Il y a quelques mois, nous vous invitions à répondre à une étude de L’Association Nationale des Étudiant.e.s Sages-Femmes (ANESF), la Fédération des Associations Générales Étudiantes (FAGE) et à l’Association Fédérative des Étudiant.e.s de Poitiers (AFEP) au sujet de la précarité menstruelle étudiante.
Après avoir interrogé plus de 6000 personnes et analysé la situation en profondeur, les trois organismes délivrent aujourd’hui les résultats de cette enquête. Les chiffres sont sans appel : il est grand temps que la société se penche sur la question de la précarité menstruelle, en particulier chez les étudiants et étudiantes menstruées.
La précarité menstruelle aggrave la précarité étudiante
Avec 20% de la population étudiante sous le seuil de pauvreté, étudier et travailler pour subvenir à ses besoins était déjà difficile pour nombre de jeunes adultes en études supérieures. En 2020, avec une crise sanitaire qui n’en finit pas, la situation est désormais intenable. Or, les protections menstruelles ont un coût non négligeable : entre les protections, les anti-douleurs ou le linge de rechange, il peut atteindre plus de 20€ par mois.
Le premier chiffre de l’étude est effarant : 33% des personnes interrogées estiment avoir besoin d’une aide pour assumer cette somme, et se procurer ainsi des protections. 13% déclarent aussi avoir déjà dû choisir entre des protections et un autre objet de première nécessité.
Anna Prado de Oliveira, vice-président de la FAGE, souligne :
« Depuis mars 2020, on constate une augmentation alarmante du nombre de bénéficiaires dans les épiceries solidaires (AGORAé) et du taux de décrochage scolaire. En ce moment, les étudiants se retrouvent dans des situations de précarité extrême, et doivent choisir entre manger et s’acheter des produits d’hygiène, ou bien arrêter leurs études pour pouvoir travailler à temps plein s’ils veulent faire les deux. »
Pour celles et ceux qui ne peuvent pas prendre ces dépenses en charge, la seule solution est de fabriquer soit même ses protections, parfois avec les moyens du bord. Ainsi, parmi les étudiants et étudiantes menstruées, 1 sur 10 fabrique ses protections, et 1 sur 20 utilise du papier toilette en guise de serviette hygiénique.
Pour Tara Heuzé-Sarmini, fondatrice et directrice générale de Règles élémentaires, la première association française de lutte contre la précarité menstruelle, ces chiffres correspondent à une réalité dont elle a bien conscience. Mais leur rôle est capital : on ne peut pas résoudre ce qu’on ne mesure pas ! Ces études permettent d’illustrer le problème de manière très concrète, et d’avoir des données qui permettent de sensibiliser le grand public à la question.
La précarité menstruelle empêche de choisir ses protections
Mais avoir accès à des protections menstruelles ne fait pas tout : encore faut-il pouvoir choisir ce que nous mettons sur nos muqueuses. La question sanitaire, et notamment celle des composants parfois toxiques des protections jetables, est capitale. Or, sur ce point-là, les étudiantes et étudiants précaires n’ont que très rarement le choix.
Le coût immédiat des protections bio ou réutilisables est élevé, et les élèves y ont peu recours. Quelles que soient leurs convictions écologiques, 8 personnes interrogées sur 10 qui utilisent des protections à usage unique le font pour une raison financière. Un chiffre pour le moins déprimant…
Parmi celles et ceux qui utilisent des protections lavables, la majorité déclare ne pas en posséder suffisamment pour assurer l’intégralité de leur période de règles car ce serait un budget trop élevé ; en outre, près de la moitié n’utilise jamais de protections bio, encore une fois à cause de leur coût.
L’accès aux soins, incompatible avec la précarité menstruelle étudiante
L’accès aux soins et à des rendez-vous médicaux est aussi un enjeux sanitaire d’importance : ce sont eux qui permettent aux étudiantes et étudiants d’apaiser les douleurs générées par leur cycle, ou de se faire diagnostiquer et soigner de manière appropriée certaines maladies. Mais cet accès est loin d’être acquis, selon les chiffres de l’enquête :
« […] un·e étudiant·e menstrué·e sur quatre a déjà renoncé à un rendez-vous médical lié à ses menstruations pour des raisons financières. Pour autant, près de six répondant·e·s sur dix déclarent avoir déjà manqué les cours ou le travail pour des raisons médicales liées à leurs menstruations. »
Pour Tara
Heuzé-Sarmini, ces chiffres sont très choquants : si l’on commence à avoir connaissance du prix et de l’accessibilité des protections jetables, la question de l’accès aux soins dans la lutte contre la précarité menstruelle est primordiale et encore peu documentée. Elle explique à madmoiZelle :
« Le problème principal avec les maladies liées aux menstruations reste le diagnostic, et le temps qu’il faut pour l’obtenir. Ces maladies peuvent clouer au lit de douleur, entraîner des décrochages scolaires ou des problèmes sur le lieu de travail. Et pour avoir accès à des parcours de soin appropriés, il faut pouvoir financer les coûts de consultation et de médication. »
Face à ces constats, des actions nécessaires
Lutter contre la précarité menstruelle, c’est offrir à chacun et chacune d’entre nous la possibilité d’occuper l’espace public. C’est ce que nous explique Anna Prado de Oliveira en ces termes :
« Empêcher des personnes menstruées de vivre leurs menstruations dignement, c’est les empêcher d’exister dans l’espace public. Pour que les étudiants vivent convenablement leurs études, il faut leur permettre de remplir, petit à petit, les besoins de la pyramide de Maslow. »
Pour améliorer la situation de la population étudiante à court et à long terme, les associations étudiantes à l’origine de l’étude demandent donc :
- L’amélioration de la sensibilisation et de la prévention sur les règles et les maladies qui y sont associées, ceci dans le but de mettre fin au tabou qui entoure les règles, dans un cadre scolaire, mais aussi périscolaire et universitaire
- L’obligation pour les entreprises qui les produisent de rendre publique la composition des protections menstruelles
- La révision des normes sanitaires et l’interdiction des produits nocifs au niveau français et européen
- L’accès gratuit pour les populations précaires à des protections menstruelles grâce à un investissement adéquat et la mise à disposition gratuite dans les lieux publics
- Une refonte structurelle des aides sociales à destination des étudiants
L’association Règles élémentaires rejoint entièrement ces revendications. Selon Tara Heuzé-Sarmini, le sujet de la précarité menstruelle est encore trop peu connu, et il est important d’éduquer et de sensibiliser à ce sujet. Une transparence sur la composition des produits d’hygiène menstruelle est capitale, et faire imposer cette pratique au niveau européen est un vrai cheval de bataille. Elle abonde :
« C’est aberrant de savoir ce qu’on a dans nos crèmes de jour, mais pas dans nos tampons. »
Dans ce combat de longue haleine, lutte contre le tabou autour des règles et lutte contre la précarité s’entremêlent. La question des distributeurs de protection périodiques en est un exemple flagrant : il arrive que ceux qui existent soient dans des endroits si isolés qu’ils en deviennent invisibles, ou qu’ils soient inaccessibles à toutes et à tous car sont placés uniquement dans les toilettes pour femmes, alors que des personnes de tous genres peuvent être sujettes aux menstruations. Anna Prado de Oliveira le rappelle :
« Les distributeurs doivent être mis en évidence, partout, pour toutes et tous : dans les lieux de passage, aux mêmes endroits que les distributeurs de préservatifs par exemple. »
Des changements progressifs, mais rapides
Face à ces enjeux, Tara Heuzé-Sarmini dresse un tableau assez optimiste : le sujet commence à être entendu et à obtenir de vraies réponses politiques.
« C’est un sujet qui était inconnu il y a cinq ans, et on obtient désormais 5 millions d’euros pour la lutte contre la précarité menstruelle en 2021. En politique, peu de choses vont aussi vite ! D’autant plus que les universités n’ont pas besoin d’attendre l’aval politique : certaines ont déjà installé des distributeurs gratuits dans leurs locaux.
Ce qu’on aimerait, c’est qu’il y ait une généralisation massive de ces pratiques. Il est important d’allouer les fonds disponibles là où il y en a le plus besoin. »
Pour le vice-président de la FAGE, il est important que les université s’investissent dans les projets de sensibilisation et de communication.
« Dans l’enseignement supérieur, il faut continuer à éduquer et à informer sur les questions de santé sexuelle, de vie affective, et d’hygiène menstruelle. Il faudrait que les services de santé des université soient dotés de moyens suffisants pour pouvoir faire de la sensibilisation au sein de l’université. »
La fondatrice de Règles élémentaires termine notre entretien en rappelant que tout le monde peut changer les règles. Si vous souhaitez vous engager contre la précarité menstruelle, sachez que grâce au site de l’association, il est possible d’organiser une collecte de produits d’hygiène menstruelle en quelques clics, que Règles élémentaires peut ensuite redistribuer.
Dans les milieux universitaire, il est possible de se saisir du sujet et d’en parler dans toutes les instances, notamment les Conseils de Vie Étudiante, et mettre en place des dispositifs d’aide ou des expérimentations.
Si vous en avez la possibilité, vous pouvez aussi faire des dons aux associations qui luttent contre la précarité menstruelle, ou même vous engager avec elles !
Si vous êtes en études supérieures et confrontée à une situation de précarité, vous pouvez contacter la fage à l’adresse mail mesdroits[a]fage[point]org pour être accompagnée et redirigée vers des personnes qui pourront vous aider.
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