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Les fâcheuses questions posées par la campagne Tiffany & Co. avec Beyoncé et Jay-Z

Tiffany & Co. tente de renouveler son image, et frappe fort avec une campagne réunissant les rarissimes Beyoncé et Jay-Z. Mais ça sent le réchauffé, et starifierait un diamant de sang.

La nouvelle avait déjà été annoncée dans l’édition de septembre du prestigieux Harper’s Bazaar américain : Beyoncé Knowles-Carter et son mari Jay-Z deviennent les nouveaux ambassadeurs du grand joaillier Tiffany & Co.

Le 23 août 2021, la marque a dévoilé les premières images de cette campagne About love hors-norme, puisqu’il s’agit de la première fois que le couple accepte un contrat d’une telle ampleur, et d’un geste majeur depuis le rachat de la maison de joaillerie par le groupe de luxe LVMH. 

Une démonstration de pouvoir économique pour LVMH

Mais ce qui s’annonçait révolutionnaire fait déjà grincer des dents à plusieurs égards. D’abord parce que la marque a beau choisir des égéries hors de prix, c’est pour les inclure dans une campagne About love qui peut sentir un peu le réchauffé.

D’un côté, Jay-Z y arbore un smoking somme toute très classique, signé Givenchy par Matthew Williams — marque de LVMH évidemment. C’est d’autant plus logique puisque le groupe de luxe vient d’acheter… 50% des parts d’Armand de Brignac, la marque de champagne du producteur et rappeur.

Le look s’avère à peine twisté de boutons de manchette et d’une broche Tiffany & Co., ainsi qu’une coiffure qui évoque un peu beaucoup l’artiste Jean-Michel Basquiat.

Ce dernier, peintre de l’underground, qui a beaucoup galéré avant d’être adoubé par Andy Warhol et devenir soudainement la coqueluche du milieu de l’art contemporain, voit son nom, son art, et sa signature en forme de petite couronne récupérés à tout va par des marques de mode voulant se donner un genre arty faussement rebelle.

De Eleven Paris aux géants du luxe, tout le monde y va de sa licence Jean-Michel Basquiat pour caler une petite couronne à côté de son propre logo dans l’espoir d’appâter un chaland qui veut montrer qu’il est très culturé.

Mais Tiffany & Co., voulant montrer qu’elle n’est pas comme les autres (stratégie de pick me s’il en est), rend sa campagne plus inédite en utilisant en toile de fond un tableau rarissime de Jean-Michel Basquiat, Equals Pi.

Les magasins deviennent des musées

Créée en 1982, l’œuvre trônait jusqu’alors dans le salon d’une famille de collectionneurs privés, mais pourrait bien prochainement servir de décoration dans la boutique flagship de Tiffany & Co. sur la 5è avenue à New York, une fois sa rénovation terminée en 2022. Car cette teinte de bleu si rare dans l’œuvre globale de Basquiat ressemble énormément à celle qui sert de signature au joaillier new-yorkais.

La coïncidence étant trop belle pour ne pas être soulignée, Equals Pi devrait donc désormais trôner en boutique pour donner aux amateurs d’art l’envie d’y faire un tour.

Et c’est ce qui fait grincer des dents une partie du public, qui ne peut que constater combien la prédiction d’Andy Warhol ne fait que se confirmer avec le temps : les musées deviennent des magasins tandis que les magasins deviennent des musées.

En effet, rien de tel que de remplir des boutiques d’oeuvres d’art, afin de donner envie au public d’y entrer : en faire des espaces de vie, de culture, d’expérience, et non juste des espaces marchands — tandis que les musées galèrent à rentrer dans leurs frais, faute d’aides publiques, et dépendent donc un peu trop de leur boutique de souvenirs, de dons privés, et de mécènes aux affaires plus que douteuses…

La vie et l’œuvre de Jean-Michel Basquiat, sans cesse utilisées par l’industrie de la mode, illustrent particulièrement ce phénomène de récupération commerciale de l’art par un luxe en quête de substance, qui prive les musées publics d’œuvres majeures faute de moyens suffisants.

Ce sont donc des familles richissimes qui peuvent ainsi faire la pluie et le beau temps sur le marché de l’art contemporain, certes, mais aussi sur celui de l’accès à l’art en général. 

Beyoncé au petit-déjeuner

Pour en revenir à cette nouvelle campagne Tiffany & Co., au côté de Jay-Z se tient donc Beyoncé. Sur un cliché de dos, la chanteuse porte une robe Balmain par Olivier Rousteing, dont le design, renforcé par la pose et la coiffure, font évidemment référence à Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany’s.

Et pour les clichés de face, c’est au tour d’une robe Givenchy par Matthew Williams, dont le dessin renvoie également au film culte réalisé par Blake Edwards en 1961.

Au cas où la référence n’aurait toujours pas été comprise, une vidéo où l’on verra Jay-Z filmer Beyoncé en train de chanter Moon River (qu’Audrey Hepburn entonne dans Breakfast at Tiffany’s et qui a obtenu l’Oscar de la meilleure chanson originale), sera prochainement dévoilée. 

Peut-être que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures, mais en tout cas, ce manque de renouvellement fait également grincer des dents.

Diamant de sang sur canapé ?

Enfin, c’est aussi le diamant jaune en lui-même qui enfonce le clou dans les gencives. Porté publiquement par seulement quatre personnes dans l’histoire, dont Audrey Hepburn pendant la promo de Breakfast at Tiffany’s (oui, encore et toujours la même référence) et plus récemment Lady Gaga qui remportait un Oscar en 2019 (pour la meilleure chanson, Shallow dans A Star is Born) en le portant, il a été déminé en 1877 depuis les mines de Kimberley en Afrique du Sud.

Il faisait à l’origine 287.42 carats, avant d’être retaillé en diamant jonquille de 128.54 carats et de rejoindre les collections de Tiffany. Le hic, c’est qu’il s’agit donc très probablement d’un diamant de sang, c’est-à-dire obtenu dans la violence et dont les bénéfices ont contribué à alimenter les nombreuses guerres en Afrique.

Or, Beyoncé s’affirme comme une fervente avocate des identités noires, y compris en Afrique, comme elle l’illustre avec son film Black Is King. Qu’elle pose ainsi avec un si probable diamant sanglant apparaît donc comme dissonant, un manque de cohérence par rapport à son discours habituel.

Pour sa défense, l’artiste a notamment négocié que Tiffany offre 2 millions de dollars pour des bourses et programmes d’apprentissage aux Historically Black Colleges and Universities, soit les universités traditionnellement noires qui sont des institutions d’éducation supérieure aux États-Unis, créées avant 1964 avec pour objectif de servir la communauté afro-américaine. Mais cela n’empêche pas certains militants de s’indigner.

C’est donc un diamant de sang qui fait couler beaucoup trop d’encre dans une campagne censée incarner le renouvellement et pourtant bloquée dans le passé, qui pose la question de l’accès à l’art et de la récupération commerciale des œuvres. Et on n’en est encore qu’aux amuse-gueules du petit-déjeuner chez Tiffany…

À lire aussi : Beyoncé en jambières de cowboy rappelle que le Far West n’était pas aussi blanc qu’on le croit


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

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Avatar de Malhawka Squidfell
25 août 2021 à 15h08
Malhawka Squidfell
@Clematis Oui, je me suis mal exprimée, pardon. Ce que je veux dire, c’est que l’accès public à toutes les œuvres d’art existantes n’est pas un droit, en gros si je décide d’acquérir une œuvre d’art pour chez moi, il ne me semble pas que je sois forcée d’en faire régulièrement exposition au public (si ? Je ne me suis jamais retrouvée dans ce cas de figure mais je ne crois pas que ce soit le cas, si quelqu’un a des connaissances sur l’existence d’une obligation légale d’exposer une collection privée au public, je suis preneuse). Quant aux considérations concernant les riches collectionneurs tirant multiples bénéfices de leurs possessions artistiques, je suis d’accord comme déjà mentionné dans mes précédents messages, je ne m’attachais ici qu’à la notion pure et dure de « ils nous privent d’accès à l’art » que j’ai cru déceler (à tort manifestement) dans l’article.
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