Cet été, une vidéo de roller a fait le tour du Web. D’abord publiée sur TikTok, elle a ensuite été diffusée sur d’autres réseaux sociaux.
On y voit une jeune femme en train de rider quad dans un skatepark. On entend alors la voix d’un homme, qui tente de l’aborder. Elle récupère très vite son téléphone, rembarre l’inconnu et s’en va.
Certaines réactions à cette publication ont été plutôt virulentes : de nombreux commentaires insultent la rideuse, critiquent son comportement, lui reprochent d’être méchante, trop froide…
Cette jeune femme, c’est Lisa-Marie. Elle s’est mise au roller quad en décembre 2020, et documente sa progression sur Instagram et TikTok. Sa publication, mais aussi les réactions qui l’ont suivie, m’ont amenée à me poser une question : les femmes sont-elles les bienvenues au skatepark ?
Pour le savoir, je suis allée discuter avec la principale intéressée.
Du harcèlement en skatepark ?
Lisa-Marie me raconte son état d’esprit au moment où la vidéo a été enregistrée.
« J’étais énervée. C’était un skatepark clos, et le mec est tout de suite venu vers moi. Il n’avait rien pour rider, il est clairement venu pour me draguer. Ça m’a énervée, et j’ai eu envie de faire passer un message.
Les gens ont cru que je le faisais passer pour un agresseur, un harceleur, je voulais juste montrer qu’on n’est pas toujours disponible pour discuter. »
En réalité, cette expérience n’est pas représentative de ce que Lisa-Marie vit au quotidien en skatepark. Il lui arrive même d’y aller toute seule, et elle se sent généralement la bienvenue ! La première fois qu’elle a roulé sur une rampe, un inconnu est venu l’aider en lui prenant la main — une expérience qu’elle a également filmée et publiée.
« Ce moment, c’était une super rencontre de skatepark, comme il y en a beaucoup. C’est hyper courant, on s’entraide, surtout entre personnes qui pratiquent le roller. Ceux qui me posent problème c’est les mecs solo et les gamins qui sont pénibles. Sinon c’est une communauté incroyable, il y a beaucoup de gens bienveillants. »
Les femmes encore rares dans les skateparks
Malgré cette chouette ambiance, les femmes restent rares dans les skateparks — il suffit d’en visiter un en pleine heure de pointe pour constater que les hommes y sont largement majoritaires. Selon une enquête de l’UNICEF datant de 2018, la place des filles est plus légitimée « dans les espaces scolaires et domestiques », que dans les endroits liés au sport, comme les skateparks.
Modiie pratique le roller quad depuis quatre ans. Il lui aura fallu deux ans pour oser se lancer en skatepark, avec des membres de son équipe de roller derby. Selon cette streameuse qui enseigne aussi la sociologie à l’université Lyon 2, le problème est global.
« Dans les pratiques des usages des espaces publics, on voit très bien que les femmes vont d’un point A à un point B, sauf si elles attendent quelqu’un. Et même dans ce cas-là elles marchent, elles font des cercles… tout le temps tu es en mouvement parce que sinon tu as le risque d’être abordée, tu as peur pour ta sécurité. Souvent on met nos écouteurs mais même là, il y a des gens que tu ne connais pas qui viennent t’aborder.
Et quand tu fais du sport c’est encore plus frustrant parce que tu as juste envie de faire ton sport, le cadre ne s’y prête pas du tout. »
Des skateuses, par exemple, on en croise de temps en temps, qui se déplacent dans la rue. Mais en skatepark, elles restent relativement minoritaires.
Sophie pratique le skateboard depuis l’enfance, mais elle n’a jamais eu envie d’aller en skatepark toute seule. Elle préfère toujours être accompagnée d’une bande de copines. Alors en 2014, elle a créé l’association Realaxe, qui propose aux femmes des sorties en groupe et même des cours de skateboard 100% féminins.
« Avec tout ce que j’ai fait, aujourd’hui je suis un peu moins timide, mais toujours pas 100% à l’aise. Aller à un endroit en skate ça ne me dérange pas, mais je n’irais pas toute seule au skatepark.
C’est un état d’esprit, mon copain y va parfois tout seul, parce que sinon il trouve qu’il ne pratique pas assez. »
Selon Sophie, cet état d’esprit peut malheureusement freiner l’évolution des rideuses. Comme elles attendent que leurs amis et amies soient disponibles pour aller en skatepark, elles skatent moins souvent et donc apprennent moins vite…
Pourtant, le climat d’entraide qui règne dans les skateparks semble aussi concerner les femmes — c’est en tout cas l’avis de Sophie.
« Moi au départ c’est pour ça que j’aime le skate : l’entraide, l’amitié, la bienveillance, c’est l’essence même de ce sport. Quand tu vois une personne qui s’acharne sur un trick et qui n’y arrive pas, il y a toujours quelqu’un qui va venir l’aider, la conseiller. »
Comment ouvrir les portes des skateparks aux femmes ?
Lisa-Marie, Sophie et Modiie considèrent toutes les trois que les femmes sont en réalité les bienvenues au skatepark ; lorsqu’elles ont eu des problèmes avec des hommes, c’était surtout avec des personnes qui ne venaient pas pour pratiquer. Mais alors, que peut-on faire pour que les femmes se sentent à l’aise ?
Selon Sophie, une partie du problème vient de l’éducation.
« Dans l’inconscient collectif, le skate c’est pas fait pour les filles. Je bosse dans un magasin de skateboards, et il y a deux jours, un papa est venu acheter un skate pour sa petite fille. Il m’a dit qu’elle était garçon manqué… moi j’ai un peu de mal avec ce discours ! »
Même son de cloche du côté de Modiie, qui se base sur ses propres observations en skatepark.
« Parce qu’on n’a pas de représentation de femmes qui font du skatepark, les parents se disent que c’est pas un truc pour leur petite fille. Elle va se salir, se blesser… ça joue beaucoup sur ce qu’on va laisser les jeunes faire ou pas. »
Au moment où nous avons cette discussion, nous sommes assises sur un banc dans un parc de Lyon. Devant nous, une petite fille passe à toute vitesse en roller inline, avec une maîtrise qui nous impressionne.
D’après Modiie, les représentations sont en train d’évoluer, notamment grâce aux réseaux sociaux comme Instagram mais aussi TikTok, plébiscité par les plus jeunes générations. Elle cite BarbiePatin ou encore Bomba Hache.
Lisa-Marie a aussi ses idoles du roller quad : Thaïs on wheels, Zelina on wheels et Bedscenes. Sur la Toile, Paige Tobin, six ans, épate les internautes avec ses performances en skateboard. L’occasion de montrer aux petites filles mais aussi aux parents que la glisse est pour tout le monde.
Au niveau local, Sophie suggère des créneaux réservés aux femmes dans les skateparks, afin de leur donner envie de se lancer. Selon Lisa-Marie, il est important que le niveau de difficulté soit bien indiqué : certaines infrastructures sont remplies d’enfants en trottinette qui peuvent se révéler dangereux, surtout pour les débutants et débutantes.
Et puis il y a les installations qui peuvent sembler accessoires, mais qui sont indispensables pour les femmes, comme le souligne Modiie :
« Il faudrait des toilettes à côté des skateparks. Moi j’aimerais bien rider quand j’ai mes règles sans avoir à tout planifier ! »
Sur le bitume comme sur le Web, plus de représentation de femmes pratiquant en skatepark pourra en encourager d’autres à se lancer. Et pour celles qui hésitent encore, des communautés comme Realaxe pour le skateboard ou CIB France pour le roller pourront permettre de trouver de potentielles potes de glisse !
Crédits photos de Une : Eleanor Jenkins
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Les Commentaires
J'arrive mieux à gérer le pumptrack où il y a un seul sens de rotation et rarement plus de 2 personnes dessus que le skate park où ça part dans tous les sens!