Sur le principe, leLIVE avait de bons atouts.
« Actualité, humour, cinéma, musique, sport, jeu vidéo…
Avec près de 50h de contenus originaux par semaine, « leLIVE » sera diffusé du lundi au dimanche de 17h à minuit et proposera une grille de programmes multithématiques avec un style et une liberté de ton qui renouvellent les codes de l’audiovisuel. »
C’est quoi leLIVE ?
Avec ses talk-shows, ses magazines et ses jeux, cette « télé 2.0 » avait pour ambition d’ajouter une nouvelle brique à l’artillerie (lourde) de Webedia.
Groupe dominant du marché médiatique, Webedia détient notamment les marques Allocine, jeuxvideo.com, 750g et son propre réseau de vidéastes, dont Norman, Cyprien, Squeezie et Natoo.
Fin janvier, leLIVE a dévoilé une programmation assez surprenante, portée par des personnalités très installées des mondes de YouTube et de la télévision.
Kemar, Norman, Maxime Musqua, HugoDécrypte, Agathe Auproux, Bapt & Gaël, Guillaume Pley, Kevin Razy, Michel Cymes et Bilal Hassani (entre autres) partagent ainsi l’affiche avec des adeptes du stream comme Domingo, Michou et Inox.
Webedia avait déjà marqué un bel essai en lançant en 2017 sur Twitch la WebTV spéciale gaming LeStream, aujourd’hui suivie par plus de 860 000 personnes.
Les problèmes techniques au lancement de leLIVE
Lundi 3 février à 17h, le lancement de la nouvelle WebTV leLIVE a été scruté de près.
Malheureusement pour les acteurs du projet, tout ne s’est pas déroulé comme prévu et le public n’a pas tardé à se faire le relais du « lancement raté » de la WebTV.
Dans sa dernière (et super) émission Popcorn, Domingo, un streameur influent qui s’est associé à ce projet en co-produisant un format, revient sans langue de bois sur les différents problèmes rencontrés le premier soir.
Interrogé par les streameurs MisterMV, Ponce et l’animatrice Marie Palot, Domingo confie sa déception et explique ce qui a pu perturber les premières heures de la nouvelle chaîne.
Lancé en simultané sur YouTube, Twitch et Dailymotion, le live « multiplateformes » a enchainé les problèmes techniques.
La première heure a ainsi été entachée par un décalage entre le son et la vidéo qui a obnubilé les viewers, empêchant toute interaction avec le chat.
Alors que Webedia mettait l’accent sur l’interactivité, c’est d’ailleurs dans le chat que s’est concentrée une partie des incidents.
Face à une modération laborieuse et maladroite, les trolls n’ont pas manqué de le spammer avec des insultes, laissant douter de « l’esprit de communauté » qui était en train de se créer.
Débordés, les modérateurs ont fini par limiter l’accès au chat.
Au bout de 4h, le flux s’est tout bonnement arrêté sur Twitch, où la chaîne leLIVE a été temporairement bannie.
La prononciation du mot « nigger » par Kevin Razy dès les premières secondes serait à l’origine de cette désactivation.
La première émission aurait rassemblé jusqu’à 15 000 spectateurs et spectatrices en simultané, un décompte finalement assez éloigné des chiffres de la télévision si l’on poursuit le parallèle.
Le choix des animateurs pour leLIVE
Mais comme le souligne Ponce dans l’émission de Domingo, ce sont surtout les compétences des animateurs choisis qui ont posé le plus question :
« Nous on est sur Twitch, on sait ce que c’est, le fait de streamer […] Ce qui me rassure c’est que les gens se rendent compte de ce que c’est de faire du LIVE. Tu vois des Youtubeurs qui arrivent, mais là, y a pas de montage.
Sur YouTube, il y a beaucoup ce truc de faire des happenings, what the fuck, de crier… en live c’est quand même très différent.
Tenir une émission de 3h, c’est pas du happening de 3h, c’est de la discussion. »
Porté par des « têtes d’affiche », leLIVE a fait le choix de recruter des personnalités historiques d’internet avec d’importantes communautés plutôt que de miser sur la nouvelle vague du stream Twitch et le succès de la WebTV LeStream, également détenue par Webedia.
La créatrice de vidéos Sauvane et les Internets (repérée notamment dans le concours FantaXYou) a d’ailleurs raconté sur Twitter la façon dont les castings se sont déroulés pour certaines personnalités pressenties.
Tu peux lire son témoignage en déroulant ce tweet :
Pourquoi Webedia développe leLIVE ?
C’est un passage dans l’émission de Domingo qui m’a mis la puce à l’oreille.
Interrogé sur son ressenti vis-à-vis du lancement du nouveau bébé de Webedia, Ponce, le créateur du format Ponce la nuit sur LeStream, avoue regretter que la prod lui ait demandé de décaler son émission pour fournir d’autres moyens humains et matériels à leLIVE.
Les chroniqueurs autour du plateau renchérissent en s’étonnant de cette décision alors que la chaîne LeStream réunit de plus en plus d’adeptes ces derniers mois.
De l’extérieur, on peut s’étonner que Webedia ait préféré développer une deuxième chaîne comme s’il s’agissait d’une nouveauté alors que LeStream commençait à prendre ses marques.
C’est pourtant un bon « coup marketing » pour positionner la nouvelle chaîne sur des contenus lifestyle et culture pop, surtout que la plateforme Twitch semble particulièrement pousser le « Just chatting » (des lives pour blablater).
Mais ce n’est pas sans conséquence.
En mutualisant les moyens des deux streams et en priorisant le format talk-show développé sur leLIVE, Webedia le met insidieusement en concurrence avec la partie gaming développée sur LeStream.
Dans ces conditions, faut-il présager que des créateurs en insécurité commencent à se tirer dans les pattes pour conserver leur pré carré ?
Les attentes du public leLIVE pour des WebTV de qualité
Si ce lancement a été aussi commenté, c’est aussi parce que les attentes du public et des streameurs en matière de live sont de plus en plus poussées.
Ces derniers mois, Twitch a vu débarquer des créateurs de vidéos lassés des codes de YouTube.
Certains comme Antoine Daniel y sont venus pour le gaming, tandis que d’autres comme le youtubeur philo DanyCaligula ont voulu profiter de l’instantanéité du chat pour débattre de sujets de société avec plus de légèreté.
Nos flux Twitch se sont ainsi enrichis d’une vraie programmation quotidienne, entre les sessions gaming de Maghla, les 301 vues de Cyprien, ou les expérimentations de Damdam.
Même Le Figaro s’y met avec une émission de jeu de rôles !
Pas besoin d’avoir un plateau digne de TF1 : sur cette plateforme, c’est l’instantanéité, les gimmicks et la personnalité du streameur qui comptent et qui permettent aux suiveurs de s’attacher.
Le détachement et les critiques autour du lancement de leLIVE s’expliquent donc à la fois par un manque de liant entre les différentes personnalités qui l’animent et par une désincarnation de la marque.
Ce ne sont finalement pas les animateurs des lives qui étaient visés par les insultes et les menaces proférées pendant les premières heures du stream mais bien l’entité Webedia, un acteur qui, par sa position dominante, n’a pas le droit à l’erreur.
Pour les streameurs, leLIVE est un sentiment de grand gâchis
Un streameur populaire comme Domingo peut rapidement devenir le porte-voix d’une nouvelle profession qui, elle aussi, a de grandes attentes.
Et il ne cache pas sa déception de voir de tels investissements financiers se solder sur ce résultat, à l’instar de Squeezie, qui a lâché en live :
« Ce projet est tenu par des gens qui n’y connaissent rien, qui ont juste envie de faire des thunes, qui ont zéro passion et à partir de là, forcément, forcément, c’est le bordel derrière et ça donne lieu à des lancements catastrophiques comme ça. […]
Moi je m’attends à voir du Zera (Zerator), du MV (Mister MV), je suis là « oh trop bien ils ont une WebTV, qu’est-ce qu’ils ont fait ? »…
Pas du tout !
Y a pas de vraie direction artistique. Ça se voit, c’est des gars, on les a mis là, ils veulent prendre leur chèque, ils veulent shiner un peu et du coup ils sont un peu paumés. »
Les streameurs expriment aujourd’hui leur frustration de voir émerger un projet sans direction artistique ni ambition, alors qu’il a été financièrement très investi – Squeezie parle de plusieurs millions d’euros.
leLIVE pourra-t-il faire oublier le sentiment de malaise qui prédomine à l’évocation de son nom ? Pourra-t-il créer un vrai esprit d’équipe au sein d’une team mise en concurrence… et un peu gênée d’y être associée ?
Et surtout, prendra-t-il en compte les attentes des streameurs ET du public pour devenir l’un des plus gros projets du stream français ?
Seul le temps le dira.
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Les Commentaires
Alors, évidemment, je ne suis pas toutâfé le public visé... en théorie.
Du haut de mes 39 balais, je suis bénévole et modératrice pour Accropolis, mais ça ne m'empêche pas de m'enjailler avec le Vieux Monsieur, Zera, Domingo, Squeezie ou Gotaga - côté français - ou Tim the Tatman, Dr Lupo, Jordan Fisher, MermaidUnicorn ou Brendon Urie - côté US.
Alors, oui, j'aime quand les streamers font des feat. les uns chez les autres (les soirées loup garou sont savoureuses, entre autres), mais l'état d'esprit - des participants comme des viewers - est totalement différent.
Pendant LeLive, ça me hérissait dès que j'entendais le mot "commu"... NON, vous n'avez aucune "communauté" stricto sensu quand vous rassemblez dans une même pièce des personnes qui ne se connaissent pas vraiment, encore moins quand c'est virtuel, qu'elles n'ont pas les codes de la plateforme sur laquelle elles sont et qu'elles ne savent pas à qui elles s'adressent.
Une communauté se crée avec le temps, la confiance et l'échange.
Pas sur du marketing à coup de gros noms et de biftons des annonceurs.
Les gars, on n'est pas à la télé, quoi !
Et sinon, bisous Marie et merci pour ton article.