C’est un décret très attendu qui a été publié au Journal officiel ce 21 décembre, et qui va ouvrir un fonds pour indemniser les victimes du chlordécone : les cancers de la prostate causés par l’exposition à ce dangereux produit utilisé en agriculture vont être reconnus comme des maladies professionnelles.
Obtenir ce statut nécessitera de remplir deux critères, explique Le Monde : avoir « travaillé pendant au moins dix ans au contact du chlordécone, et que moins de quarante ans se soient écoulés entre leur dernière exposition et le diagnostic de cancer de la prostate. »
L’indemnisation pourrait atteindre « entre 1.000 et 19.000 euros par an environ pour un exploitant agricole », a estimé le ministère de l’Agriculture.
Une population toute entière touchée par le chlordécone
Comme l’expliquait notre article sur la grève générale en Guadeloupe, le chlordécone est un produit insecticide toxique utilisé en Guadeloupe jusqu’en 1993. Ces effets néfastes sur la santé étaient pourtant connus dès les années 1970… ce qui n’a pas empêché l’autorisation de son utilisation à grande échelle pour venir à bout des charançons qui décimaient les récoltes dans les bananeraies.
Des travailleurs ont donc manipulé le chlordécone pendant des décennies, sans protection et sans être au courant des risques.
À cela s’ajoute la pollution des sols et des eaux : aujourd’hui, une population presque toute entière empoisonnée, c’est ce que dénonce bon nombre de Guadeloupéens et Guadeloupéenes… Selon Santé Publique France, au moins 90% de la population adulte en Guadeloupe et en Martinique est contaminée.
Une population qui se sent aujourd’hui trompée par la Métropole. Et les déclarations et revirements d’Emmanuel Macron sur le sujet n’aide pas :
En septembre 2018, le président avait déclaré que l’État devait « prendre sa part de responsabilité » et « avancer sur le chemin de la réparation », une prise de position inédite… mais largement contrebalancée quelques mois plus tard, début 2019 lorsqu’il a affirmé face à des élus d’Outre-mer ne pas vouloir « créer d’angoisse » puisqu’il n’existait pas, selon lui, de lien entre cancer et chlordécone.
Le chlordécone, un scandale sanitaire aux conséquences très palpables
Cette nouvelle étape est-elle suffisante pour apaiser les tensions ? L’indemnisation d’une partie des victimes constitue une première étape dans la reconnaissance du « scandale d’État », mais il ne faudrait pas s’arrêter en si bon chemin, d’autant que dans la situation actuelle de crise sanitaire, la défiance à l’égard des pouvoirs publics ne doit pas être prise à la légère.
L’épandage du chlordécone et les tromperies du gouvernement à ce sujet ont des conséquences lourdes, comme l’analyse Stéphanie Mulot, professeure des universités en sociologie et anthropologie, interviewée par Reporterre :
« Cet épisode a aggravé la perte de confiance dans les politiques publiques nationales. Aujourd’hui, cette méfiance est accentuée par la circulation sur les réseaux sociaux d’injonctions contradictoires et de discours scientifiques divergents qui entretiennent le doute de certains sur le bien-fondé de la démarche vaccinale. »
Comme le souligne La Première, seuls sont concernés par le fonds d’indemnisation les personnes ayant travaillé dans les exploitations agricoles, alors que la quasi totalité de la population antillaise a été touchée par le chlordécone.
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Crédit photo : France 24 (capture)
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