Je ne suis pas une grande amoureuse de chiens. J’en ai même eu peur une bonne partie de ma vie. Ma perception des canidés a évolué quand je me suis retrouvée, par accident, à faire du dog sitting un week-end. Pour la première fois de ma vie, je me suis baladée dans l’espace public avec une chienne, Ribella. J’ai ressenti une joie insoupçonnée. Comme 81% des femmes en France, j’ai été victime de harcèlement sexuel dans la rue. En conséquence, je traverse l’espace public avec une hyper-vigilance de chaque instant. Mais avec Ribella à mes côtés, aucun homme n’osait s’approcher ou me regarder de façon déplacée. Je me suis sentie libre de vagabonder dans les rues de Paris.
“Cette présence dissuasive agit dans plein de situations différentes, peu importe la catégorie sociale. Les chiens sont des défenseurs de la rue pour celles qu’on appelle ‘les punkettes à chiens’, celles qui sont sans-abri…C’est valable en environnement urbain, comme tu l’as vécu, mais aussi en milieu rural, quand on va se balader en forêt. […] Partir avec un chien, ça libère une partie de notre cerveau.” m’explique Ovidie.
Les chiens sont aussi victimes du patriarcat
Le chien (ou la chienne, terme aussi utilisé comme une insulte sexiste, tiens tiens !) est un rempart contre les violences masculines, mais il peut aussi en être victime. Dans son essai, Ovidie revient sur la montée des violences intrafamiliales durant la pandémie de Covid. Elle a coïncidé avec une explosion des violences à l’égard des chiens. « On s’est rendu compte qu’une femme qui subissait des violences intrafamiliales, avait cinq fois plus de risques que n’importe quelle autre femme de voir son chien battu par son compagnon », pointe-t-elle.
Dans son essai revigorant et accessible, l’autrice analyse la façon dont les femmes et les chiens ont été et sont encore exploités par le patriarcat, à des fins capitalistes. Elle fait le lien entre les expériences en laboratoire dont sont victimes les chiens (2 millions torturés chaque année) avec celles pratiquées sur les femmes au 19e et 20e siècle.
Comme les femmes, les chien·nes sont aussi réduit·es à l’état d’objet décoratif. On les habille, on les pomponne et on leur fait subir des actes de chirurgie esthétique, autrement dit des mutilations (les oreilles ou la queue coupée) pour rentrer dans les normes de beauté en vigueur. Sans parler des manipulations génétiques pour rendre les chiens « plus beaux », au mépris de leur santé.
Ovidie est perplexe face à ce traitement schizophrène : “Il y a une grosse dissonance cognitive entre les vidéos que tu postes sur Insta avec des petits chiens mignons et tout le monde qui reposte derrière, et les milliers de chiens qui sont produits chaque année en France dans des fermes à chiens, destinés à l’expérimentation animale et qui ne verront jamais un brin de gazon.“
Canicides, féminicides, même combat ?
Un chapitre glaçant de son essai est consacré aux canicides – des meurtres de masse de chiens considérés comme « errants » – perpétrés dans des grandes villes comme Paris, New-York ou Istanbul, à des moments où il s’agissait de chasser les populations indésirables des rues avant un événement mondial, pour coller à une image de carte postale.
En 1878, la SPA propose une nouvelle invention lors de l’exposition universelle pour éradiquer les chiens errants dans les villes : les chambres à gaz. Elles sont utilisées à Paris en 1880, par le préfet Louis Andrieux. Vous connaissez la suite terrifiante de l’histoire des chambres à gaz. En 1910, à Istanbul, la ville décide de déporter 35000 chiens sur une île, où la plupart meurent de déshydratation. Cet épisode a probablement inspiré Wes Anderson pour son film, « L’île aux chiens », sorti en 2018 et qui traite précisément de ce sujet.
Devinez qui va s’opposer à ces maltraitances animales ? « Dès la fin du XIXe, celles qui prennent conscience, celles qui s’opposent à ces massacres de masse, ce sont les féministes. Pourquoi ? Parce qu’elles savent qu’elles sont les suivantes sur la liste. Si elles sont opposées à la vivisection sur les chiens, c’est parce qu’elles sont victimes de vivisection , nous éclaire Ovidie. Les premiers mouvements pour la cause animale sont portés par des figures comme Louise Michel.
Cette surreprésentation des femmes dans la cause animale (elles représentent entre 68% et 80% des militant·es !), le végétarisme ou l’écologie ne fait que prouver le lien entre exploitation des animaux et des femmes, pour le plus grand plaisir du système capitaliste. Ces luttes sont diabolisées ou ridiculisées, avec des relents de sexisme.
« Dans les mouvements militants de gauche au sens large, celles qui défendaient la cause animale passaient pour des sottes. C’était considéré comme un peu trop de sensiblerie, une lutte pas sérieuse. » Et si l’on remonte en 1893 et aux débuts de la psychiatrie, dont on connaît les biais misogynes, le Guide pratique des maladies mentales signalait que « l’affection exagérée pour un animal relève de la maladie mentale », nous apprend Ovidie.
Chiens, empathie et masculinité
Pour l’autrice, dont la vie a été jalonnée par son rapport aux chiens, la douleur de la perte d’un chien reste un sujet particulièrement inaudible. Une partie de son livre est consacrée à la perte du grand amour canin de sa vie, Raziel.
“Ça pose énormément de questions. Comment on décide, à quel moment, est-ce qu’on a vraiment fait le bon choix ? Pourquoi on a un pouvoir de vie et de mort sur l’animal ? Je pense que ce livre, je l’ai écrit avant tout pour ce passage. J’avais besoin d’écrire pour faire mon deuil.” me confie-t-elle.
Elle déplore le manque d’accompagnement psychologique spécifique lors de la mort d’un animal.Pendant longtemps, la seule personne qui s’est exprimée publiquement sur ce sujet a été Jean-Pierre Hutin, le créateur de l’émission “30 millions d’amis”, dans son livre Mabrouk, vie de chien.
« Je l’avais trouvé très courageux d’aborder ces questions-là, parce que c’est compliqué pour un homme, encore plus dans les années 80, de dire publiquement ‘je suis dépression parce que mon chien est mort’. » Ovidie note que deux autres auteurs, Eric Sapin Dufour et François Schuiten, se sont emparés du sujet du deuil canin en 2023. « Je vois un lien avec le fait qu’on soit dans une phase de déconstruction de la masculinité », souligne l’autrice. Le chien peut-il être un outil pour développer l’empathie masculine et nous sauver du patriarcat ? C’est peut-être beaucoup lui demander !
Avec Assise, debout, couchée, Ovidie parvient à trouver un bel équilibre entre analyse et vécu personnel. On en apprend beaucoup sur la façon dont l’histoire des femmes et des chiens est inextricablement liée, sans pour autant tomber dans un travail trop théorique. Avec sa plume drôle et sincère, l’autrice apporte un supplément d’âme à son texte. Preuve de sa réussite, cet essai chaleureux nous donne une furieuse envie d’avoir un·e chien·ne pour découvrir, à son tour, la puissance de ce lien. « Tant mieux, c’était mon objectif caché ! » plaisante Ovidie.
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