données pour nos confrères de 20minutes.
C’est une vision de la beauté non seulement excluante – entre autre parce qu’elle est grossophobe et profondément raciste -, mais aussi inatteignable, et donc possiblement source de complexes. Alors que dans le monde réel, l’institution archaïque des Miss semblait doucement s’ouvrir au progrès, avec l’élection en décembre dernier dans l’hexagone d’une Miss aux cheveux courts, une première dans l’histoire du concours, côté numérique, les clichés ont la peau dure.
Outre les injonctions à la minceur ou à la blancheur qu’elle impose sur le corps des femmes, l’intelligence artificielle érige en idéal de beauté des visages qui ne sont humainement pas reproductibles, avec des symétries exactes que l’on ne trouve pas dans le monde réel. Des modèles auxquels on pourrait être tenté•e, en vain, de se comparer. Car on a beau savoir que ce ne sont que des images factices, le cerveau n’arrive pas vraiment à s’en convaincre, comme le rappelait mi-avril la démocrate américaine Alexandria Ocasio-Cortez, alors victime de Deepfake Porn. Citant des études sur le sujet, l’élue avait rappelé que le cerveau humain a beaucoup de difficultés à différencier le vrai du faux, même lorsqu’il sait que ce qu’il analyse est faux.
Derrière les femmes générées par IA, il y a… des hommes
Pourquoi ces influenceuses virtuelles se ressemblent-elles toutes et pourquoi véhiculent-elles encore et toujours une vision réductrice de la féminité ? « L’intelligence artificielle a des biais sexistes, racistes, validistes, et elle va amplifier les standards occidentaux rétrogrades et hypersexualisés » abonde pour 20minutes Anna Choury, experte en intelligence artificielle à l’Institut National des Sciences Appliquées de Toulouse, et spécialiste de l’impact social de la technologie.
Et ces biais ne viennent pas de nulle part… Comme nous l’expliquait Mathilde Saliou dans une interview pour la sortie de son livre Techno Féminisme : Comment le numérique aggrave les inégalités, « les algorithmes sont entraînés sur du contenu disponible gratuitement en ligne ». Ils se nourrissent donc des textes, images, œuvres, commentaires de forum, films, présents dans le monde numériques, qui sont eux-mêmes un miroir grossissant de nos biais.
Pour que cela change, il faudrait donc revoir « les données d’entrée, en créant des oeuvres culturelles beaucoup moins genrées et sexistes » poursuit Anna Choury pour 20minutes. Mais à l’heure actuelle, c’est le serpent qui se mord la queue : « Plus l’IA crée de blondes, plus elle en créera dans le futur, car ses propres données sont prises en compte pour ses futures créations », selon Maria Mont Verdaguer professeure d’éthique et philosophie de l’IA à Aivancity School, également interrogée par nos confrères.
Les humains derrière ces technologies ont donc un rôle essentiel à jouer pour inverser la tendance. Mais, aujourd’hui, les femmes ne comptent que pour 22% de la main-d’oeuvre mondiale dans le domaine de l’intelligence artificielle, d’après l’American Association of University Women. Peu étonnant, donc, que ces femmes virtuelles créées par des hommes soient enfermées dans des carcans rétrogrades et sexistes, véhiculant une vision unique de la beauté taillée sur mesure pour le male gaze.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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