Dans mes colonnes, j’évoque souvent mon affection pour le cinéma de Carpenter, d’Almodovar, de Jarmusch et de Yorgos Lanthimos. À eux je dédie mon travail, mon affection et quelques unes de mes soirées.
Surprise, je regarde Les Marseillais tous les soirs
Si je n’ai aucun problème à tartiner tout le monde de ma prétendue cinéphilie, je tais en revanche mon inclination pour une activité moins adoubée par le reste de la population parisienne à tendance snobinarde…
Consommer de la télé-réalité.
Ma préférence va aux Top Chef et autres émissions de cuisine, mais il m’arrive de danser au bord d’un autre abîme : LES MARSEILLAIS.
L’émission la plus tchatcheuse fratééééééé !
Ceci est une bande-annonce d’une vieille saison !
Ce qui n’était qu’un bouche-trou entre deux séries s’est rapidement transformé en un vrai rendez-vous, auquel j’ai d’ailleurs converti mon conjoint.
Et ce rendez-vous, je ne le rate pas depuis… des années.
Les Marseillais, une émission problématique ?
Désormais, je connais chaque personnage presque par cœur, au point de deviner ses réactions face à tel ou tel problème.
« Problème », c’est sans doute le mot le plus utilisé par la famille des Marseillais, qui en a fait sa spécialité.
Le grand manitou de l’émission, un dénommé Julien Tanti, désormais papa d’un petit Tiago qu’il a eu avec sa future femme Manon rencontrée dans Moundir et les apprentis aventuriers (tu suis ?), hurle sans cesse :
« Les problèèèèèèèèèèèmes »
Ce qui signifie généralement que la maison va trembler sous les cris et les insultes.
Les problèmes, les candidats et candidates adorent en faire aux autres… mais en causent aussi potentiellement à ceux qui consomment l’émission.
Avant d’aborder justement les PROBLÈÈÈMES de grande ampleur que ce show génère, rembobinons un peu.
Les Marseillais, qu’est ce que c’est ?
Les Marseillais existe depuis près de sept ans, puisque le premier épisode a été diffusé le 19 novembre 2012 sur la chaine W9.
Au départ, l’émission nait du succès d’un autre programme intitulé Les Ch’tis.
Le concept est simple : des jeunes gens issus du sud de la France partent en voyage tous ensemble pour travailler et devenir des « stars ».
Ils viennent souvent du monde de la nuit et aiment autant faire la fête que se hurler dans les oreilles.
Aujourd’hui, on compte pas moins de huit émissions :
- Les Marseillais à Miami
- Les Marseillais à Cancún
- Les Marseillais à Rio
- Les Marseillais en Thaïlande
- Les Marseillais : South Africa
- Les Marseillais : South America
- Les Marseillais : Australia
- Les Marseillais : Asian Tour (la saison actuelle).
Ce programme étant le show star de W9, il existe des sortes de spin-offs, par exemple Les Marseillais contre Le Reste du Monde, une équipe de candidats de télé-réalité venant d’autres programmes comme Secret Story, Les Anges etc.
Les liens entre les candidats des Marseillais
Parmi les 10 candidats et candidates qui ont été choisis pour démarrer l’aventure, trois sont encore aujourd’hui à l’affiche du programme : Julien Tanti, Thibault Kuro Garcia et Paga Neuron.
D’autres stars sans qui les fans n’imaginent plus une saison, comme Jessica Thivenin, Carla Moreau et Kevin Guedj, sont arrivés plus tard mais jouissent d’un succès au moins égal à ceux qui sont là depuis le début.
Au fil des émissions et des années, des amitiés se sont créées entre les candidats, des inimitiés aussi et surtout beaucoup de relations amoureuses.
Jessica et Thibault forment aujourd’hui un couple soudé, Carla et Kevin se mettent ensemble et se séparent à chaque émission si ce n’est à chaque épisode, et Julien Tanti déclare aujourd’hui être toujours fou amoureux de Manon…
Qu’il a bien traînée dans la boue et trompée à tire-larigot avant d’en faire son épouse.
« Cousu main fratéééééé ! »
Les Marseillais, que font-ils ?
Que font tous ces jeunes gens au bout du monde ?
Eh bien, ils « travaillent », et mes guillemets ne sont pas ici une marque de dédain mais bien une remise en question de ce que signifie fondamentalement pour eux la notion de travail.
Leur job, ou du moins ce qui en est montré à l’écran, consiste parfois à aider un commerçant (lors de l’un des derniers épisodes, Paga et Ness aident une vendeuse de glaces), à préparer des cocktails et surtout à être pris en photos et à danser.
Bien souvent, les missions ne durent que peu de temps.
Le reste de la journée, les jeunes candidats le passe généralement à glander au bord de la piscine, à voyager et… à s’engueuler.
S’engueuler semble faire partie intégrante de leur job dans l’aventure. Les candidats en ont même fait un jeu : le jeu des problèmes.
Le concept : Ils se mettent tous autour d’une table et balancent des vérités ou des ragots pour créer des problèmes entre les couples de la maison.
Sain, isn’t it ?
À l’issue de cette activité, les reprochent fusent, au même titre que les insultes…
C’est bien sûr autour de ces moments clés de l’aventure que la production axe les bande-annonces des épisodes suivants. C’est donc là-dessus que la télévision mise pour fédérer son public.
Rien de très nouveau.
Mon rapport aux Marseillais
Lorsque j’ai découvert le programme, c’était avec un certain plaisir vicieux et surtout transgressif.
En effet, pendant des années mes parents m’ont interdit de regarder ce type de programmes à la télévision.
Quand j’ai eu l’âge de choisir moi-même de quelle matière je nourrissais mon cerveau, j’ai regardé Secret Story, Les Anges et bien sûr Les Marseillais.
Le plaisir était celui de la méchanceté
. Je critiquais ces candidats calibrés pour la moquerie, comme il était de bon ton de faire en soirées…
« Ils sont si DÉBILES putain ! »
Tout passait en revue : leur méconnaissance (feinte ?) de la géographie basique, leurs aberrations syntaxiques, leurs aberrations tout court.
Une méchanceté terriblement malsaine et inutile de ma part, qui était sans doute là pour rééquilibrer le manque de confiance en moi dont je souffrais à l’époque…
Au fil des années, j’ai cessé de regarder tous ces programmes, à l’exception des Marseillais. Pourquoi ? Parce que la télé avait bien fait son boulot, et que je m’étais attachée à eux. Vraiment !
Comme pour une série, j’avais et j’ai toujours mes personnages préférés. Je sais ce qu’ils aiment, je connais leurs phobies, j’anticipe leur réaction.
Prendre l’apéro en les regardant vivre, c’est devenu mon petit rituel.
Mais le temps a fait mûrir mon esprit et désormais, je m’énerve devant ma télé, au point de l’éteindre parfois.
Parce que Les Marseillais, il faut bien l’avouer, c’est la foire au sexisme…
Les Marseillais, une émission profondément sexiste
Prenons quelques exemples du sexisme diffusé tranquillou à la télé.
Le cas Carla/Kevin dans Les Marseillais
Carla et Kevin se sont mis en couple, puis séparés un milliard de fois.
La cause de ces séparations multiples ? Le comportement de Kevin, surnommé Le Jaguar, qui ment et trompe sa compagne comme il respire.
Sauf que d’après Le Jaguar, c’est sa compagne la responsable, qui l’étouffe au point qu’elle le pousse à « fauter »…
Je ne peux pas m’improviser arbitre d’un match dont je ne connais que ce qu’on me donne à la télé. Cependant, je peux analyser ce que celle-ci me donne à manger.
Et… c’est pas joli.
Le couple Carla/Kevin fascine les spectateurs au point qu’une partie de l’enjeu de chaque saison est : « vont-ils se remettre ensemble ? », « Kevin va t-il retomber dans ses vieux travers ? », etc.
Du coup, tout est mis en place pour que les deux amants se tirent dans les pattes.
La bookeuse adore trouver à Carla des jobs de danseuse en boîte de nuit.
Là, les PROBLÈMES commencent.
Lorsque la jeune femme danse, Kevin diminue son ex-compagne, allant parfois jusqu’à l’insulter parce qu’elle se comporte « de manière vulgaire », quand il ne la compare pas, avec ses mots, à une prostituée.
Sitôt que la jeune femme parle à un autre homme que lui, il la dénigre, devient violent verbalement, essaie de la mettre en porte-à-faux auprès des autres habitants.
Le pervers narcissique dans toute sa splendeur, en somme. ENFER SUR TERRE ! Ce type est un danger, qu’il est nocif de laisser s’exprimer dans une émission de grande ampleur !
Le cas Paga/Ness dans Les Marseillais
Paga de son côté, reproche à une nouvelle participante, Ness, qu’il essaie de séduire, de ne pas porter de talons pour aller en boite de nuit.
« Je mets pas de talons, et on me changera pas. Je suis bien en baskets. »
Paga s’insurge :
« Fais un effort ! Porter des talons, c’est ça qui est féminin, tu ne vas pas aller en boîte en baskets quand même. Regarde les autres, elles ont toutes des talons. »
Suite à quoi une dispute explose…
Si cette remarque semble simplement ridicule, elle est en réalité symptomatique des valeurs archaïques que véhicule le programme.
Un vrai bonhomme (leur mot préféré) doit être comme ceci. Une meuf « qui se respecte » doit être comme cela.
Chaque genre est enfermé dans sa coquille, et s’il en sort il est moqué par « le clan opposé ».
Bien sûr, les femmes ne sont pas seulement les victimes de cet archaïsme mais viennent aussi le nourrir…
Le cas Carla/Jessica dans Les Marseillais
Carla et Jessica (une nouvelle candidate), par exemple, ont confronté leurs avis concernant la drague dans l’un des premiers épisodes.
Carla reprochait à sa rivale d’être trop entreprenante avec plusieurs garçons de la maison.
Jessica lui a répondu qu’elle faisait bien ce qu’elle voulait et que les femmes ont autant le droit de faire le premier pas que les hommes.
Carla, étonnée par cette déclaration, lui a confié un peu moqueuse :
« C’est à l’homme de faire le premier pas. C’est quand même flatteur pour une femme de se faire draguer. »
Breeeeeef, je ne peux pas passer ma journée à te donner des exemples, il y en a 10 000 par épisode !
Comment améliorer Les Marseillais
L’émission ne fait pas le jeu de son époque et ne contribue en rien à combler les disparités entre les genres, ça c’est certain.
Ce qui est d’après moi dangereux, c’est que la chaîne n’essaie pas d’éduquer ses candidats, et par extension ses téléspectateurs, au progrès…
Je pense qu’il serait judicieux de faire intervenir des professionnels dans l’émission, qui pourraient encadrer les participants, les faire réfléchir à la portée de leurs propos.
Une idée mise en place cette année était d’ailleurs très judicieuse : pour que les tensions s’apaisent au sein de la maison, la production a sollicité une thérapeute.
L’idée ? Que Carla et Kevin suivent une thérapie de couple.
Cette initiative, je la trouvais bonne !
Peut-être que cette professionnelle allait apporter un contre-poids à tout ce sexisme primaire dont les candidats se tartinaient les uns les autres…
Elle aurait pu leur donner quelques clés de compréhension, pour que leurs conversations soient plus calmes et adultes.
Mais la pauvre thérapeute n’a eu que peu de temps pour effectuer son travail. Après deux ou trois séances seulement, dont quelques minutes à peine ont été montrées à l’écran, la jeune femme n’est plus réapparue.
Alors quelle autre solution apporter pour éclairer les débats et apaiser les esprits ?
Je pense vraiment qu’intégrer une thérapeute H24 dans la villa peut faire la différence.
Dans La villa des cœurs brisés par exemple, la coach de vie, Lucie, éclaire les candidats de ses lumières chaque jour. Cette marche à suivre ne serait-elle pas la bonne, à terme ?
Malheureusement, je pense que des débats éclairés entre les participants, ça n’est pas ce vers quoi veut tendre la production…
Une autre télé-réalité est possible
Avant-hier, j’ai eu envie de comparer notre bonne vieille télé-réalité française à celle d’un autre pays francophone.
J’ai donc choisi une émission québécoise du nom de XOXO, un show de rencontre tout nouveau tout beau.
Alors oui, je sais, le concept n’est pas le même.
Cependant, j’ai été frappée de constater que ce qui domine (du moins pour l’instant), c’est la bienveillance entre les candidats rivaux.
Pas d’insultes, pas de violence morale ou physique, pas de clichés sexistes… Rien.
Et pourtant, le show fonctionne sur la chaîne TVA.
Comme quoi, il est possible de faire de la télé-réalité polie et ouverte d’esprit, où les injonctions à être une meuf ou un bonhomme se font moins nombreuses !
Les Marseillais, inoffensif ou dangereux ?
Je me pose quelques vraies questions.
Est-ce que je serais toujours fidèle à l’émission si elle était moins « dégueulasse » ?
Est-ce que ça n’est pas pour la critiquer et m’insurger que j’aime tant la regarder ?
Et si oui, qu’est-ce que ça dit de moi ?
Ces jeux du cirque moderne font-ils tant de mal que ça ? Et à l’inverse quel bien peuvent-ils faire ?
Beaucoup de questions auxquelles il est difficile de donner des réponses dans un seul article, mais je suis preneuse, douce lectrice, si tu as des pistes.
En tout cas, je ne tiens pas à diaboliser la télé-réalité, je pense qu’elle n’est qu’une distraction et qu’il faut l’aborder comme telle.
Toutefois je m’interroge sur son potentiel de dangerosité…
Chaque jour, environ 800 000 personnes (si je me base sur des chiffres récents) regardent l’épisode inédit des Marseillais.
À l’intérieur de ce chiffre, il y a bien sûr celles qui ne regardent que pour se distraire, mais quid de celles qui érigent les candidats en modèles ?
Peut-on encore permettre aux individus en 2019 d’absorber toutes les injonctions sexistes émises par des participants, et de les considérer comme de bons exemples ?
Non, on ne peut plus. Alors, qu’est-ce qu’on fait, W9 ?
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