Formidable et oppressant, Les Huit Salopards (The Hateful Eight, en version originale) a fait parler de lui avant même d’exister. Et depuis qu’il est en boîte, les informations sur le huitième film de Quentin Tarantino se font de plus en plus parcimonieuses. Mais ça y est, je l’ai vu ! Alors, Les Huit Salopards, donc, est un énorme western.
Le film nous embarque à bord d’une diligence qui glisse dans la tempête de neige, au beau milieu des montagnes du Wyoming. Diligence qui transporte le rustre chasseur de primes John Ruth. Il emmène sa captive, Daisy Domergue, ricanante et insolente, jusqu’à la ville de Red Rock, pour récupérer la prime qui lui est due et veiller à ce qu’elle souffre sur l’échafaud.
Dans la neige qui tourbillonne, un premier voyageur demande à monter dans la diligence, le commandant Warren. Puis encore un autre. Cette équipée improvisée arrive à la « mercerie de Minnie », un refuge au beau milieu de l’étendue glacée. Surprise : la maîtresse des lieux n’est pas là ; en revanche, d’autres voyageurs se réchauffent au coin du feu. Tous ces personnages se retrouvent coincés dans la mercerie, où le café va tourner au vinaigre…
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Les Huit Salopards, du grand théâtre au cinéma
Dans Les Huit Salopards, tout est magistral, impressionnant. Visuellement, d’abord. Les costumes, les paysages, tout est à la fois précis et immense, vivant, majestueux. Et pour cause : Quentin Tarantino a fait restaurer des objectifs pour filmer en Ultra Panavision 70, un format d’image très rare, utilisé pour la première fois dans les années 1960, pour quelques films. Les plans sont tournés au format panoramique, ce qui donne des images très longues dans lesquelles toi, petit•e spectateur•trice, te sens pleinement plongé•e. Il faut le dire clairement, c’est beau.
Les Huit Salopards a été lu sur scène par les acteurs avant réalisation, sans doute parce que Quentin Tarantino l’a pensé comme une pièce de théâtre. La projection est prévue avec un levé de rideau, pour les cinémas qui en sont dotés. Le film s’ouvre sur une introduction à l’ancienne, dix minutes pendant lesquelles la musique fait rage sur un graphisme de montagne immobile. Dix longues minutes pendant lesquelles je ne me suis pas ennuyée une seconde, tant le son prend à la gorge et immerge dans l’ambiance pesante de l’histoire. À l’image d’une pièce de théâtre, Les Huit Salopards est scindé en deux actes, séparés par une entracte lors de laquelle le public peut aller et venir. Qui d’autre oserait faire ça, franchement ?
Comme toujours dans le cinéma de Quentin Tarantino, la bande-son est incroyable. D’abord parce que les compositions originales sont signées Ennio Morricone, l’homme derrière la musique des westerns légendaires de Sergio Leone, Le Bon, la Brute et le Truand ou Il était une fois dans l’Ouest, pour ne citer qu’eux. Ensuite parce que le film est parsemé de morceaux rock et pop, que le cinéaste sait remettre au goût du jour comme personne. (Si toi aussi tu as acheté l’intégrale de Nancy Sinatra après avoir regardé Kill Bill, tu sais de quoi je parle !)
Tarantino fait du Tarantino (et ça marche)
La force des Huit Salopards, à mes yeux et comme souvent chez Tarantino, c’est bien évidemment son scénario. Je ne t’en dirais pas plus afin de ne pas dénaturer l’intrigue, mais si elle n’est pas aussi complexe que dans Pulp Fiction, l’écriture est en tout cas surprenante et suffisamment fine pour qu’on la suive sans sourciller.
Autre gimmick tarantinesque : le réalisateur a fait appel à une brochette d’acteurs avec laquelle il a l’habitude de travailler, acteurs tous plus magnétiques les uns que les autres, qui donnent du corps et de la chair (qui ne restera pas longtemps fraîche) à leurs rôles.
Samuel L. Jackson, bien sûr, est le Major Marquis Warren, devenu chasseur de primes après la guerre de Sécession, Kurt Russell
(le conducteur fou de Boulevard de la Mort) est John Ruth, le chasseur de primes au sale caractère qui ne tue jamais ses proies, Walter Goggins (Billy Crash de Django Unchained) incarne le petit bleu, shérif raciste et cupide, Tim Roth (le M.Orange de Reservoir Dog) se présente comme le bourreau, Michael Madsen (le bête et méchant Budd de Kill Bill) est un vacher ténébreux plutôt obscur, et Bruce Dern (vu dans Django Unchained) est le Général Sandy Smithers, un ancien de la guerre de Sécession.
À cette équipée s’ajoutent aussi Demian Bichir et Jennifer Jason Leigh. Tous les membres de ce casting sont des héros de Tarantino : de vrais méchants à la psychologie complexe, bien plus noirs que blancs, mais auxquels on s’attache quand même. Parce qu’ils sont si méchants qu’ils nous fascinent, et parce qu’ils gagnent en profondeur au fur et à mesure que leurs histoires personnelles sont révélées.
Seule déception : si les personnages féminins sont tous campés par des actrices charismatiques (Zoe Bell en tête) et qu’il ne faut que quelques secondes pour percevoir leur personnalité, ils servent de faire-valoir à un scénario dans lequel les protagonistes les plus actifs sont masculins. Alors oui, on est dans les codes d’un western, mais Quentin Tarantino nous a tellement habitué à des personnages de femmes badass que j’aurais aimé qu’elles ne fassent pas qu’être, mais qu’elles agissent comme les nanas fortes qu’elles sont…
Les Huit Salopards : entre thriller et jeu de massacre
Les Huit Salopards donc, est une histoire en deux parties. On suit d’abord la route qui va mener les protagonistes jusqu’à l’auberge de Minnie, et leurs différentes interactions verbales lorsqu’ils commencent à se confronter les uns aux autres. Soyons honnêtes, il y a quelques longueurs dans ce premier acte : les conversations et provocations, tout aussi Tarantino Style qu’elles soient, semblent parfois interminables. L’ambiance est pesante. Jusqu’à l’élément déclencheur.
Les Huit Salopards fonctionne comme un jeu de massacre accéléré en espace clos, qui rappelle la scène de théâtre donc, mais surtout d’autres long-métrages du même réalisateur, comme Reservoir Dogs, ou plus récemment Django Unchained. J’insiste sur cette comparaison : la violence est beaucoup moins imagée qu’elle ne peut l’être par exemple dans Kill Bill, ce qui créée une accumulation de scènes assez dures. Âmes sensibles s’abstenir sérieusement, ça ne ressemble pas à de la sauce tomate à tous les coups, et l’empilement des violences peut s’avérer dur à supporter.
Pour autant, attention, on n’est pas dans une bagarre qui tourne mal, mais plutôt dans un jeu de Cluedo sanglant, comme si Agatha Christie avait fait dans le film de cow-boy gore. Dans Les Huit Salopards, personne n’est vraiment ce qu’il ou elle a prétendu être au premier abord. Les alliances se créent et se défont au fur et à mesure que les personnages se révèlent. Et c’est ce qui fait que, malgré tout, on tient en haleine : parce qu’on veut finir de soulever les couches de l’oignon, quitte à voir toujours plus rouge.
Bref, Les Huit Salopards est un film fastueux et étouffant (dans le bon sens, celui dans lequel il t’agrippe et ne te lâche plus), qui pour tout ça, devrait te plaire si tu es un•e aficionado du cinéma de Tarantino, et te laisser sur le bord de la route enneigée si ce n’est pas ta came. Mais une chose est sûre, Les Huit Salopards est un grand spectacle, qui vaut la peine d’être vu.
Les Commentaires
J'ai retrouvé tout ce que j'aime chez Tarantino, avec en plus ce côté "cluedo".