Si tu te tiens un minimum au courant de ce qui se passe chez nous et dans le monde, tu dois avoir perçu depuis quelques années déjà un certain frémissement, pour ne pas dire un frémissement certain, dans l’un des plus grands bastions de la macho attitude. Et non, je ne parle pas du monde de la F1, mais de celui de la politique.
Le thème est d’actualité en France, et il est difficile de ne pas tomber dans la tarte à la crème. On va quand même essayer de faire ensemble un petit tour d’horizon pour décrypter cette féminisation de la politique chez nous et chez les autres.
Le sommaire de cet article :
- Une "révolution silencieuse" ?
- Toutes les femmes ne sont pas irréprochables
- On est où, exactement, en France ?
- Surtout, ne sois pas belle (et éventuellement tais-toi)
- Les femmes font-elles vraiment de la politique autrement ou font-elles une autre politique ?
Déjà, il ne faut pas faire la Béotienne et croire que les femmes haranguant la foule sur les estrades, c’est tout nouveau. Rosa Luxemburg n’était pas franchement discrète, Madeleine Albright ne se contentait pas de préparer les petits fours de la Maison Blanche, Indira Gandhi a montré qu’une femme savait diriger une société même largement patriarcale, et Margaret Thatcher est la preuve vivante qu’une femme peut avoir de la poigne.
La nouveauté, c’est que les femmes commencent à être recherchées et élues justement parce que ce sont des femmes. Ce qui était auparavant leur plus grande faiblesse est aujourd’hui leur meilleur atout : d’elles doivent venir le changement, la nouveauté et une "nouvelle façon de faire de la politique". Mais est-ce vraiment une bonne idée ?
La nouvelle vague de femmes politiques est arrivée avec les années 90 et a explosé ces derniers mois : sont arrivées au pouvoir Angela Merkel en Allemagne, Ellen Johnson-Sirleaf au Libéria ou encore Michelle Bachelet au Chili. En Espagne, Zapatero affiche son modernisme en organisant son gouvernement de façon paritaire, en s’attachant les services de 8 femmes sur les 16 Ministres qu’il compte. Et le pauvre George W. Bush tremble depuis que Nancy Pelosi a pris le contrôle de la Chambre des Représentants. Un peu partout, il semble que les femmes vont révolutionner la politique.
Et pourtant, si les résultats de certaines sont loués sans hésitation, d’autres exemples sont nettement moins glorieux, et feraient mentir ceux qui affirment que les femmes font de la politique différemment, et forcément mieux que les hommes.
- Benazir Bhutto, première femme élue au poste de Premier Ministre dans un pays musulman en 1988, est considérée comme la personnalité pakistanaise la plus corrompue et est poursuivie dans son pays et en Suisse pour des détournements de fonds s’élevant à près de 2 milliards d’€.
- Le nom de son homologue turque Tansu Çiller est étroitement lié à plusieurs affaires de corruption et à de violentes répression contre les Kurdes.
- La Présidente des Philippines Gloria Macapagal-Arroyo est soupçonnée de ne devoir sa victoire qu’à de larges fraudes électorales et a depuis lors pris la dangereuse pente d’une dérive autoritaire en facilitant largement l’entrée des militaires dans la vie publique.
- Quant à la ravissante ukrainienne Ioulia Tymochenko, la "Marianne à la tresse" de la Révolution orange, elle est soupçonnée d’être étroitement liée à des clans politico-mafieux adeptes des dessous de table dans le domaine énergétique.
Loin de l’image de la bonne mère, qui s’occupe de son peuple comme de ses propres enfants, avec générosité, affection et bienveillance, ces femmes politiques ont montré qu’elles pouvaient se montrer aussi indélicates que les hommes lorsqu’il s’agit de gouverner.
En théorie, on devrait être très bon. En effet, suite à la révision constitutionnelle de 1999 précisant que "la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives" et prévoyant que les partis devraient "contribuer à la mise en oeuvre" de ce principe, la loi du 6 juin 2000 sur la parité en politique permet de soumettre l’aide publique aux partis politiques au respect de l’application du principe de parité dans la présentation des candidats aux élections.
Et pourtant, avec seulement 10% de parlementaires femmes en 2005, la France se classe au 74ème rang mondial pour la représentation féminine parmi ses parlementaires, et au 21ème rang européen, très loin derrière la Suède dont le Parlement compte 43% de femmes. Il semble bien que les partis préfèrent encore subir des pénalités financières plutôt que de présenter un nombre égal d’hommes et de femmes sur leurs listes aux élections municipales et législatives.
La faute aux électeurs ? Pas seulement. Il y a deux raisons principales propres à la logique interne des partis qui freinent l’accès des femmes au premier rang de la scène politique.
D’une part, un certain machisme continue de régner et une formule telle que "mais qui va garder les enfants ?" ne permet pas d’en douter. Et encore, c’était du soft… Les injures sexistes d’une grande violence symbolique sont encore l’arme préférée des hommes politiques contre leurs rivales. Simone Veil en a fait les frais en 1974, défendant son projet de loi sur l’IVG sous une pluie d’injures.
Edith Cresson, première femme à la tête d’un gouvernement en France, a été transformée par le Bêbête Show en panthère hystérique, "délabrée du bulbe" dont la marionnette de Mitterrand disait qu’il "la violait, la greluche, quand il s’ennuyait". En tant que Ministre de l’Agriculture, elle a dû supporter les banderoles "on espère que t’es meilleure au lit qu’au Ministère" des agriculteurs venus manifester.
Ce sont d’ailleurs ces mêmes agriculteurs qui sont à l’origine, quelques années plus tard, du très classe "Enlève ton slip, salope !" destiné à Dominique Voynet. Cette enième attaque galante contre une femme publique a été le détonateur pour Florence Montreynaud, qui décide alors de créer l’association des Chiennes de
garde pour lutter contre ce lynchage sexiste organisé. Mais comme le dit Elisabeth Guigou, "sur le terrain de la grivoiserie gauloise, une femme est toujours en position de faiblesse".
D’autre part, cette soudaine accession des femmes aux postes clefs des partis écarte nécessairement des hommes qui travaillent à leur ascension depuis des décennies et qui croyaient enfin leur heure venue. Forcément, ils se rebiffent devant cette injustice. Normal et compréhensible, mais parfois, il faut payer les pots cassés par ses prédécesseurs.
Pour une femme politique, ne pas être Miss France peut être une plaie. Martine Aubry, pas assez féminine, s’en est pris plein les dents, et doit aujourd’hui compatir avec Roseline Bachelot. Mais être jolie, c’est encore pire. Les femmes Ministres se déguisent en mégère revêches pour avoir la paix : traitée de Barbie, Elisabeth Guigou s’est austérisée, tout comme Michelle Alliot-Marie, qui n’a plus mis de jupe depuis qu’elle est au Ministère de la Défense.
Et lorsqu’une femme refuse de jouer le jeu, les gardiens du temple du convenable déclarent la curée ouverte. Depuis que sa popularité grimpe en flèche, Ségolène Royal est accusée de se lancer dans un concours de beauté et non dans une élection présidentielle. Lorsqu’un magazine fait sa une d’une photo volée en bikini, tout le monde s’émeut. En revanche, lorsque Dominique de Villepin convoque la presse pour un jogging matinal torse nu, on vante son dynamisme sans sourciller.
De toute façon, on le sait bien, si une femme est jolie, elle est forcément cruche. Quand Clémentine Autain, à la fois jolie, féminine et féministe pointe le bout de son nez, ceux qui ont raté une étape sont décontenancés : le thème grossier de la « mal-baisée » en prend un coup.
Pourtant, l’argument « belle donc superficielle » est encore largement utilisé et a de nombreux adeptes. Pourtant, les hommes aussi séduisent, puisqu’il s’agit d’un principe de base de la politique : Kennedy l’a compris le premier, DSK s’est fait refaire la paupière pour être plus agréable à regarder, Berlusconi a accompagné son régime d’un lifting. Et pourtant, ils gouvernent… Les grilles traditionnelles de lecture commencent à se brouiller.
Le succès des femmes en France et ailleurs est souvent perçu comme l’expression d’une volonté de changement chez les électeurs, qui sont prêts à leur prêter toutes les vertus pour l’occasion.
Selon un sondage Ifop, en 2004, 71% des Français souhaitaient que les femmes jouent un plus grand rôle en politique, tandis qu’en 2006, 55% des Français pensent que les femmes politiques font de la politique différemment (sondage CSA).
Mais différent comment au juste ? Plus douces, plus compréhensives, plus à l’écoute, plus consensuelles ? Ca ne ressemble pas franchement à Margaret Thatcher tout ça… Et dire que LES femmes, toutes les femmes, sont naturellement différentes, n’est-ce pas au final encore un réflexe sexiste ? Qu’une femme politique se comporte d’une certaine façon justement parce qu’elle est une femme est exactement le piège dans lequel les fervents défenseurs du statu quo rêvent qu’elles tombent.
La politique au féminin, si elle est séduisante au premier abord, est peut-être au final l’argument qui pourrait le plus se retourner contre celles qui la prônent… Il ne fait en effet jamais bon entretenir un préjugé, même s’il semble pouvoir servir les femmes.
Et toi, crois-tu que les femmes puissent changer la politique ? Crois-tu que la féminisation de la vie politique est un véritable mouvement de fond inéluctable ou un emballement médiatique passager ?
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