« Là où certains retailers vont proposer une chemise Dior à 400 ou 500 €, je suis capable de proposer la même à 45 €. Mon but, c’est de rendre le luxe le plus abordable possible, avec des prix de 25 à 120 € maximum », résume Alexandre, qui a co-fondé les friperies Tucked (80 rue Claude Decaen) et Untucked (10 rue Tourneux) à Paris 12e, avec son mari Geoffrey (créateur de mode derrière la plupart des looks de la drag queen Piche).
Le premier chine à travers toute la France tandis que le second restaure ou upcycle certains trésors afin de les proposer dans l’une de leurs deux adresses. Untucked (ouvert en août 2020) propose ainsi des pièces de luxe ou semi-luxe de seconde main de 25 à 95 €, et Tucked (ouvert en mars 2022) de 45 à 120 €, ainsi que du vintage de 12 à 18 €.
Deux adresses à la sélection variée (sans rayon genrée), toujours en très bon état, et à des prix fixes anormalement accessibles pour ce degré de qualité. C’est bien ça tout le combat d’Alex. Après six ans en tant que prof d’anglais et deux ans de stand-up, il se consacre à la seconde main depuis bientôt quatre ans. Interview du fripier le plus cool de Paris.
Madmoizelle. Après l’enseignement et le stand-up, qu’est-ce qui t’a donné envie de lancer une friperie ?
Alex. Comme beaucoup de gens, la période du Covid m’a amené à une profonde introspection. Je me suis demandé pour quoi je serai capable de me lever à 5h du matin. Et j’avais la réponse sous les yeux depuis 25 ans : chiner. J’adore ça depuis tout petit, pour moi comme pour mes ami·e·s. Alors j’ai décidé de mettre toutes mes économies dans ce projet. J’ai d’abord testé les eaux en créant un showroom chez moi où les gens pouvaient venir essayer et acheter. Ça m’a conforté dans l’idée que ma sélection plait, alors je me suis lancé dans l’ouverture d’une première boutique.
J’y ai mis toutes mes économies (environ 9000 €) pour trouver une boutique, payer le loyer et sa caution. On s’est retrouvé dans le 12e arrondissement, dans un quartier pas ouf, mais accessible. Après Untucked ouvert à l’été 2020, on a rapidement ouvert une deuxième adresse, Tucked en mars 2022. La première boutique a récemment déménagé pour un espace plus grand, plus luxe, mais toujours dans le même coin, si bien que les deux magasins sont à quelques minutes à pied l’un de l’autre.
Qu’est-ce qui te plait tant dans le fait de chiner, au point d’en faire ta profession ?
C’est comme une chasse aux trésors. J’ai tout le temps l’impression d’être Indiana Jones : trouver les plus belles pièces, au prix le plus bas possible. C’est un vrai métier. J’ai aidé ma nièce Élodie à se professionnaliser là-dessus aussi, et depuis qu’elle travaille avec nous, on a encore augmenté notre degré d’exigence, car je veux la rendre fière à chaque sélection. On se tire mutuellement vers le haut, sans pour autant augmenter les prix. C’est donc aussi une affaire de famille, d’amour. D’ailleurs, j’ai commencé à chiner et négocier vers 6 ans, sur les conseils de ma mère. J’aidais même un voisin pour des vide-greniers à cet âge-là. Donc j’ai commencé très tôt à chiner, négocier et vendre. Aujourd’hui, je travaille trois fois plus que quand j’étais prof, mais j’adore tellement ce métier !
Quelles sont les qualités qui font un bon fripier ?
Le métier de fripier nécessite beaucoup plus de compétences qu’on ne l’imagine : en plus d’être très physique, de beaucoup se déplacer aux aurores, il faut aussi avoir une bonne culture en mode, en qualité textile, maîtriser le merchandising et l’acting. Car négocier, c’est d’abord un travail d’acteur, ce qui exige aussi une grande finesse psychologique. Mieux on négocie, plus on peut proposer des pièces au meilleur prix dans nos friperies.
En quoi être avec un créateur de mode comme Geoffrey, en tant que partenaire de vie et d’affaires, est aussi un avantage ?
On était déjà ensemble avant que je ne veuille ouvrir de friperies. Ce n’est pas lui qui m’a donné l’impulsion, car c’est quelqu’un qui a plutôt peur du risque, mais il a m’a tout de suite soutenu. Il sait tout faire de ses mains, donc il a beaucoup bricolé pour l’ouverture de chaque boutique.
Pour lui, le déclic est venu plus tard. Après un an à m’aider en parallèle de son travail, on a participé à l’événement Fripalooza à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Avec l’équipe de la recyclerie La Pagaille, Samiha Lafif-Hunter de La Friperie du Cinq et nous, on s’est donné le challenge de vendre 10 000 pièces à 8 € chacune. L’ampleur de l’événement a donné envie à Geoffrey de me proposer d’ouvrir une deuxième boutique, où il pourrait notamment proposer ses créations upcyclées. J’ai évidemment dit oui, tout de suite, vu que c’est un couturier talentueux, hyper patient, qui travaille énormément et peut tout retoucher, en plus de proposer ses propres créations upcyclées. Aujourd’hui, on est 6 à travailler dans les 2 boutiques (Geoffrey et moi, ma nièce Elodie, Léa la créatrice de bijoux upcyclés à partir de chaînes de vélos Chain of Fools, le photographe Julien, et Marwa).
La concurrence semble de plus en plus rudes entre friperies, surtout à Paris, et depuis l’avènement des plateformes en ligne de seconde main. Comment le vis-tu ?
Ce qui m’a le plus surpris dans le métier, c’est le manque de solidarité. Tout le monde ou presque se tire dans les pattes. Heureusement, j’ai réussi à me construire un petit réseau où l’on est solidaires entre friperies. MAis je me suis déjà fait cracher dessu spar d’autres à cause de mes prix jugés trop bas sur le luxe. Je me suis aussi fait voler beaucoup d’idées.
Je suis également très étonné par le manque de connaissance et de volonté d’apprentissage de certains fripiers autour des vêtements. Reconnaître une belle composition, une étiquette gage de qualité et d’authenticité, des designers méconnus ou oubliés, ça nécessite un minimum de curiosité. C’est ok de ne pas tout connaître, mais ça l’est moins de ne pas s’y intéresser du tout.
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Comment fais-tu tes sélections de vêtements qui font souvent l’événement sur Instagram tous les samedis, jour d’arrivage en friperie ?
Si je devais définir ma méthode de sélection, je dirais que je m’intéresse surtout à la coupe et aux matières des vêtements. C’est le plus important à mes yeux. Vient ensuite la question de la rareté. C’est pour ça que c’est intéressant d’être curieux, de se renseigner, ça permet aussi de sentir ce que les gens veulent, voire voudront bientôt. Je followe énormément de comptes Instagram et Vinted influents, mais aussi d’autres fripes, qui m’aident à sentir ce genre de chose. Je regarde aussi tous les défilés, les tapis rouges, ça aide à flairer ce qui va venir.
Par exemple, une marque comme Plein Sud [fondée en 1984 par Fayçal Amor qui a connu un grand succès jusqu’au début des années 2000] a connu une importante production dans les années 1980-1990, donc on peut facilement en trouver, mais encore faut-il connaître. Ce sont des coupes et des matières semblables à Mugler, mais en bien moins chères, du coup.
Mon sourcing est très varié : je chine environ 20 % en ligne (LeBonCoin et Vinted, principalement), 50 % de vide-greniers, 15 % de porte à porte, 15 % de vide-maisons.
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Outre ce travail de sélection qui cherche à rendre le luxe de seconde main accessible, comment Tucked et Untucked se singularisent des autres friperies ?
On fait tellement attention à l’état de nos pièces : une fois qu’on les a chinées, on les lave et les repasse, évidemment pour les recondtionner, mais ça nous arrive aussi de les repriser, voire les reteindre. D’autres friperies peuvent faire ce travail de reconditionnement, mais elles le font généralement payer très cher (doublant, voire triplant leur prix), ce qui n’est pas notre cas. Chez Tucked et Untucked, nous proposons des prix fixes.
Par exemple, on propose souvent des vestes en cuir, mais avant de les mettre en rayon, on a pris le soin de les nettoyer les hydrater, et parfois les recolorer. Généralement, c’est moi qui m’en occupe, ça demande du temps et beaucoup de soin.
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Ce qui fait la singularité de vos friperies, c’est aussi l’esprit de famille choisie qui y règne : comment faites-vous pour qu’on s’y sente en safe place ?
Dans les boutiques, travaillent ma nièce, mon mari, notre témoin de mariage… C’est vraiment familial. Et tout ce beau monde est queer. On n’a pas choisi ce métier pour devenir riche, mais par passion. Je peux parler de nos pièces pendant des heures, j’adore chiner, et conseiller nos client·e·s, faire des stories pour présenter chaque nouveau drop du samedi. On est aussi très transparent sur notre façon de fixer les prix, nos marges, etc. Forcément, les gens sentent cette sincérité, et reviennent parce qu’on leur inspire confiance.
Récemment, j’ai ouvert la boutique en dehors des horaires habituels exprès pour une personne en pleine transition de genre afin qu’elle puisse y faire du shopping en toute sérénité. Je ne lui ai pas fait payer la privatisation de la boutique et je lui avais même préparé une sélection personnalisée. Car dans l’équipe, on connaît la réalité d’être queer, l’éventuelle précarité, les questions de passing, de dysphorie de genre, et combien les vêtements peuvent nous aider dans tout ça. On ne se revendique pas comme un safe place, mais clairement notre communauté l’affirme à notre place.
Quelles ont été tes pires erreurs de débutant en tant que fripier ?
Quand j’ai commencé, je voulais satisfaire tout le monde, sauf que c’est impossible. C’est dur de plaire aussi bien aux personnes qui cherchent du pas cher et à celles qui veulent du luxe de seconde main. Et ça créait un contraste étrange d’avoir dans la même boutique des pièces à 8 € et du luxe. Donc là, on se concentre sur les segments luxe et semi-luxe, quitte à ne pas plaire à tout le monde. Mon signe astrologique, c’est cancer, donc dès que j’ai tendance à prendre le moindre commentaire négatif hyper personnellement, mais je travaille là-dessus (rires) !
Ma deuxième erreur de débutant a été d’être mal organisé. Mais maintenant, c’est corrigé, tout est classé, je gère mes stocks de manière beaucoup plus efficace.
Ma troisème erreur a été de vouloir tout contrôler. Je n’arrivais pas à déléguer, alors que j’étais pourtant bien entouré. Mais j’ai beaucoup travaillé dessus aussi, et ça va beaucoup mieux, notamment parce que ma nièce fait un travail formidable.
Quel conseil donnerais-tu au Alex qui débute ?
Le meilleur conseil que je peux donner pour débuter en friperie, c’est d’être en accord avec sa sélection. Il a pu m’arriver de chiner des pièces de fast fashion afin de pouvoir proposer des pièces à tout petit prix dans nos adresses, mais j’ai vite arrêter car ça ne me correspondait pas. Même si je peux tomber sur une belle pièce Zara, avec une jolie et coupe et une bonne manière, je n’ai pas envie de la proposer chez Tucked ou Untucked, car je préfère que cette place serve à proposer du vintage de meilleur qualité encore à ce prix là. On n’a pas besoin d’aller en fripe pour trouver du Zara à petit prix, et ce n’est pas ce que je souhaite encourager. Mon travail, c’est de chiner du rare et très bien fait.
- Friperie Untucked : 10, rue Tourneux, 75012 Paris.
- Friperie Tucked : 80 rue Claude Decaen, 75012 Paris.
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