Mise à jour du 25 mai 2021
C’est une grande nouvelle que nous sommes heureuses de partager avec vous : les femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles ont remporté la victoire !
Nous avons pu contacter Rachel Kéké, figure de proue de la lutte, qui, émue, nous a bien confirmé que toutes leurs revendications avaient été obtenues :
« C’est une belle victoire, nous sommes heureuses de ce qui nous arrive. Nous avons eu un très bon syndicat à nos côtés qui a pu regarder tous les dossiers, tout étudier. »
Nous lui avons demandé comment s’était passée la négociation :
« Tout le monde s’est vite mis d’accord. Au début, ils ne voulaient nous donner que 3,5€ de paniers-repas, mais nous avons pu obtenir 7,3€ ce qui est très bien. Il y a eu des requalifications en CDI, une baisse des cadences de travail, des augmentations de salaire… Tout est là ! »
En effet, les grévistes ont pu obtenir, dans le détail, une augmentation de salaire de 200€ à 500€ par mois, une augmentation de leurs qualifications, une baisse des cadences de travail de 20%, l’annulation des mutations prévues et ainsi que la fin des contrats de 4h.
Rachel Kéké est si joyeuse au téléphone, on ressent son soulagement :
« Cette lutte a été longue, presque deux ans, mais nous avons réussi. Nous n’avons pas baissé les bras pendant tous ces mois, et ça a marché ! »
Elle termine en nous invitant à célébrer cette victoire avec elles, et a des mots touchants à notre encontre :
« Merci de votre soutien, c’est grâce à vous aussi que nous avons pu être entendues. »
Autant vous dire qu’on va fêter ça, et proprement !
Mise à jour du 6 janvier 2021
Les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles ont saisi les Prud’Hommes une nouvelle fois le 16 décembre dernier, après plus de 17 mois de grève.
Elles réclament toujours leur embauche par le groupe Accor, la baisse de leurs cadences de travail et l’augmentation de leurs qualifications et salaires. Mais à cela s’ajoutent également d’autres revendications, partagées dans un communiqué de presse.
En effet, le but de cette action en justice est également de faire reconnaitre le caractère discriminatoire de la différence de traitement subie par les salariées de la sous-traitance :
« Le travail de « femme de chambre » est de facto vu comme un travail féminin au même titre que les tâches ménagères, gratuites depuis des siècles. Le recrutement dans les sociétés de nettoyage se fait par bouche à oreilles et la cooptation. Une grande partie des salariées ne savent ni lire ni écrire et parlent mal le français. Les femmes de chambre sont toutes originaires d’Afrique subsaharienne. ACCOR a mis en place un système opaque et complexe pour disposer d’une main-d’œuvre ultra flexible et corvéable sur laquelle une pression constante est exercée. »
À ce jour, le syndicat en charge du dépôt de plainte n’a pas eu de retour. Nous continuerons à suivre l’affaire pour vous tenir au courant.
Mise à jour du 29 juillet 2020 : La lutte se poursuit en musique ! Un appel au don a été lancé pour aider les grévistes à financer le clip de leur hymne «Frotter, frotter, il faut payer !» Un appel au financement participatif a été lancé sur la plateforme Kickstarter !
Mise à jour du 27 juillet 2020 : d’après un communiqué diffusé par la CGT-HPE de l’hôtel Ibis Batignolles, le conseil des Prud’hommes de Paris a rendu sa décision le 24 juillet dernier. Ce dernier a décidé de débouter intégralement les 17 femmes de chambre, les 2 gouvernantes et leur collègue équipier. Elles ont décidé de faire appel dès la notification du jugement, et continuent leur lutte.
Article publié initialement le 23 juillet 2020
Depuis le 17 juillet 2019, les femmes de chambre et les gouvernantes de l’hôtel Ibis des Batignolles, situé à Porte de Clichy à Paris, sont en grève pour dénoncer leurs conditions de travail. Une vingtaine de travailleuses dénoncent des cadences infernales et réclament des augmentations de salaire.
Le combat de ces femmes, dont l’existence médiatique était jusqu’ici muette et invisible, devrait être connu, tout autant que bon nombre de luttes féministes. Mais pourquoi en parle-t-on si peu ?
Comment se fait-il que cette grève, à la durée importante, ne soit pas plus relayée et traitée ? Comment pouvons-nous passer à côté ? Qu’est-ce que ce manque d’intérêt révèle de nous-mêmes, femmes féministes ? Pourquoi ne partageons-nous pas plus ce combat comme il se devrait ?
Pourquoi les employées de l’hôtel Ibis des Batignolles sont-elles en grève ?
Voici ce qui se passe concrètement depuis un an : une vingtaine de manifestantes, toutes de nationalité étrangère et occupant des emplois précaires, réclament des conditions de travail décentes et l’assouplissement de la cadence infernale que leur demandent ceux qui sous-traitent leur emploi.
Car l’hôtel des Batignolles ne les emploie pas officiellement : c’est une entreprise de sous-traitance qui les embauche. Elles demandent à intégrer les effectifs officiels de l’hôtel, et à ne plus subir de traitement différencié.
Rachel Kéké, gouvernante à l’hôtel Ibis des Batignolles, a accepté de répondre à quelques-unes des nos questions, et a fait un point sur la situation actuelle de ces femmes grévistes :
« Pour l’instant, avec la crise sanitaire, l’hôtel est encore fermé et nous sommes au chômage partiel. Mais dès qu’il rouvrira ses portes, nous y serons avec le piquet de grève.
Avant le confinement, la direction devait organiser des négociations. Mais ils ont profité de cette période pour annuler, sans donner de date de report.
Pourtant, nous serons toujours là, le temps qu’il faudra. Nous avons été en grève en pleine canicule, dans le froid cet hiver, nous n’arrêterons pas. Même si on voit bien que les gens s’en fichent si on en crève. »
Les revendications de Rachel et des autres grévistes n’ont pas changé. La gouvernante demande, pour elle et pour toutes celles qui travaillent avec une entreprise de sous-traitance, d’être payée à l’heure, et pas au nombre de chambres nettoyées comme c’est le cas présentement. Elle souhaite que la cadence soit abaissée à trois chambres par heure, contre trois et demi actuellement.
Elle avait déclaré également au Nouvel Obs que le rythme de travail imposé par la direction était bien trop soutenu, et qu’elle et ses collègues étaient à bout. Elles n’en peuvent plus.
« Le matin, on est stressées : qu’est-ce qu’on va trouver ? Dans quel état vont être les chambres ? Il arrive que 100 clients partent le même jour. Le soir, on est épuisées, on n’a pas la force de faire à manger pour les enfants quand on rentre chez nous. »
Olga Mansang Muhong, femme de chambre à l’hôtel Ibis des Batignolles, avait également déclaré au Nouvel Obs :
« Même si tu as un contrat de cinq heures, on ne le respecte pas et on te demande de faire plus de chambres. Je dois faire 18 chambres. Si j’en fais plus, les heures supplémentaires ne sont pas payées. »
La responsable syndicale Tiziri Kandi avait expliqué aux Inrocks :
« Le travail de nettoyage est très majoritairement fait par des femmes racisées, et elles ont souvent des problématiques administratives (difficultés à obtenir des titres de séjour, etc.), ou sont des mères isolées. Les employeurs jouent là-dessus pour maintenir les salariées dans des situations de précarité. »
Outre les conditions de travail déplorables dans lesquelles ces employées évoluent tous les jours, un nouvel élément a surgi : une femme de chambre, aujourd’hui en arrêt maladie, a porté plainte pour agression sexuelle en 2017 contre l’ancien directeur de l’hôtel. Ce dernier, mis en examen et niant les faits, ne fait désormais plus partie du groupe Accor, qui possède, entre autres, les hôtels Ibis.
Fin juillet 2020, le conseil des Prud’hommes devra se prononcer sur le marchandage et le prêt illicite de main-d’œuvre, dont les manifestantes accusent l’hôtel Ibis.
« Je pense que le jugement va être en notre faveur, j’ai confiance », affirme Rachel Kéké. « Nous avons un bon syndicat qui nous soutient, nous ne sommes pas les premières à dénoncer ce genre de comportements au travail. S’il n’y a pas de magouilles qui sont faites, nous devrions avoir gain de cause. »
Un pot commun a été mis en place, afin d’aider les grévistes dans leur combat. Vous pourrez également y retrouver la liste complète de leurs revendications.
Le combat des employées de l’hôtel Ibis des Batignolles n’est clairement pas assez relayé, alors qu’il est un symbole de l’exploitation du personnel de nettoyage dans la sous-traitance en France.
Pourquoi ne parle-t-on pas autant des luttes des femmes racisées ?
Je n’accuse aucun média de ne pas avoir assez relayé l’info. Nous-mêmes, chez Rockie, nous n’en parlons qu’aujourd’hui, un an après le début de cette grève, et le pire c’est que je ne peux même pas vous dire exactement pourquoi nous ne l’avons pas évoquée plus tôt.
Il est vrai qu’on ne peut pas être partout, en tant que petit média. On ne parle pas de tout, que ce soit par manque de temps, de moyens, par épuisement militant…
Le fait que cette lutte ait lieu à Paris me fait dire que si le mouvement avait été national, l’attention aurait été peut-être plus grande ? Mais il n’y a pas que cela, soyons honnêtes.
La lutte de l’hôtel Ibis des Batignolles est un symbole de la représentation des femmes racisées dans le marché du travail, et dans la lutte féministe en général.
J’ai demandé à Rachel Kéké ce qu’elle pensait du traitement de sa lutte par les mouvements féministes.
« On ne parle pas assez des conditions de travail des femmes racisées, surtout les plus précaires. Je me tourne vers les mouvements féministes pour parler de notre lutte, parce que sinon personne ne parle de notre cas.
On ne parle pas assez de la lutte des femmes racisées, et de la nôtre notamment. Ce combat devrait concerner toutes les femmes, nous avons besoin d’être protégées, tout particulièrement dans ces emplois de sous-traitance où certaines femmes ne savent souvent pas lire, et ont encore moins conscience de leurs droits.
Nous travaillons dans la misère, et nous vivons dans la misère aussi. Les femmes ne méritent pas ça, elles portent beaucoup trop sur leurs épaules.
Les féministes devraient défendre toutes les femmes, peu importe leur couleur de peau. Toute femme mérite d’être défendue. »
En novembre dernier, Les Glorieuses avaient tenu une conférence de presse intitulée Les femmes racisées, les femmes blanches et l’égalité salariale. Elle portait sur les différences salariales qui peuvent exister entre les femmes blanches et les femmes racisées.
En prenant exemple sur les États-Unis, où les femmes noires gagnent 21% de moins que les femmes blanches, les intervenantes avaient voulu pointer le fait qu’une telle inégalité existe en France — même s’il n’existe pas de chiffres officiels à ce sujet, les statistiques relatives à « l’origine ethnique ou la race » étant très encadrées. Mais ne nous leurrons pas : la réalité est similaire.
Afin de vulgariser ces chiffres : chaque année, les femmes sont invitées à arrêter de travailler au mois de novembre, pour montrer les inégalités salariales. Dans la même logique, les femmes racisées, elles, devraient s’arrêter de travailler… au mois de juin. Un constat édifiant.
La lutte féministe doit inclure toutes les femmes
Comme le disait Carmen Diop, sociologue travaillant sur les questions de genre dans le milieu du travail, dans un entretien accordé à Rebecca Amsellem des Glorieuses au sujet de la question des femmes noires dans le monde du travail :
« Quand j’ai commencé à travailler sur ces questions, mes amies blanches disaient qu’il n’y avait pas de problème particulier pour des femmes racisées.
Elles étaient conscientes des discriminations liées à l’âge, au handicap, au niveau de qualification. En revanche, elles avaient cette espèce de voile qui les empêche de voir le racisme. C’est pour cela que les personnes qui mentionnent ces sujets sont qualifiées de « paranoïaques » ou encore d’ « hypersensibles ».
Or, on ne peut pas entendre ou comprendre la question des inégalités salariales sans prendre en compte la question des discriminations raciales. La condition des femmes blanches n’est pas représentative de toutes les femmes. »
Le problème est là : la lutte féministe doit parler à toutes les femmes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ce combat doit inclure tout le monde, il ne doit pas être un combat de blanches qui parlent aux blanches. Nous devons remettre en question notre prisme du féminisme, et nous demander sincèrement pourquoi nous ne parlons pas tout autant de ces sujets.
Aujourd’hui, j’ai pris l’exemple de la lutte des employées de l’hôtel Ibis des Batignolles, mais comme je vous le disais plus haut, elles ne sont qu’une porte d’entrée, qu’une ouverture de toutes ces luttes qui existent, de mise en lumière de ces femmes qui se battent pour leurs conditions salariales, contre la précarité pour certaines, pour l’accessibilité d’un emploi équivalent à leur niveau d’études pour d’autres.
Nous nous battons toutes dans la même cour, mais pourtant nous n’avons pas les mêmes chances, même dans la lutte.
Nous devrions changer notre prisme, nous devrions lever le voile et nous remettre en question. Le mouvement Black Lives Matter l’a prouvé, par différents niveaux : nous découvrons chaque jour une violence que nous, femmes blanches, ne connaissions pas ou ignorions, inconsciemment ou non.
Nous ne pouvons plus ignorer leur lutte, nous ne pouvons plus ne voir qu’une partie des faits tout en excluant une autre.
Comment soutenir les femmes racisées
Ce que je ne souhaite pas, c’est que cet article soit perçu comme une tentative de culpabilisation. Ce n’est pas mon intention. J’aimerais simplement, pour celles pour qui ce n’est pas encore le cas, que nous prenions conscience des combats menés par les femmes racisées, et que nous arrêtions de les exclure du mouvement féministe, involontairement ou non.
Pour ce faire, il existe des ressources. Par exemple, vous pouvez si vous en avez les capacités financières, contribuer au Pot Commun mis en place pour aider les femmes de chambre et les gouvernantes qui luttent toujours devant l’hôtel Ibis des Batignolles, et qui seront de retour avec leur piquet de grève dès que l’établissement sera de nouveau ouvert.
Vous pouvez aussi donner de la visibilité aux entrepreneurs et entrepreneuses noires en soutenant leurs activités, dont les noms sont recensés et mis en avant grâce au compte Instagram Black Owned Business.
Si vous avez des enfants, vous pouvez les sensibiliser dès le plus jeune âge à la question du racisme, à l’aide de livres qui choisissent les bons mots pour expliquer un concept qu’ils découvriront malheureusement très tôt dans la cour d’école.
Vous pouvez également lire le livre de bell hooks Ne suis-je pas une femme, qui décrit les processus de marginalisation des femmes noires, et met en critique les féminismes blancs et leur difficulté à prendre en compte les oppressions croisées, ou Sister Outsider d’Audre Lorde, poétesse lesbienne noire et féministe, qui écrit dans ses essais des discours sur le sexisme, le racisme, l’âgisme, l’homophobie et la classe, et propose la différence sociale comme un vecteur d’action et de changement.
Je vous conseille aussi Afrofem de Mwasi, le collectif afroféministe, qui combat la négrophobie, l’impérialisme, l’hétéro-patriarcat et le capitalisme, une contribution afroféministe à la libération noire et panafricaine.
Rachel Kéké, quant à elle, nous demande de venir soutenir les grévistes, pour celles qui le peuvent, dès que l’hôtel ouvrira ses portes. Personnellement, j’y serai, pancarte à la main.
Si vous avez d’autres moyens d’actions ou d’autres lectures à proposer, n’hésitez pas à les partager en commentaires !
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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