Mise à jour du 24 février 2021
Il n’aura fallu que trois jours pour que McFly et Carlito atteignent les dix millions de vues sur leur clip Je me souviens autour des gestes barrière — la condition pour qu’Emmanuel Macron participe à un concours d’anecdotes sur leur chaîne.
Raphaël Carlier l’a confirmé sur Twitter, le projet est bel et bien en route. On vous explique ci-dessous que les jeunes ont davantage besoin de courage politique que d’un président de la République qui raconte sur YouTube des histoires craftées par son équipe.
Le 22 février 2021
Il y a des associations qu’on n’a pas besoin d’essayer pour savoir qu’elles ne fonctionneront pas. « Talons hauts et verglas », par exemple. « Sandwich roquefort-cacao », aussi. « Emmanuel Macron chez McFly et Carlito », clairement.
La président de la République a contacté les deux influenceurs pour leur demander une vidéo sur les gestes barrières ; en échange, il s’engage, si le contenu atteint les dix millions de vues, à participer à un concours d’anecdotes, un format très populaire sur la chaîne de McFly et Carlito, alias David Coscas et Raphaël Carlier.
Le succès est au rendez-vous : près de cinq millions de vues sur la vidéo d’annonce du projet, et déjà six millions pour Je me souviens, le clip censé rappeler l’importance des mesures anti-Covid 19, le tout au profit de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) pour aider les jeunes en détresse à cause de la pandémie. Le défi annoncé promet d’être relevé. Mais l’initiative, derrière ses atours solidaires, a un goût de foutage de gueule.
Emmanuel Macron chez McFly et Carlito, un partenariat opaque
À écouter McFly et Carlito, tout semble s’être déroulé dans la plus grande des spontanéités : un appel du directeur de la communication de l’Élysée, un temps de réflexion, puis leur proposition de « gage » à Emmanuel Macron (participer au concours d’anecdotes), qui est rapidement acceptée.
Il y a pourtant fort à parier que cette opération de communication gouvernementale (puisque c’est bien de cela qu’il s’agit) a exigé une tonne de négociations, d’allers-retours, de validations… Bien loin de la spontanéité qui ressort de ces explications.
L’opacité des partenariats entre influenceurs et annonceurs est un problème récurrent ; McFly et Carlito ne sont pas irréprochables sur la question, comme le notait récemment l’ancien journaliste Vincent Manilève qui pointait du doigt des stories postées par le duo mi-janvier, comportant les codes couleur de Spotify et des mentions de la plateforme, sans que rien n’indique qu’il s’agit d’une opération commerciale rémunérée.
S’il est dérangeant que des personnalités publiques ne soient pas transparentes au sujet de leurs partenariats, il est encore plus grave de jouer sur cette fausse spontanéité pour une communication d’État. Emmanuel Macron, l’Élysée, la France ne sont pas de simples annonceurs : ce sont des organes publics censés représenter le peuple.
Ce n’est pas parce que les revenus des vidéos seront reversés à la Fage qu’on ne peut pas demander une meilleure compréhension de cette demande publique : si McFly et Carlito tournent à l’Élysée, qui assurera les frais de tournage ? Et qui a produit le clip Je me souviens (comme se le demande, là encore, Vincent Manilève) ? Combien de personnes seront mobilisées pour construire méthodiquement les anecdotes « spontanément » racontées par Emmanuel Macron dans le futur concours ? Que se serait-il passé si les vidéastes n’avaient pas livré une vidéo à la hauteur des espoirs du président ?
Et cette vidéo rappelant les gestes barrières, qui l’a validée, d’ailleurs ? Parce qu’elle mérite une vraie analyse…
McFly et Carlito, les gestes barrières mollement rappelés
Dans un champ de vaches, dans une pharmacie, dans une voiture ou dans un tunnel piéton (un choix de décor étonnant puisqu’il ne permet tout simplement pas à deux personnes sans masque de se tenir à deux mètres d’écart…), McFly et Carlito chantent l’importance des gestes barrières.
Non, pardon : ils chantent majoritairement qu’ils ne les respectent pas très bien et ça n’a pas l’air franchement grave.
Le clip est une litanie de couplets évoquant des soirées après le couvre-feu, des tests Covid non effectués, des contraventions reçues, du gel hydroalcoolique esquivé… entre deux refrains admettant que, bon, si on veut retrouver le fameux « monde d’avant », il faudrait se responsabiliser un peu.
Voilà, c’est le max niveau engagement qu’on peut tirer de ces paroles : « Il faudrait se responsabiliser un peu ».
Il est vrai que McFly et Carlito auraient eu du mal à produire un contenu moralisateur sur les gestes barrières, puisqu’eux-mêmes ne les respectent pas toujours dans leurs vidéos (là encore, merci Vincent Manilève pour les captures d’écran limpides).
Il est également vrai qu’un contenu au ton trop grave aurait pu détoner au milieu de leurs vidéos légères et amusantes.
Si Emmanuel Macron veut toucher leur public, il faut qu’il les laisse parler leur langue, certes. Mais McFly et Carlito savent aussi être sérieux ; souvenons-nous qu’ils s’étaient associés à quatre ONG pour L’Affaire du siècle, une initiative de 2018 qui visait carrément à attaquer l’État français en justice pour dénoncer son inaction face au réchauffement climatique (et ça a marché) ! On est loin du concours d’anecdotes avec le président…
Même au sujet du Covid-19, le duo a déjà fait ses preuves avec Coronacheck, une vidéo absurde et entêtante ayant rappelé les gestes barrières à plus d’un million et demi de spectateurs et spectatrices en juin 2020. La preuve qu’il est possible de sensibiliser sans ennuyer.
En assumant dans Je me souviens qu’ils ne respectent pas à 100% les gestes barrières, McFly et Carlito toucheront juste : tout le monde, ou presque, a déjà retiré son masque trop tôt, oublié de se désinfecter les mains ou d’appeler l’ascenseur avec son coude. Face à une situation inédite, il est tout à fait normal qu’il y ait des ratés.
Mais la légèreté avec laquelle ils s’amusent de leurs erreurs nous semble foncièrement contre-productive : sort-on du clip avec l’envie de mieux faire, ou en étant rassuré de voir que même les stars respectent mal les gestes barrières et que du coup, « Ce n’est pas si grave » ? Si la question se pose, c’est peut-être que le message est confus.
Les étudiants ont besoin d’aide, pas de McFly et Carlito
Que des influenceurs mobilisent leur communauté pour récolter des fonds au profit d’associations, ce n’est ni nouveau ni choquant : McFly et Carlito eux-mêmes, au printemps 2020, avaient organisé le phénoménal Maradon, un live caritatif qui a récolté 400.000€ au profit des soignants et soignantes.
Le président de la République avait salué l’initiative, mais n’y était pas associé. Alors que pour cette nouvelle opération de communication, la commande vient directement de l’État. Et ce même État ne fait pas tout ce qui est en son pouvoir pour aider cette jeunesse qu’il prétend tant aimer.
Explorons une petite timeline des récents évènements :
- Le 22 janvier, une vidéo de Gaspard G sur la détresse étudiante devient virale et met en lumière l’anxiété, la dépression, le surmenage, la perte d’espoir qui rongent de nombreux et nombreuses jeunes en France.
- Le 14 février, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, annonce sur CNews qu’elle veut lutter contre « l’islamo-gauchisme » qui gangrènerait les universités, provoquant l’indignation chez les professionnels de l’enseignement regrettant l’inaction de la ministre concernant la crise, et son obsession injustifiée pour un faux problème.
- Le 18 février, l’extension du RSA aux moins de 25 ans est à nouveau retoquée à l’Assemblée, notamment par La République en Marche, alors que de nombreux organismes, dont l’Observatoire des Inégalités, y voient une aide indispensable pour celles et ceux qui ont plus de 18 ans et sont dans la précarité.
- Le 20 février, McFly et Carlito répondent à la demande d’Emmanuel Macron et annoncent que l’argent récolté par cette campagne de communication soutiendra les étudiants et étudiantes.
Nul doute que la Fage saura mettre à profit les sommes reversées par les vidéastes : le problème n’est pas là. Le problème est qu’encore une fois (comme pour aider les femmes victimes de violences), des associations prennent le relais là où le gouvernement n’est pas à la hauteur.
Les jeunes de France n’ont pas besoin qu’Emmanuel Macron aille raconter des anecdotes tiédasses chez McFly et Carlito. Ils et elles ont besoin d’écoute, d’aide (médicale, financière…), de ne pas avoir l’impression de se sacrifier en vain, d’actions concrètes.
Aider les étudiants et étudiantes, ça ne passe pas par un président qui fait le clown dans une vidéo YouTube censée être « apolitique » (à un an des présidentielles, permettez-nous de douter du caractère neutre de cette démarche, côté Élysée).
Ça passe par des choix politiques qui, certes, demandent un peu plus de travail que de se ridiculiser en dénonçant « l’islamo-gauchisme » à la fac ou en prétendant que « l’écriture inclusive est une obligation à Sciences Po ».
Ça passe par écouter les jeunes, écouter celles et ceux qui les représentent, plutôt que de lancer un défi à deux influenceurs pères de famille ironisant sur la fois où ils ont zappé le test Covid sans pour autant tuer leur mamie.
Car pour les étudiants et étudiantes, il y a urgence.
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
Je te décite si tu veux, je sais qu'en plus j'arrive largement après la bataille sur ce sujet qui date de février - je l'avais pas vu.
Je réagis en particulier sur ce point parce qu'il m'a fait bondir. Au premier degré, oui c'est vrai que ce n'est pas du tout inédit comme situation. Des
pandémiesépidémies il y en a déjà eu, et plusieurs, et elles n'ont pas toutes été gérées avec autant d'incompétence, loin de là...