3,7%. C’est le pourcentage de femmes noires parmi les personnages principaux des 100 films américains les plus rentables de cette dernière décennie. C’est peu, n’est-ce pas ? Et pourtant, c’est un peu mieux qu’avant.
Ce chiffre ouvre l’étude publiée au printemps par le Geena Davis Institute, organisme de recherches fondé par l’actrice elle-même : dans Représentation des femmes noires à Hollywood, des chercheuses se sont penchées sur la place des femmes noires aujourd’hui au cinéma et dans les séries.
« La plupart des recherches existantes sur la race et le genre dans les médias de divertissement analysent les représentations des femmes et des personnes noires comme deux groupes distincts, mais on en sait moins sur les représentations des filles et femmes noires à Hollywood. »
L’idée de ce rapport n’est pas seulement de compter le nombre de personnages de femmes noires, mais aussi de comprendre comment sont construites ces représentations et l’impact qu’elles peuvent avoir sur le public : qui sont ces personnages ? à quoi ressemblent-ils ? sont-ils en couple ? ont-ils un métier ? suscitent-ils de l’empathie, du désir, du rejet ?
Ce fameux rapport ne s’attaque qu’aux productions américaines de la décennie précédente, mais on est bien d’accord qu’il serait très utile aussi de mesurer de ce côté-ci de l’Atlantique comment les rôles de femmes noires sont construits en 2021.
Trois archétypes racistes et sexistes : la Sapphire, la Mammy et la Jezebel
L’étude du Geena Davis Institute rappelle qu’historiquement, la représentation des femmes noires au cinéma hollywoodien se base sur trois grandes figures, chacune empreinte de beaucoup de stéréotypes, forgées par une imagerie raciste issue de l’esclavage.
Il y a d’abord la Sapphire : c’est un personnage de femme présentée comme forte, masculine et agressive. Aujourd’hui, on retrouve ce stéréotype aussi raciste que sexiste à travers un autre cliché, celui de l’angry black woman, la femme noire en colère, perpétuellement énervée, irrationnelle, bruyante, toujours sur le point de s’en prendre à quelqu’un.
L’un et l’autre constituent des biais racistes pernicieux qui ont encore des conséquences sur les femmes noires aujourd’hui. « Quand les femmes noires se mettent en colère, il est facile de les écarter comme illégitimes, car leur colère est communément dépeinte comme injustifiée ou incohérente », rappelle l’étude.
Un autre stéréotype la Mammy, qui incarne une figure maternante, au service d’une famille blanche comme nourrice ou servante. Son plus emblématique exemple est celui de Hattie McDaniel dans Autant en emporte le vent, rôle qui lui a valu d’être la première femme afro-américaine à remporter un Oscar en 1939.
La Mammy incarne la passivité, la soumission, est le plus souvent âgée et a la peau foncée ; construite comme son contraire, la Jezebel est une figure hyper sexualisée et déviante, immorale
, visant à susciter le désir. Elle permet de préserver l’image de bienséance et de pureté des femmes blanches.
Si on retrouve moins ces archétypes de façon aussi brute dans les films sortis ces dernières années, certains personnages portent encore des restes de ces représentations racistes et sexistes.
Peu de diversité parmi les femmes noires au cinéma
Selon l’étude, les femmes noires qui ont la peau sombre constituent à peine 20% des personnages principaux de femmes noires. Le divertissement entretient là encore des normes sociales, en privilégiant les femmes ayant la peau claire et en invisibilisant celles qui ont la peau foncée. Cette discrimination porte un nom : le colorisme.
Les cheveux et la façon dont les femmes noires sont coiffées à l’écran sont aussi un enjeu de taille : « Quand les films les plus rentables ont des personnages principaux ou secondaires noirs, ces femmes sont — la plupart du temps — dépeintes avec la peau claire et des coiffures qui reflètent les standards de beauté européens » souligne l’étude. Elles ont donc les cheveux lissés, ou portent des perruques, des extensions…
Les représentations des femmes noires sont aussi assez monolithiques : il y a peu de diversité d’un point de vue intersectionnel au cinéma, déplore l’étude. Où sont les femmes noires en situation de handicap ? Résolument absentes au cinéma comme dans les séries. Les femmes noires LGBTI+ ? Elles aussi sont quasi invisibles.
Quant aux femmes âgées de plus de 50 ans, elles sont peu présentes sur le grand écran, représentant 16% de l’ensemble des femmes noires. Les femmes noires en surpoids, elles, forment 10% des personnages visibles au cinéma, à peine plus dans les séries.
Plus sexualisées, plus réifiées que les femmes blanches ou issues d’une autre ethnie, les femmes noires sont en outre dépeintes comme moins attirantes — « cela renforce un standard de beauté blanc et le stéréotype que les femmes noires sont moins féminines ou désirables selon les normes sociales », selon l’étude.
Que font les personnages joués par les femmes noires, en matière de jobs ? L’étude montre ici de petites avancées : au cinéma, les femmes noires sont davantage montrées dans des professions liées aux sciences et aux technologies, et sont moins présentes dans des activités de service.
Plus présentes, plus diverses, mais il reste des progrès à faire
Certaines améliorations significatives battent en brèche certains stéréotypes, mais quelques clichés persistent. Pour proposer d’autres visions, d’autres récits, d’autres personnages, une seule solution : avoir aux commandes de ces productions des femmes noires, à tous les postes.
Selon Moya Bailey, activiste afro-américaine queer à laquelle on doit le terme « misogynoir » (désignant les oppressions spécifiques que vivent les femmes noires), il faut davantage de féministes noires à Hollywood pour faire évoluer ce qu’il se passe à l’écran. C’est ce qu’elle explique dans un entretien à Bitchmedia :
« Il y a cette vieille idée du test de Bechdel utilisée pour décider s’il y a quelque chose à sauver dans un film : est-ce que deux femmes se parlent à propos de quelque chose d’autre que des hommes ? La barre n’est vraiment pas haute, et les féministes noires pourraient être en position d’élever le niveau.
Un film afroféministe pourrait dire : voilà des personnages de femmes féministes qui ont des relations qui n’ont absolument rien à voir avec les hommes, qui s’intéressent à des questions qui vont bien au-delà de l’amour, qui vivent en dehors d’un modèle de réussite hétéronormatif ou même homonormatif, et qui rayonnent. Les féministes noires à Hollywood créent l’opportunité pour des possibles qui vont au-delà de ce qu’on a accepté comme étant le statu quo. »
Ce sont aussi les mots de l’actrice Viola Davis en 2015 lors de la cérémonie des Emmy Awards, qui pourraient résumer le besoin d’améliorer cette représentation derrière et devant l’écran : « On ne peut pas gagner un Emmy pour des rôles qui n’existent tout simplement pas. » D’où la nécessité d’initier enfin un cercle vertueux.
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Les Commentaires
Le seul qui me vient en tête pour le moment c'est Shadows, de John Cassavetes. C'est un vieux film mais vraiment bien, je le recommande.