Pour peu que vous soyez une femme et que vous ayez déjà vécu un « événement familial » important comme un mariage, un PACS, un divorce ou la naissance d’un enfant, vous y avez sans doute été confrontée : le sexisme administratif. Si ce dernier n’a pas de définition légale, il est aisément reconnaissable.
C’est quand, par exemple, un agent de la CAF vous attribue sans votre consentement le nom de famille de votre conjoint après le mariage ; quand vous êtes automatiquement reléguée « déclarant numéro 2 » par les impôts alors que c’est vous qui avez le salaire le plus important ; ou encore quand la taxe d’habitation est adressée à « Monsieur » alors que c’est vous la locataire principale… Sans parler des formulaires administratifs qui n’ont toujours pas fait disparaître la case « Mademoiselle » comme le demande la loi depuis… 2012.
Six lectrices ont accepté de nous raconter leurs galères avec les différentes administrations pour faire connaître leurs droits et faire appliquer la loi. Entre exaspération et charge mentale des démarches à effectuer, florilège de ce qui vous attend si vous êtes une femme confrontée à l’administration…
« Fallait pas vous marier »
Ma banque a vu sur ma pièce d’identité que j’étais mariée au moment où j’ai ouvert un compte associatif et s’est permis sans mon autorisation de changer mon nom sur mon compte bancaire personnel ouvert avant mon mariage depuis que j’étais étudiante. Lorsque j’ai demandé le retour de mon nom initial, l’agente (une femme) m’a expliqué que si je ne voulais pas que la Banque Postale change mon nom, il suffisait de ne pas me marier ou de divorcer…
Marine*
« Le nom de l’époux•se n’est qu’un nom d’usage »
Après un PACS, nous décidons de faire une déclaration de revenus commune. Je me suis toujours occupée de la déclaration et c’était mon mail qui était renseigné dans les coordonnées de contact. Aucune ambiguïté possible donc. Mais, systématiquement, c’était son numéro à lui qui figurait en premier et que nous devions utiliser. Et les messages de la direction générale des Finances publiques commençaient systématiquement par « Bonjour Monsieur X ».
Deuxième situation, nouvelle vie, nouveau partenaire. Nous décidons de nous marier. Il n’a jamais été question pour moi d’abandonner mon nom de naissance, d’autant plus que j’ai une vie publique sous ce nom, et que mon futur conjoint ne le demande pas (il est même plutôt demandeur de prendre le mien). Mariage en janvier 2023, déclaration de cette union auprès de la CAF. Je me connecte quelques jours plus tard et je constate que mon nom a été modifié sans me prévenir, sans aucune possibilité de le modifier sur le compte. Message incendiaire via la messagerie rappelant que le changement de nom ne peut se faire qu’à la demande de l’intéressée, et que ma seule identité connue de l’état civil et des administrations est et restera, quelle que soit ma situation maritale actuelle et future, mon nom de naissance. Que le nom de l’époux•se n’est qu’un nom d’usage à condition d’en faire la demande et les démarches afférentes, etc. Pas de réponse, mais quelques jours plus tard, ils avaient remis mon nom.
Charlotte
« La taxe d’habitation était adressée à mon père »
En 2014, je me sépare et trouve un appartement. Comme je suis gérante non salariée, je demande à mon père de co-signer le bail avec moi. Je suis donc locataire principale. Eh bien la 1ère taxe d’habitation est arrivée non pas à l’adresse de l’appartement que j’occupais donc avec mes enfants, mais à son adresse à lui, l’HOMME, qui était même dans un autre département. Merci les impôts.
Déborah
« Seul Monsieur peut réaliser les démarches »
Lorsque nous nous sommes pacsés en 2021, je n’avais plus la main sur notre espace commun CAF pour effectuer les démarches. Lorsque je me connectais, j’avais un message : « seul [nom de mon conjoint] peut réaliser l’ensemble des démarches ».
Sarah
« J’ai vécu des moments complètement absurdes chez le médecin »
Suite à mon mariage, de nombreux organismes (notamment la sécu et ma mutuelle) ont automatiquement changé mon nom de famille et m’ont imposé celui de mon mari (alors que j’ai toujours mon nom de naissance). Ce fut à moi de prouver que je n’avais pas changé de nom (en envoyant l’état civil, copie de livret de famille, etc). Merci la charge mentale et les démarches à faire, c’était ubuesque. Comme ce fut très lent à être pris en charge, j’ai eu des moments complètement absurdes chez le médecin : ma carte vitale n’était plus à mon nom quand il la mettait dans le lecteur, ça causait une confusion énorme. Bref, récemment, j’ai changé de Caisse de sécu et, à nouveau, j’ai reçu un courrier postal avec le nom de mon mari… Six ans après, je me retrouve encore à faire des démarches absurdes.
Sophie
« Une erreur très révélatrice du mode de pensée patriarcal du système bancaire »
Les femmes ont le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari depuis 1965 et pourtant, les banques semblent avoir des difficultés à considérer les femmes indépendantes financièrement !
Alors que j’ai toujours plutôt bien gagné ma vie, et plus que mon mari, j’ai dû me battre à plusieurs reprises pour obtenir mon nom sur le chéquier, sur le compte et non pas un Mr et Mme Prénom Nom du mari ; pour avoir accès à certaines données sur nos crédits, car le logiciel bancaire ne prévoyait l’accès qu’à une seule des deux personnes et que cet accès était mis, par défaut, à mon mari… Et cela m’a toujours profondément agacée !!
Quand nous nous sommes séparés, je me suis dit que je n’aurais plus affaire à ce genre de situations. Mais cela continue !
Mon ex-mari et moi nous entendons suffisamment bien pour conserver un compte joint pour les dépenses liées à nos enfants. Dernièrement, nous avons décidé de changer de banque suite à nos déménagements dans une autre ville. J’ai rouvert un compte personnel dans cette nouvelle banque et à deux, nous avons ouvert un nouveau compte joint.
Lorsque j’ai reçu les chéquiers de cette nouvelle banque, la conseillère m’a prévenue qu’il y avait eu une erreur et que la page de garde du chéquier (c’est-à-dire l’adresse d’envoi du chéquier si on ne va pas le chercher en banque) était à l’adresse de mon ex-mari. Au départ, j’ai pensé qu’il ne s’agissait que du chéquier du compte joint, et je me suis dit qu’après tout, ils avaient choisi son adresse et pas la mienne. Mais non, il s’agissait également du chéquier de mon compte personnel ! Comment est-il possible que l’adresse de mon ex-mari soit reliée à mon compte personnel ?? Apparemment « une erreur des services »… J’étais donc déjà assez remontée contre ma banque.
Je décide de clôturer les anciens comptes, dans le même réseau de banque. J’envoie un mail pour mon compte personnel, et j’explique que nous allons aussi clôturer le compte joint, je demande les démarches à effectuer et j’indique que mon ex transmettra des éléments de son côté.
Le lendemain, je m’aperçois que notre compte joint est à zéro alors qu’il restait un peu d’argent dessus. J’appelle le conseiller qui me dit qu’il a viré le reste de l’argent sur le compte de monsieur « parce que c’est plus simple ». Je m’offusque qu’il ne nous ait pas demandé notre avis, ce qui le fait fortement soupirer et il me répond que je ne vais pas me plaindre alors qu’il est en train de faire les démarches pour clôturer les comptes. Surtout ne pas se plaindre non…
Le jour suivant, mon ex et moi recevons un mail intitulé « clôtures du compte joint et du compte de Mme ». Le conseiller demande dans ce mail « un écrit manuel et non informatique de demande de clôture du compte joint et du compte personnel de Mme avec les numéros de comptes associés signés par vous deux sur le même document ». Je crois rêver !!! Le conseiller sous-entend que pour clôturer mon compte personnel, nous devons signer tous les deux un document !! Comme si je n’avais pas le droit de le clôturer seule. Bien évidemment, il n’y a même pas réfléchi et cela relève plus de la maladresse (enfin de l’erreur professionnelle aussi) que d’une volonté de soumettre financièrement les femmes aux hommes. Mais c’est une erreur très révélatrice du mode de pensée patriarcal du système bancaire ! Question de principe, je n’ai pas laissé passer et le supérieur hiérarchique m’a dit qu’il allait se servir de notre exemple pour mieux former les conseillers bancaires. J’espère que c’est vrai. Mais la route est longue pour obtenir l’égalité dans ce domaine.
Virginie
* Le prénom a été modifié.
Éclairage de Maître Marie Blandin, avocate en droit de la famille au Barreau de Rennes
Madmoizelle : En quoi consiste le sexisme administratif ? Existe-t-il une définition ?
Me Marie Blandin. À ma connaissance, il n’existe pas de définition légale. Je le définis comme une différence de traitement des usagers du fait de leur genre, généralement au détriment des femmes qui se voient imposées des obligations ou restrictions par rapport aux hommes. En ce sens, l’usage du nom est très significatif. C’est-à-dire que dans la loi, l’usage du nom du conjoint fait l’objet d’une parfaite réciprocité. Mais dans la pratique, ce n’est pas le cas. Il est par exemple extrêmement rare qu’un homme prenne le nom de famille de son épouse. En revanche, ce droit parfaitement réciproque est perçu par beaucoup d’administrations comme une obligation pour les femmes d’utiliser le nom de leur époux.
Certaines évolutions récentes de la loi sont-elles aujourd’hui favorables aux femmes, pour éviter le sexisme administratif ?
Me Marie Blandin. Les lois sont égalitaires, mais la pratique ne l’est hélas toujours pas. Cela peut être dû à une méconnaissance de la part des agents d’administration, à de mauvaises habitudes… Ce qui conduit à des pratiques illégales. Des circulaires sont régulièrement réalisées pour rappeler les nouveaux usages, mais encore faut-il qu’elles soient lues et appliquées.
J’ai beaucoup de clientes qui me disent avoir perdu leur nom de naissance et se demandent quand est-ce qu’elles vont le retrouver. Or, on ne perd pas son nom de naissance : on obtient une faculté supplémentaire d’utiliser le nom de la personne que l’on va épouser. Or, dans les faits, les administrations en arrivent parfois à dire aux femmes qui divorcent que si elles veulent reprendre exclusivement leur nom de naissance, elles doivent présenter le jugement ou la convention de divorce. C’est faux : elles n’ont pas besoin de ces dociments pour pouvoir reprendre l’usage exclusif de leur nom de naissance. J’ai récemment eu le cas d’une élue municipale pour laquelle j’ai été obligée de faire un courrier à la mairie car en conseil municipal, on continuait à l’appeler sous son nom d’épouse alors que d’une part elle était divorcée, et d’autre part parce qu’elle avait mentionné plusieurs fois qu’elle souhaitait reprendre l’usage de son nom de naissance. Mais on lui répondait que parce qu’elle avait été élue sous ce nom-là, ça n’était pas possible de changer. Ils ont fini par modifier.
Mais je ne suis pas non plus pour demander à tout prix à une femme qui divorce et vit donc une période qui n’est pas facile de se battre pour reprendre l’usage exclusif de son nom de naissance. Sacrifier les gens sur l’autel de nos convictions n’est pas non plus la bonne solution. J’entends que beaucoup de femmes préfèrent attendre le jugement de divorce, pour ne pas se lancer dans des démarches qui vont leur prendre beaucoup d’énergie. Mais de l’autre côté, si on ne met pas non plus le nez des administrations dans leurs mauvaises pratiques, les choses n’évolueront pas.
Ces situations sont-elles d’autant plus difficiles à vivre en cas de séparation conflictuelle ou dans un contexte de violences conjugales ?
Me Marie Blandin. Oui, dans ces situations, il y a un ressenti d’urgence à reprendre son nom de naissance. Quand on est dans l’apaisement, un divorce avec consentement mutuel se règle aujourd’hui en deux mois. Mais cela peut prendre des années en situation conflictuelle. Reprendre son nom de naissance dans ce contexte est une façon de marquer la séparation vis-à-vis des tiers. Mais cela pose aussi après aux femmes le problème des noms des enfants. Parce qu’aujourd’hui, la pratique majoritaire reste de donner le nom du père uniquement. Et d’ailleurs, beaucoup de personnes pensent que lorsqu’il y a un désaccord sur cette question entre les parents, donner le nom du père prévaut avant le nom de la mère. Or, les noms sont donnés par ordre alphabétique.
En ce sens, la loi relative au choix du nom issu de la filiation entrée en vigueur le 1er juillet 2022 est une vraie évolution. Désormais, on peut changer de nom pour ajouter celui du second parent et ce, sans que l’autre parent n’ait à donner son accord. C’est donc mieux vécu par les femmes qui se séparent de leur conjoint, car elles ont la possibilité de leur transmettre leur nom de famille.
Quid de la disparition de « Mademoiselle » dans les documents administratifs ?
Me Marie Blandin. Parce qu’il faisait une distinction entre les femmes mariées et celles qui ne l’étaient pas, le terme « Mademoiselle » est vraiment révélateur du sexisme administratif. Il n’y a pas de distinction entre les hommes selon qu’ils soient mariés ou non ! C’est un terme qui n’avait aucune justification, si ce n’est celle de notre héritage patriarcal. Une circulaire du 21 février 2012 préconise d’ailleurs l’évitement de « Mademoiselle », au même titre que les expressions de « nom de jeune fille », « nom d’épouse » et « nom patronymique ».
Que faire en cas de sexisme administratif avéré ?
Me Marie Blandin. On peut faire un courrier pour demander une modification. Généralement, lorsque qu’un·e avocat·e l’écrit, cela suffit. Après, face à un organisme récalcitrant, on pourrait envisager de saisir le tribunal administratif pour enjoindre des astreintes. Si cela porte un préjudice particulier, il est aussi possible d’envisager d’engager une action d’indemnisation, ne serait-ce que pour avoir fait cinquante courriers afin d’obtenir le changement de nom demandé.
Après, le sexisme constitue un délit. On peut donc, si le sexisme d’un banquier ou d’un agent administratif atteint un certain degré, invoquer le délit d’outrage sexiste selon le 222-33-1-1 du Code pénal. Car le sexisme administratif peut aussi être une manière de harceler une personne avec qui on a un désaccord. Je pense notamment à ce cas de l’élue municipale, qui faisait partie de l’opposition, et à qui on a refusé l’usage exclusif de son nom de naissance. Cela peut être considéré comme une forme de harcèlement sexuel (article 222-33 du Code Pénal) ou de harcèlement moral (article 222-33-2-2 du Code Pénal).
Existe-t-il encore des administrations ayant des formulaires où « Monsieur » prévaut sur « Madame » ?
Me Marie Blandin. Il me semble qu’aujourd’hui, on est davantage à jour au niveau des formulaires Cerfa. Cela peut peut-être arriver au niveau de petites structures, d’associations, qui n’ont pas encore mis à jour leurs formulaires. Dans ces cas-là, je pense qu’il faut simplement écrire à l’organisme pour alerter sur la non-conformité du formulaire selon les normes actuelles d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes.
D’autres évolutions dans la loi sont-elles aujourd’hui souhaitables pour en finir avec le sexisme administratif, comme l’écriture inclusive ?
Me Marie Blandin. Oui, je pense que l’égalité passe aussi par le langage. Je fais partie des avocates qui ont mis un petit « e » à « avocate » bien avant que ça ne soit autorisé par le Conseil national des barreaux. Ces actions symboliques comptent. La féminisation du vocabulaire, notamment pour les métiers, est selon moi essentielle.
Quels conseils juridiques donneriez-vous aux femmes qui font face au sexisme administratif ?
Me Marie Blandin. En premier lieu, il faut écrire pour garder une trace, ne pas simplement faire la demande orale à un conseiller, par exemple. Il faut aussi se référer à la loi pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un ressenti, d’une envie, d’une lubie. Et qu’il existe des circulaires, des textes sur lesquels les femmes peuvent s’appuyer.
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Les Commentaires
Bon après ça aurait été hilarant (ou pas) de voir si la présence d'un mec dans la coloc aurait changé qch. Si la facture avait été mise à son nom seule j'aurais câblé je crois